Sur un mur de la faculté de Nanterre (où Mai 68 a en réalité débuté le 22 mars), on pouvait lire un des innombrables graffitis qui ont contribué à mythifier ces événements: «Vous finirez tous par crever de confort». Est-ce que cela ne rappelle pas le célèbre «Vous êtes pas tannés de mourir, bande de caves?» du poète Claude Péloquin, gravé dans le béton du Grand théâtre de Québec?
Deux constatations. D'abord, l'«esprit Mai 68» légua un héritage universel, à tout le moins occidental, qui devait prendre diverses formes de Paris à San Francisco en passant par chez nous.
Dans sa version dure, cet héritage fut le terrorisme d'extrême-gauche à l'allemande, à l'italienne ou même à l'américaine, avec la bande à Baader, les Brigades rouges et autres Weathermen. Quant à eux, les activistes français surent s'arrêter avant de franchir ce cap.
À l'autre extrémité du spectre, émergea la quincaillerie de la contre-culture et de l'«âge du Verseau», qu'on allait utiliser pour assembler toute une gamme de produits dérivés d'inégale valeur. L'usine allait ainsi livrer une nouvelle culture populaire inventive et puissante. Mais aussi les gadgets à deux sous des spiritualités ésotériques, de la croissance personnelle, de la psycho-pop et du culte du «moi»
Ce fut l'auberge espagnole, en somme: à chacun son Mai 68.
À voir le nombre et la disparité des courants de pensée alors à l'oeuvre, c'était inévitable. Le maoïsme façon Révolution culturelle et l'hédonisme du flower power . La naissance d'une «culture jeune» et le dépoussiérage d'antiques sagesses exotiques. Le nationalisme lourd et l'internationalisme ouvriériste ou écolo. Le pacifisme né de la télédiffusion en boucle des images du Vietnam et un tiers-mondisme ne dédaignant pas la bonne violence, celle exercée par les «opprimés» reconnus comme tels
Pas étonnant qu'on ne s'y soit jamais retrouvé!
Et que, depuis 40 ans, des bibliothèques entières aient été montées dans le but de livrer l'ultime explication de Mai 68. Seulement cette année, quelque 80 ouvrages sur le sujet paraissent en France - dont une poignée de récits émanant d'enfants de soixante-huitards, parfois très critiques à l'endroit du gros party de leurs parents.
Pourtant, et c'est le second constat, on trouvera dans ce fouillis quelques dénominateurs communs.
Politiques ou libertaires, toutes les factions impliquées ont bâti d'un commun accord (inconsciemment, bien sûr) une durable relation d'amour-haine avec la liberté individuelle; avec la prospérité; avec la philosophie matérialiste que l'une et l'autre alimentent ainsi que l'appareil politico-économique qui les permet.
Ce code est toujours en vigueur aujourd'hui. La démocratie libérale occidentale est le système probablement le plus détesté de l'intérieur que l'humanité ait connu. En même temps, il est le seul dans lequel les soixante-huitards et leur progéniture seraient capables de vivre.
À cause de son confort moral, intellectuel et matériel, justement.
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