"Nous et eux / L'irréductible pouvoir du nationalisme ethnique" - Jerry Z. Muller

Nous et eux

Livres - 2008


L'appartenance ethnique a joué au siècle dernier un rôle plus grand que celui qui lui est en général attribué. Et, tout comme l'appartenance religieuse, elle sera un moteur déterminant de la géopolitique au cours du siècle qui vient de débuter. L'écrivain et homme politique André Malraux parlait d'un XXIe siècle «religieux»; Jerry Z. Muller, historien et auteur, évoque pour sa part un XXIe siècle «ethnique».


Il le fait dans un essai publié par la prestigieuse revue Foreign Affairs (nous traduisons): Nous et eux / L'irréductible pouvoir du nationalisme ethnique.
Aujourd'hui même, la cause tibétaine pèse sur les Jeux olympiques; l'Irak et l'Afghanistan sont déchirés par des clivages autant tribaux que religieux; le monde vit encore avec les conséquences des tragédies de l'Holocauste, du Rwanda ou des Balkans - en présence d'aussi effroyables tueries, on hésitera à mentionner que, sur un mode mineur, l'appartenance ethnique a été accusée d'avoir saboté la souveraineté du Québec sans parler d'un récent «nous» qui a donné lieu à bien des interprétations! Devant tout cela, bref, on ne peut faire autrement que contempler, tout comme Muller, la «charge émotive de l'ethnonationalisme, qui repose sur la notion de famille élargie ultimement unie par des liens de sang».
On peut voir la chose comme assez désespérante, puisque les conflits d'inspiration ethnique ou religieuse sont à la fois les plus persistants, meurtriers et difficiles à résoudre.
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Mais la réalité est têtue.
Nous avons déjà vu, dans cette colonne, comment la foi religieuse durera encore pour des siècles et des siècles malgré son caractère irrationnel et son catastrophique bilan. Et ce, tout simplement parce qu'elle est cimentée (l'anglais hardwired est plus parlant) dans la psyché humaine, individuelle et collective. Muller dit la même chose de la «foi» ethnique. Il écrit: «Ce qui importe, c'est la foi subjective en un nous commun» qui, comme la religion encore, est non pas affaiblie par la modernité, la prospérité et la démocratie, mais bien vivifiée par elles.
L'auteur ne voit pas que de mauvais côtés à cette sorte de fixation séculaire. Ainsi, l'histoire de l'Europe enseigne que l'homogénéisation ethnique des différentes nations du continent, qui s'est poursuivie tout au long du XXe siècle, a bel et bien apporté la paix et la stabilité aux Européens.
Mais les mêmes causes n'entraînent pas partout et toujours les mêmes effets. Ainsi, l'Europe est aujourd'hui à nouveau secouée par les nouvelles vagues, différentes, d'immigration. Et un continent comme l'Afrique n'a pas fini de remodeler ses frontières au gré des heurts ethniques et postcoloniaux qui y sévissent. «Cette malheureuse réalité crée un dilemme pour les tenants de l'intervention humanitaire, car imposer et maintenir la paix entre des groupes qui se haïssent et se craignent nécessitera de longues et coûteuses missions militaires», prévient Jerry Muller.
Nous sommes déjà entrés dans cette ère, on le voit bien.
Et, de fait, la lourdeur des opérations d'imposition de la paix qui seraient nécessaires en divers points du globe paralyse déjà la communauté internationale.


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