Ce n’est pas la Cour suprême qui éclaircira le mystère entourant les agissements de l’ex-juge Bora Laskin durant le processus de rapatriement de la Constitution. Le plus haut tribunal du pays a indiqué vendredi avoir terminé son examen interne entamé sur cette question le 9 avril. Résultat ? Ses tiroirs d’archives n’ont rien révélé. Cette fin abrupte déçoit Québec et le NPD, qui demande maintenant une enquête.
Dans un communiqué laconique publié en fin d’après-midi, la Cour écrit avoir « complété un examen exhaustif de ses dossiers. Ceux-ci ne contiennent aucun document au sujet de communications que l’ancien juge en chef Laskin et l’ancien juge Willard Estey auraient eues avec des tiers relativement au rapatriement de la Constitution du Canada. Ceci conclut l’examen de la Cour relativement à cette question. »
Selon nos informations, la Cour n’a examiné que ses dossiers internes et n’a formulé aucune demande de documents au gouvernement canadien. Or, les dossiers de la Cour ne recensent pas les rencontres ou les conversations des juges, ce qui rendait les résultats de la recherche improbables. Le député conservateur Jacques Gourde avait pourtant indiqué le 12 avril qu’Ottawa était disposé à permettre à la Cour de consulter ses archives.
Le gouvernement du Québec s’est dit « déçu de l’examen sommaire de la Cour, qui laisse de nombreuses questions sans réponses, a indiqué par communiqué le ministre des Affaires intergouvernementales, Alexandre Cloutier. Des violations importantes aux principes démocratiques de base ont été évoquées par Frédéric Bastien [dans La bataille de Londres] et le gouvernement du Québec a l’intention de donner suite à la motion unanime de l’Assemblée nationale réclamant que toute la lumière soit faite sur les événements. »
À Ottawa, le Nouveau Parti démocratique s’est aussi dit insatisfait. « Ce n’est pas une enquête sérieuse qu’ils ont menée, alors que c’est une situation archi-sérieuse, a dénoncé le chef de l’opposition, Thomas Mulcair. Il en va de la question fondamentale de la séparation des pouvoirs. »
Sans documents
Selon M. Mulcair, le livre de l’historien Frédéric Bastien contient des allégations basées sur des « faits étayés », ce qui aurait dû inciter la Cour à un travail plus consciencieux. Dans La bataille de Londres, M. Bastien affirme que l’ex-juge Laskin a tenu Londres et Ottawa au courant de certains détails des discussions de la Cour suprême sur le projet de rapatriement de la Constitution, en 1981.
Pour en arriver à cette conclusion, M. Bastien s’est basé sur des notes diplomatiques du Foreign Office à Londres, obtenues par la loi britannique sur l’accès à l’information. Il n’a toutefois pas eu accès aux documents canadiens couvrant cette période : ceux transmis par le Conseil privé étaient presque entièrement caviardés.
« La première chose à laquelle je me serais attendue, c’est que la Cour suprême demande au gouvernement d’obtenir les documents non caviardés. Elle ne l’a pas fait », a encore dénoncé Thomas Mulcair.
Une enquête demandée
Le contenu de ces documents censurés est au coeur de la motion unanime adoptée par l’Assemblée nationale le 16 avril. Celle-ci demande à Ottawa qu’il donne accès à ses archives afin de faire la lumière sur les écarts présumés de Bora Laskin. Le gouvernement fédéral a répliqué que Québec n’avait qu’à faire des demandes d’accès à l’information - ce que le gouvernement Marois a fait le 24 avril.
La demande de Québec n’avait pas été officiellement supportée à Ottawa autrement que par le Bloc québécois. Le NPD et les libéraux de Justin Trudeau (qui a affirmé que le débat relevait de « vieilles chicanes » sur lesquelles il ne veut pas utiliser son « capital politique ») s’en étaient essentiellement remis au travail de la Cour suprême.
Mais vendredi, Thomas Mulcair a indiqué au Devoir qu’il exigera dès la semaine prochaine une véritable enquête indépendante. « Si on tient à l’intégrité de nos institutions parlementaire et démocratique, il faut unir nos voix pour réclamer une enquête complète. » Il en fera la demande à la Chambre des communes - un geste qui pourrait placer Justin Trudeau dans une situation inconfortable. M. Trudeau n’était pas disponible pour commenter en fin de journée.
Le gouvernement conservateur a pour sa part répété que les demandes d’accès à l’information du gouvernement Marois « seront traitées sans ingérence politique », et que les conservateurs n’ont pas l’intention de « rouvrir les vieilles chicanes constitutionnelles ».
Bastien pas surpris
À la source de cette affaire, l’historien Frédéric Bastien s’est dit peu surpris des conclusions de l’enquête de la Cour suprême. « Je présume de l’honnêteté du travail de la Cour suprême, mais il est probable que le juge n’ait parlé de cela à personne », a-t-il dit au Devoir.
Tout en affirmant que ses sources sont « crédibles et inattaquables », Frédéric Bastien réclame lui aussi qu’Ottawa rende publiques ses archives. Le refus actuel et la remise de documents caviardés sont pour lui « extrêmement graves. C’est une réaction digne de l’ancienne Union soviétique. Est-ce qu’il y a des sujets dans l’histoire du Canada dont on ne peut pas parler ? J’espère que non », dit-il.
Avec Marco Fortier et Robert Dutrisac
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