Le rôle futur du yuan comme monnaie internationale
Infographie. La valeur du dollar s’est effondrée depuis 1971
Mathilde Farine et Frédéric Lelièvre
Le choc de Standard & Poor’s (S & P)
Le Temps: S & P a lancé un avertissement sur la dette américaine en début de semaine dernière. Est-ce le début de la fin du dollar ou un non-événement?
Charles Wyplosz: C’est un événement majeur dans la mesure où on commence à voir la réalisation qu’il y a un problème sur la dette américaine, mais que l’on connaissait déjà. Le vrai problème est en réalité moins celui de la dette que la difficulté à prendre des décisions politiques aux Etats-Unis où la Maison-Blanche est tenue par des démocrates et la Chambre des représentants par des républicains. L’annonce de S & P reflète une inquiétude sur la dette. De là, faire un lien avec le rôle international du dollar est très hasardeux, car il n’y a pas d’alternative.
Pierre Leconte: Le dollar est la monnaie mondiale qu’on le veuille ou non. Aucune tentative des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) d’essayer d’y échapper n’a abouti. Toutes les monnaies de papier vont revenir à leur valeur intrinsèque, c’est-à-dire zéro. Le dollar et l’euro – car il y a là aussi d’importants problèmes – sont engagés dans le concours de la plus mauvaise monnaie. Dans le cas du billet vert, le problème n’est pas tant celui de la dette publique, mais de la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) et de la façon dont on a essayé de résoudre la crise financière. On a laissé les déficits s’échapper et la création monétaire se développer sans contrôle. C’est cela qui sape la valeur de la monnaie. Si le prix des matières premières monte, c’est le signal de la fragilité du dollar.
– C.W.: On ne peut pas dire que la monnaie papier ne vaut rien! C’est une grande invention. Il est vrai que sa valeur dépend entièrement de la qualité de la gestion des autorités monétaires. Or, en un siècle, nous avons progressé dans notre compréhension de ce que doivent faire les banques centrales.
– En a-t-on trop fait pour surmonter la crise financière?
– C.W.: Quand la crise est arrivée un consensus s’est formé autour de l’idée que la crise de 1929 avait été longue et profonde parce que les gouvernements avaient fait des restrictions budgétaires, tandis que les autorités monétaires refusaient de faire redémarrer le système bancaire. La dernière crise a été quasi identique et les réactions inverses: les banques centrales ont réalisé des inventions impensables jusque-là. Résultat, la crise a été relativement brève et peu profonde, les Etats-Unis et l’Europe repartent. Mais rien n’est gratuit et il faudra sortir de cette période de liquidité extrêmement abondante. On pense comprendre comment cela peut se passer, mais on n’a aucune garantie puisqu’on ne l’a jamais fait. Quant aux dettes publiques qui ont augmenté, il aurait fallu simultanément penser à la manière de les résorber.
– P.L.: Le traitement a été judicieux au début pour enrayer l’aspect déflationniste de la crise. Mais c’est allé beaucoup trop loin: les Etats et les banques centrales sont coincés. Si l’on retire l’alimentation monétaire, les économies et les marchés vont replonger. La question est de savoir s’il valait mieux une cure d’austérité momentanée quitte à laisser une déflation pendant un certain temps pour corriger les excès du système passé ou s’il fallait à nouveau créer une bulle qui finira par éclater.
– L’économie est-elle repartie?
– P.L.: Non. La croissance est financée artificiellement par le crédit et n’est pas auto entretenue. Les marchés actions sont repartis, mais ce n’est pas le cas des emplois et du marché immobilier qui sont importants pour la confiance des consommateurs.
– C.W.: Si, l’économie américaine est repartie fin 2009. La reprise n’est pas très vigoureuse, mais elle est bien développée. Le taux de chômage et le marché immobilier sont des variables retardées, qui suivent le cycle. La reprise est auto-entretenue dans la mesure où la consommation et le crédit repartent. Dans ce contexte, les autorités doivent faire preuve de patience: on se promène sur une ligne de crête avec d’un côté une normalisation trop précoce qui ferait retomber en récession et une normalisation retardée qui pourrait amener des tensions inflationnistes. On a vu la Banque centrale européenne (BCE) remonter ses taux, beaucoup ont dit que c’était prématuré. La Fed [ndlr: qui se réunit mercredi] fait preuve de plus de patience alors que la reprise est plus ferme et on l’accuse d’être trop lente…
– P.L.: Lorsqu’une banque centrale achète 70% des émissions du trésor – comme c’est le cas aujourd’hui –, c’est extrêmement pervers. Cela signifie que le marché n’achète plus la dette publique et cela va faire monter les taux à long terme. Si la Chine et d’autres pays émergents cessent d’acheter des instruments du Trésor américain ou européen, on va vers un krach obligataire. Actuellement, il y a un risque de divorce entre les politiques monétaires qui ne sont plus comprises et rejetées par les marchés et ces derniers qui demandent des ajustements que les banques centrales ne sont pas capables de faire sauf à retomber dans une nouvelle crise. La crise n’est pas finie, elle le sera lorsque les politiques monétaires seront normalisées. Les banques centrales ne sont plus stabilisatrices, au contraire.
– C.W.: Non, les banques centrales ont pour objectif de stabiliser les prix et, aux Etats-Unis, le chômage. Elles baissent les taux quand elles anticipent une faiblesse de l’économie et les montent quand elles anticipent une montée de l’inflation. Si on rejette la monnaie fiduciaire et le rôle stabilisateur des banques centrales, on revient à la période précédente avec des économies instables.
Retour à l’or
– Le retour à l’étalon-or serait-il la solution?
– P.L.: C’est impossible notamment parce que les Etats ne vont jamais accepter un mécanisme automatique qui les limite dans la création de liquidité. Ce sont les marchés qui vont imposer le choix de la monnaie mondiale du futur. Si l’or et les métaux précieux augmentent à des niveaux stratosphériques, les banques centrales des pays émergents en achèteront de plus en plus et vendront les monnaies papier. Même les banques centrales des pays développés devront liquider une partie de leur portefeuille de papier, d’obligations souveraines etc. et acheter du métal. C’est à travers la hausse des prix de ces deux métaux qu’on verra une transformation du système.
– C.W.: Retourner à l’or… Se promener à cheval est agréable et moins dangereux que la voiture, qui en plus pollue. Pourtant, c’est la voiture, plus pratique, qui est utilisée. On peut faire le même raisonnement avec la monnaie fiduciaire (papier), qui est un progrès. Mais il est aussi plus difficile de la faire tourner que l’étalon-or.
– Pourtant, beaucoup disent que c’est depuis que les Etats-Unis ont renoncé à cet étalon-or que le monde financier est incontrôlable…
– C.W.: Depuis 1945, on a assisté à une croissance importante et à un élèvement du niveau de vie mondial jamais observé dans l’histoire. C’est le progrès technologique qui l’a permis mais la finance l’a accompagné. Or cette dernière est par essence risquée et faite de crise.
– P.L.: Les Trente Glorieuses ont tout de même coïncidé avec le dollar convertible en or. L’explication vient de la confiance dans la monnaie dont les variations n’étaient pas massives et indéterminées.
– C.W.: Il y a les Trente Glorieuses, qui ont été la période de rattrapage de l’Europe, suivi par les Trente Glorieuses japonaises et les Trente Glorieuses chinoises. Tout cela avec des régimes monétaires internationaux différents.
– P.L.: La stabilité monétaire est quand même favorable à la croissance économique!
– C.W.: Depuis 1973, où l’on a quitté l’étalon-or, la moitié de l’humanité est sortie de la pauvreté. Les régimes monétaires n’ont eu aucun rôle.
– P.L. : On a un système de plus en plus déséquilibré, basé sur la dette et sujet à des chocs violents. On peut faire le parallèle entre le cheval et la voiture. La comparaison serait plutôt à faire avec les accidents nucléaires qui seraient la monnaie papier…
– C.W.: C’est une très bonne comparaison. On peut se chauffer avec le bois ou avec l’énergie nucléaire. Le second est dangereux mais extraordinairement efficace, tandis que dans le cas du premier il faut aller ramasser son fagot chaque matin.
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