Mes étudiants, déjà adultes, savent que j’écris des chroniques dans ce journal.
Ils savent qu’en plus de mon travail à l’université, je suis payé pour avoir des opinions.
Certains, moins nombreux, savent aussi que j’ai jadis fait de la politique.
Il arrive donc qu’ils me demandent, en classe, mon opinion sur un sujet d’actualité.
Je réponds invariablement que mon opinion n’a pas sa place en classe. Ils n’ont qu’à lire le journal pour la connaître, mais nous n’en discuterons pas.
En classe, on parle de la matière du cours, ce qui n’exclut pas de tirer des exemples de l’actualité pour l’illustrer concrètement.
Réserve
J’ai longtemps donné un cours d’initiation à la société québécoise à des étudiants étrangers.
Quand venait le temps d’aborder la question nationale, forcément incontournable, j’essayais de présenter les arguments des deux camps aussi honnêtement que possible.
J’imagine que plusieurs savaient que j’étais souverainiste, mais j’estimais que je ne devais pas étaler mes convictions ou faire ma propagande.
Donner mon opinion personnelle, même lorsqu’elle est connue d’avance, sur ce sujet ou tout autre, aurait été, me semble-t-il, déplacé, irrespectueux, impudique, presque manipulateur.
Pourquoi ? Parce que le professeur, même à l’université, détient un pouvoir considérable. Alors, imaginez à l’école primaire et secondaire.
Le chroniqueur du Devoir Christian Rioux, dans un texte magnifique (26 avril), citait l’instituteur Louis Germain, qui enseigna jadis à Albert Camus.
Ce devoir de réserve de l’enseignant se justifie, disait Germain, par le « droit de l’enfant de chercher sa vérité ».
À l’école, ce droit de l’élève doit primer sur le supposé « droit » de l’enseignant à étaler de manière péremptoire ses opinions.
Vous me voyez venir.
Vous seriez heurté, cher lecteur, si je vous disais que je donne mes cours avec un macaron d’un parti politique sur mon veston, ou que j’explique longuement aux étudiants pourquoi la souveraineté serait une bonne chose.
Certains étudiants, pas tous, seraient fâchés, mal à l’aise, n’oseraient pas me contredire, marcheraient sur des œufs, etc.
Cela vaut pour la religion.
Comment voulez-vous qu’un enfant à l’école primaire ou secondaire se sente totalement libre de « chercher sa vérité » en matière religieuse devant un prof enturbanné ou une prof voilée ?
Poser la question, c’est y répondre.
L’enfant ne sera pas nécessairement choqué, outré, scandalisé. Je ne dis pas cela. Mais il saura qu’il a devant lui quelqu’un qui ne rigole pas en matière de religion.
L’enfant risque fort de faire attention, ou évitera le sujet, ou dira ce que l’enseignant veut entendre, ou ne questionnera pas, ou ne confrontera pas.
Inévitablement, pour parler comme Germain, l’affichage vestimentaire ou verbal du professeur pèsera sur l’intelligence et la conscience de l’enfant.
Il faut n’avoir jamais mis les pieds dans une classe ou se mentir à soi-même pour prétendre le contraire.
Indissociable
Certains disent qu’il faut distinguer l’école comme institution, qui doit être laïque, de l’enseignant lui-même.
C’est une entourloupette pour faire croire qu’ils sont pour la laïcité tout en étant réellement contre.
En matière de croyances, l’école, c’est l’enseignant, et l’enseignant, c’est l’école.