LETTRE OUVERTE
Montréal, 5 septembre 2015 – C’est fou comme le temps passe vite, malgré cette campagne électorale qui, paradoxalement, n’en finit plus de ne plus finir… Einstein et la Relativité doivent sans doute y être pour quelque chose… Quoiqu’il en soit, plus de quatre semaines se sont déjà écoulées depuis la diffusion du soporifique débat fédéral en anglais organisé par le magazine Macleans, lequel mettait en vedette les chefs du «bloc canadien», Gilles Duceppe ayant été écarté délibérément. Néanmoins, il me semblait opportun de revenir sur ce fameux passage où Justin Trudeau, prenant ses airs de preux chevalier du royaume canadien, a jugé pertinent de faire du zèle sur les thèmes chéris de la nuisance séparatisse et de la clarté référendaire. Papa eût été si fier de son fiston…
Même si le thème n’était aucunement lié à l’actualité, Trudeau a jugé pertinent d’attaquer la position du NPD sur la clarté référendaire, qui selon la météo, se dit un jour d’accord et le lendemain contre la règle du 50%+1. Mulcair a répliqué par un solide direct du droit en lui posant la question qui tue: «What’s your number, Mr Trudeau?». Retrouvant rapidement ses «esprits» (si on peut dire), Justin a alors rétorqué: «Nine!».
Le chef du Parti libéral faisait ainsi allusion aux neuf juges de la Cour suprême, tous nommés par Ottawa et majoritairement canadiens-anglais, qui se sont prononcés en 1998, en l’absence du procureur général du Québec, sur le sort de millions de Québécois advenant un troisième référendum sur la sécession.
Le Renvoi sur la sécession (1998)
Trois ans après le référendum de 1995, le plus haut tribunal du Canada, en réponse à des questions soumises par Ottawa dans le cadre de ce qui a été désigné comme le Renvoi relatif à la Sécession du Québec, a tenté d’enchâsser dans la constitution canadienne un moyen légal pour le Québec d’accéder à l’indépendance, en concluant qu’une victoire du OUI à un référendum déclencherait automatiquement une obligation de négocier de bonne foi incombant au Canada et au Québec. Cela, sous réserves que la question référendaire de même que la réponse du peuple à cette question aient été «claires», ou plutôt «qualitativement claires» pour être plus précis.
Ce critère «qualitatif» de clarté formulé par la Cour ne nécessite pas forcément que la «quantité» de votes obtenus en faveur du OUI corresponde à une majorité «qualifiée» ou «renforcée» supérieure à 50%+1. Il n’a jamais été question de cela dans le jugement. On peut en déduire, à l’instar de plusieurs constitutionnalistes, que ce critère vise surtout la qualité du processus démocratique et les circonstances générales entourant la tenue du référendum, lesquelles doivent conférer à l’exercice dans son ensemble suffisamment de légitimité politique afin d’assurer une base solide à la négociation.
Ainsi, en théorie, un référendum emporté à l’arraché par le camp du OUI pourrait légalement forcer le Canada à négocier de bonne foi, à condition que la qualité du processus référendaire ne souffre d’aucune remise en question majeure, notamment quant au taux de participation, au respect des règles électorales, à l’absence de fraude, à la connaissance des enjeux par les Québécois, etc.
La loi fédérale sur la clarté (2000)
Cette importante décision rendue par les «neuf» juges dont s’excite tant Justin, laquelle n’est donc pas entièrement défavorable au Québec, a néanmoins eu pour effet de renforcer politiquement la position du gouvernement fédéral. Cherchant de toute évidence à intimider le Québec, le Parlement canadien a détourné ce jugement à son profit en s’empressant de proposer sa détestable Loi sur la clarté (C-20), le bébé de Stéphane Dion.
Or, le Clarity Act contredit, sinon abuse à bien des égards des conclusions du Renvoi sur la sécession desquelles elle prétend tirer sa légitimité. Essentiellement, Ottawa annonce dans C-20 qu’en cas d’une victoire du OUI, il se posera en juge et partie en s’arrogant à l’avance et de manière abstraite le droit de définir unilatéralement le niveau de «clarté» référendaire suffisant à ses yeux pour décider ou non s’il négociera de bonne foi.
En d’autres termes, le Canada se comporte déjà de mauvaise foi dans cette affaire. Il manipule les citoyens québécois et joue lâchement la carte de l’intimidation, reniant les principes fondamentaux à la fois de la démocratie classique et du fairplay anglais qui devrait pourtant inspirer cette ancienne colonie britannique… Voilà ce que Justin qui visiblement ne maîtrise pas son sujet, a si chevaleresquement défendu au début du mois d’août dernier, sans que personne ne lui ait même demandé son avis sur le sujet.
Concernant le 50%-plus-un, il faut rappeler que les adversaires canadianistes de la démocratie québécoise s’appuient sur une constitution à laquelle le Québec n’a jamais adhéré, mais qui fut adoptée malgré son opposition. Cette loi constitutionnelle de 1982, rapatriée unilatéralement par Trudeau père, ainsi que toutes les précédentes régissant l’État canadien, n’ont d’ailleurs jamais été ratifiées par aucun plébiscite ou référendum. La constitution canadienne s’appuie donc sur la légitimité d’un vote de 0%-plus-zéro pour invalider le principe québécois universellement reconnu du 50%-plus-un.
La Loi 99 (2000)
Il n’est pas étonnant par ailleurs que ni le chef du PLC, ni Mulcair, ni Harper n’aient cru bon mentionner lors du débat, l’existence d’une importante loi adoptée en 2000 par notre Assemblée nationale en réponse à la loi fédérale sur la clarté. Comme son titre l’indique, la Loi 99, encore trop méconnue, concerne «l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du Peuple québécois et de l’État du Québec». Celle-ci réaffirme entre autres que le peuple québécois est le propriétaire exclusif de son avenir et «qu’il détermine seul, par l’entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l’exercice de ce droit.»
À son article 4, elle édicte plus précisément le principe suivant: «Lorsque le peuple québécois est consulté par un référendum tenu en vertu de la Loi sur la consultation populaire, l’option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides, soit cinquante pour cent de ces votes plus un vote.» (Je souligne).
Contestation par Harper de la loi 99 (2013)
En somme, Québec contredit carrément Ottawa sur cet enjeu. L’Assemblée nationale a même voté une motion unanime en 2013 pour réitérer le bien-fondé de la Loi 99, après que le procureur général du Canada se soit joint à une requête en nullité déposée par l’ancien chef du Parti Égalité, Keith Emerson. Les avocats du gouvernement Harper ont affirmé: «En vertu de la Constitution du Canada, le Québec est une province du Canada et la loi contestée ne peut en aucun cas constituer le fondement juridique d’une déclaration unilatérale d’indépendance». L’audition de cette cause a été fixée du 14 au 22 septembre 2016.
Questions pour les chefs du «bloc canadien»
À Stephen Harper:
- Lui qui a soi-disant reconnu la «nation» québécoise en 2006, comment le Premier ministre sortant du Canada compte-t-il expliquer à ladite nation qu’il ne reconnaît ni la validité de la loi 99 ni le droit inaliéniable du Québec à déterminer librement son avenir et son statut politique?
- Est-il prêt à respecter la volonté unanime de l’Assemblée nationale, tous partis confondus, en retirant sa contestation judiciaire de notre loi 99, payée à même les fonds publics?
À Thomas Mulcair:
- Quelle est la position du NPD sur la contestation judiciaire de la loi 99, à laquelle s’est joint le procureur général du Canada?
- En vertu de la Déclaration de Sherbrooke, NPD se dit d’accord semble-t-il avec le principe du 50%+1, même si son chef a déjà admis en 2001 pencher du bord de la clarté référendaire, alors qu’il était député libéral à l’Assemblée nationale, et même si le parti tient un discours contradictoire sur cette question selon qu’il se trouve au Québec ou au Canada anglais. Or, sous sa gouverne, les néo-démocrates, advenant qu’ils soient portés au pouvoir, s’engagent-ils à invalider la loi fédérale sur la clarté?
À Justin Trudeau:
- Est-il d’accord avec le gouvernement britannique qui a admis le principe du 50%+1 dans le cas du référendum sur l’indépendance de l’Écosse? Pourquoi le Québec devrait-il être différent de l’Écosse, considérant que le Canada a hérité du droit anglais?
Maxime Laporte, avocat,
président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Les univers linguistiques parallèles
- 3 septembre 2015
Maxime Laporte32 articles
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Maxime Laporte, LL.B, étudiant à la maîtrise en science politique à l’UQÀM. Président général, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
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