Ceux qui ont vécu la tragédie

11 septembre 2001


Il y a des gens pour qui l'expression «le monde a changé le 11 septembre 2001» a une signification toute particulière. Parce que dans ces attentats terroristes, ils ont perdu un être cher et, aujourd'hui, ils craignent qu'on oublie.
Ce jour-là, près de 3000 personnes ont perdu la vie à New York, dans les attaques sur le World Trade Center, mais il y a aussi eu 184 victimes au Pentagone, en Virginie, à un jet de pierre de la capitale américaine.
Tous ont une histoire à raconter sur leur 11 septembre. Certains ont eu un pressentiment, d'autres ne voulaient tout simplement pas y croire, d'autres encore se sont précipité au travail.
Jim Laychak a perdu son frère Dave dans l'attaque au Pentagone et il préside aujourd'hui le comité qui veut y faire construire un mémorial «entièrement financé par des fonds privés», s'empresse-t-il de dire.
M. Laychak qui demeure à trois kilomètres du Pentagone regardait à la télé les événements qui se passaient à New York quand il a entendu et surtout senti une explosion. «Tout de suite, je me suis dit que c'était le Pentagone qui était attaqué, mais je n'ai jamais pensé que Dave y était».
Son frère, un employé civil du Ministère de la défense, avait travaillé à l'extérieur du Pentagone depuis quelques mois à cause de rénovations à l'édifice. «Je n'étais pas inquiet, je ne savais pas qu'il était retourné à son bureau habituel», dit Jim Laychak.
Ce ne sera que plusieurs heures plus tard qu'on découvrira que Dave ne donne pas de nouvelles et il faudra quelques jours encore pour avoir la confirmation de son décès.
«Cinq ans après, cela nous fait nous rendre compte de la rapidité avec laquelle la vie peut basculer», dit-il. Mais il croit que les Américains ont trop facilement oublié comment ils se sont sentis ce jour-là. «On a oublié comment nous nous sommes sentis solidaires, comment au-delà des divisions, il n'y avait qu'un seul pays. C'est juste le passage du temps qui fait ça, mais il ne faut pas oublier».
C'est pour cela qu'il faut, dit-il, bâtir un mémorial pour ceux qui sont
morts au Pentagone. Pas juste pour se souvenir des victimes, mais pour que les vivants retrouvent un peu de la solidarité qu'ils ont ressenti en cette journée qui a marqué leur vie.
Rosemary Dillard, elle, a tout de suite senti que quelque chose n'allait
pas. Après avoir déposé son mari Eddie à l'aéroport Dulles, elle s'est rendue à son travail de superviseur des préposés aux réservations à
National, l'autre aéroport de la ville.
C'est là qu'elle a entendu parler des attentats de New York. Mais dès
qu'elle a entendu parler que deux autres avions avaient été détournés «j'ai comme ressenti une attaque de panique». Quelques instants plus tard, on lui annonce que le vol American Airlines 77 avait été détourné. «J'ai crié : mais c'est impossible, Eddie est à bord de ce vol».
Mais Mme Dillard a tout de même trouvé les ressources pour faire son travail, mettre en place un plan d'urgence pour que les téléphonistes de sa compagnie aérienne puissent répondre aux demandes des familles. «On a beaucoup parlé des premiers répondants, des pompiers et des services de secours. Mais les employés des compagnies aériennes ont aussi été en première ligne, que ce soit dans les avions ou, au sol, pour répondre aux familles et les réconforter».
Quelques minutes plus tard, on faisait évacuer l'aéroport National et Mme Dillard est sortie en courant, comme tous les autres employés. «Ce dont je me souviens, c'est de voir tous ces avions militaires qui volaient à basse altitude», dit-elle.
Après avoir attendu plusieurs interminables minutes, l'intervention d'un chef pilote d'American Airlines l'aide à convaincre les policiers de la laisser rentrer chez elle. «Sur l'autoroute, je suis passé devant le Pentagone, on ne pouvait pas s'arrêter, on ne pouvait rien faire, on ne pouvait que pleurer», dit-elle, la voix encore brisée par l'émotion.
Pendant ce temps, Bill Donleavy, un pompier pour la municipalité
d'Alexandria, la plus proche du Pentagone, venait d'arriver au site. «Je me souviens surtout de l'odeur du carburant d'avions et que, partout par terre, il y avait des pièces d'avion, le plus souvent pas plus grosses que des boulons. ça vous donne une idée de la force de l'impact et de l'explosion», dit-il.
«Dès que nous sommes arrivés, nous savions que nous n'allions pas retrouver de survivants parmi les passagers de l'avion», dit-il. Ce qui n'allait pas l'empêcher de passer trois jours sur le site à aider les blessés, puis à récupérer les corps de ceux qui se trouvaient dans le Pentagone et à ramasser des débris.
Après 22 ans de métier, il affirme qu'il faut avoir une sorte de carapace pour être capable de faire son travail dans ce genre d'événements. «Il y a des pompiers qui ont démissionné après le 11 septembre. Je ne leur en veux pas, mais on ne doit pas laisser les événements nous atteindre dans ce genre de métier. Ça ne veut pas dire qu'on oublie, mais on ne peut pas laisser de tels événements prendre le dessus», dit-il.
Alors que tout le monde, sauf les services d'urgence, quittait le Pentagone, le Colonel William Broome, essayait d'y accéder avec ses collègues. Le Colonel Brooke est aussi le Révérend Brooke. Il est aujourd'hui l'aumônier du Pentagone, un poste qui n'existait pas le 11 septembre 2001.
«Pendant la première demi-heure, nous ne pouvions pas retourner vers le Pentagone, parce cette attaque aurait pu n'être qu'une première vague. Mais nous étions tous en état de choc à l'idée que cet édifice ait pu être attaqué», dit-il.
Dès qu'on l'a laissé passer, le Colonel Brooke s'est mis à rencontrer
blessés et sauveteurs par petits groupes, les enjoignant de faire confiance à leur foi pour passer à travers cette épreuve. Mais, en même temps, il dit avoir été ébranlé par le nombre de pertes de vie. «On savait ce qui était arrivé à New York, notre tragédie s'ajoutait à la leur, on ressentait tous une peine immense pour autant de victimes innocentes», se souvient-il.
En même temps, comme par une seconde nature, il savait que les attaques du 11 septembre allaient signifier une action militaire américaine quelque part, à court ou moyen terme, et dès le lendemain, il commençait à faire des plans informels pour envoyer des aumôniers militaires avec les troupes.
«Nous avons aussi bien des rabbins, des imams que des chrétiens de toutes dénominations», toutes les religions représentées au sein des troupes américaines. Et, pour lui, il est important de montrer que toutes les religions veulent la paix et qu'il ne fait cibler personne.
«Au service commémoratif du 11 septembre, chaque année, il y a un imam qui prend la parole et c'est très important qu'il soit avec nous», affirme-t-il.
Pour lui, le 11 septembre 2001 aura profondément changé ceux qui l'ont vécu. «Il y avait une innocence qui est disparue. On comprend maintenant que le monde n'est pas un endroit où on pouvait presque tout faire en se sentant quand même en sécurité».
Mais c'est comme homme de foi qu'il dit avoir vu des changements. «Cela nous a fait réévaluer notre place dans le monde et nous a montré la nécessité de nous écouter et de nous comprendre au-delà des barrières», soutient-il.
Vu de l'extérieur de l'édifice du Pentagone, on ne saurait pas qu'un avion a percuté un des côtés, il y a cinq ans à peine. Reconstruit remarquablement rapidement, seule une petite pierre noircie par l'explosion et portant la simple inscription 11 septembre 2001 rappelle ce qui était le «Ground Zero» de cette tragédie. Mais à l'intérieur, au lieu des bureaux qu'on y trouvait autrefois, on retrouve une petite chapelle, dont le Colonel Brooke a désormais la charge.
À l'extérieur, on veut y construire un mémorial aux victimes où l'on
retrouvera un parc et un banc pour chacune d'entre elles.
Ce mémorial est important, dit Tom Heidenberger qui a perdu son épouse, Michelle, agente de bord sur le vol AA 77 pour se souvenir de cet événement et de cette journée de façon sereine et constructive.
«On peut vivre dans le passé ou dans l'amertume. Mais le désir de vengeance ne me ramènera pas ma femme et ça ne nous ramènera pas les 3000 autres victimes. Ériger un mémorial ici, c'est un geste positif pour dire qu'on n'oubliera jamais mais qu'on va de l'avant».


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