Pour rendre justice à Monsieur Kadhir, celui-ci fait preuve, alternativement ou en même temps, de clairvoyance, de courage (ou d’inconscience ?), de maladresse, et d’un indéniable opportunisme politique qui induit dans le tout une incohérence croissante.
J’ai été sidéré de l’entendre hier, à la fin de la marche de la Journée des Patriotes (23 mai 2011) à Montréal, faire l’éloge du “grand patriote” qu’est Gilles Duceppe, dans un discours apparemment improvisé. Faut-il rappeler qu’il a mobilisé ses troupes bien disciplinées pour contribuer à la défaite du Bloc québécois et de son chef en particulier ! Sans doute inspiré par la présence significative de pancartes de couleur orange (de Québec solidaire), je n’ai pu m’empêcher d’invectiver l’orateur en lui criant “NPD !”, histoire de ne pas laisser se perpétrer cette infamie sans la moindre réaction.

: Discours de Monsieur Amir Kadhir à la fin de la manifestation de la Journée des Patriotes (Montréal, le 23 mai 2011) (© Yves Claudé - 2011)
Au delà de la personnalité de Monsieur Kadhir, c’est aussi toute la culture politique de Québec solidaire qui se révèle dans ses multiples contradictions.
Une des curiosités de la manifestation d’hier était la présence de porteurs de pancartes de QS affublés de macarons des Jeunes Patriotes : de par les représentations idéologiques infantiles qui ont cours dans une certaine inculture politique qui n’épargne pas QS, les Jeunes Patriotes sont considérés comme des “fâchistes” (sic) voire des “racistes” (ce qui n’est pas très éloigné des éructations de certains radicaux francophobes). Cette incohérence n’a pas manqué de susciter des réactions étonnées parmi les manifestants.
Il est navrant de constater que l’on ne trouve actuellement aucune analyse politique globale et systématique du phénomène Québec solidaire. Ce phénomène, amplifié par les effets de la politique-spectacle (dans laquelle Monsieur Kadhir a complètement éclipsé sa partenaire à la direction, Madame David), et nourri par la recherche d’un véhicule de changement sociopolitique de la part d’un nombre significatif de citoyens, reste mal connu, dans ses zones d’ombre organisationnelles, ainsi que dans les multiples méandres et développements des discours qui s’y élaborent, pour être ensuite filtrés et propagés.
QS est fondamentalement marqué par la culture politique maoïste dont ce groupe a hérité à travers une généalogie politique remontant aux années 1970-1980. Alors que la Chine effectuait un virage capitaliste, la mythique “révolution” s’est transposée ici sur le terrain électoral, mais les attitudes politiques sont restées les mêmes : infiltration et manipulation des mouvements sociaux au profit exclusif du groupe politique et aux dépens des intérêts de la population, parodie de démocratie, culte des chefs et soumission à leur autorité, et par dessus tout, adhésion à une vision messianique et doctrinaire du changement politique et social.
Imprégnée par un certain catéchisme de la “tolérance”, et par un relativisme culturel qui est utilisé stratégiquement pour déstabiliser et dissoudre les identités nationales, la mouvance petite-bourgeoise de QS adhère allègrement au multiculturalisme trudeauiste, ce qui empêche absolument ce parti de défendre les principes élémentaires de la laïcité.
Au dessus de ce magma de contradictions et d’incohérences, les faiseurs d’images et de discours de QS tentent de bricoler des justifications, parvenant au mieux à épouser la démarche de l’anguille, tandis que les membres du groupe qui ont gardé un certain sens critique maugréent dans leur coin sans oser affronter la sacro-sainte direction du parti.
Il faut déplorer le fait qu’une bonne partie des intellectuels qui avaient effectué une critique politique efficace de la dérive maoïste/fédéraliste au sein de la gauche québécoise, se sont eux-mêmes à présent réduits au silence en devenant membres ou sympathisants de QS. Par ailleurs, le travail d’analyse politique du PQ reste aussi à faire d’une manière scientifique et systématique !
L’opportunisme électoral de QS
Les stratèges de QS s’imaginent très naïvement qu’un “effet Kadhir” sera en mesure de créer la même “vague orange” que l’“effet Layton” aux prochaines élections québécoises. Au delà de ces illusions dogmatiques et messianiques, on peut observer le fait qu’une frange de la petite-bourgeoisie québécoise, avide de pouvoir, qui contrôle QS, cultive l’espoir d’une mythique victoire électorale, et ce quel que soit le prix pour les citoyens (réélection répétitive du PLQ…), de cet aveuglement pathétique. Ayant porté attention depuis nombre d’années, aux divers discours des marges politiques, j’ai été saisi par la hargne qui anime certains militants-cadres de QS à l’endroit du PQ. Cette culture politique ne prédispose pas QS à une élémentaire compréhension des enjeux sociopolitiques du Québec, et encore moins à une – pourtant nécessaire – entente politique stratégique avec le PQ.
Car c’est bien là que nous en sommes, si nous voulons éviter, non seulement une autre réélection du PLQ, mais un scénario pire encore, celui de l’accession au pouvoir d’une droite ultralibérale, antisociale et antisyndicale, qui pourrait résulter de la recomposition d’une ADQ que les puissances financières dominantes auraient choisie pour remplacer le PLQ dans la mise en place de conditions favorables à la création de LEUR richesse !
Le PQ a bien raison de souligner le rôle complaisant de QS dans les réélections précédentes du PLQ, mais pour obliger QS à sortir d’une duplicité regrettable, il faudra que le PQ soumette à QS une plateforme politique et électorale équitable, un plan stratégique national et social mobilisateur pour le peuple québécois. Ceci impliquerait la présence de candidats uniques pour les deux partis. En cas de refus de sa part, QS démontrerait clairement son rôle objectif d’allié des forces antisociales et antinationales.
Yves Claudé - sociologue