Ce que cache l’affrontement Couillard-Fournier

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« Sous les libéraux, les intérêts privés ont pris le contrôle de l'État. »

La vidéo circule beaucoup. Je parle de celle qui met en vedette le premier ministre Philippe Couillard et la députée péquiste de Marie-Victorin, Catherine Fournier. Interrogeant le PM lors de l’étude des crédits Jeunesse du Conseil exécutif, l’élue faisait remarquer que 6 des 11 jeunes administrateurs nommés aux conseils d’administration des sociétés d’État avaient des liens, directs ou indirects, avec le Parti libéral du Québec. Depuis 2016, la loi oblige la présence d’au moins un jeune de moins de 35 ans aux conseils d’administration des 23 sociétés d’État du Québec.


Le premier ministre a été d’une suffisance exemplaire, supposant que son interlocutrice était ignorante (notamment du concept d’éco-fiscalité) en plus d’afficher sa déception vis-à-vis du fait que cette dernière ne faisait pas de «politique autrement». Non seulement ce concept est creux à souhait et ne veut strictement rien dire, mais d’entendre ces mots de la bouche de M. Couillard, c’est quand même le comble.


Quoi qu’il en soit, le problème du mode de nomination dans les CA des sociétés d’État est systémique, et est donc beaucoup plus important que la seule question des nominations des amis du régime. Les CA ont plutôt été l’objet d’une privatisation en douce.


Il faut retourner en 2006, alors que Jean Charest dirigeait le gouvernement du Québec. La Loi sur la gouvernance des sociétés d’État a alors été adoptée, pour être modifiée à plusieurs reprises entre 2007 et 2012 pour ajouter plus de sociétés.


La loi imposait la nécessité d’un CA aux deux tiers (dont le président) composé d’«administrateurs indépendants». Qu’est-ce que ça veut dire, un «administrateur indépendant» ? Ce n’est certainement pas être indépendant du parti au pouvoir, comme l’intervention de la députée Fournier l’indiquait.


C’est plutôt quelqu’un qui n’est pas lié à l’État, ni d’en haut, ni d’en bas, donc ni de la société en elle-même ni d’une quelconque branche administrative. Vous ne pouvez donc pas être, pas faire carrière chez Hydro-Québec et vous retrouver ensuite au CA, tout comme il vous est impossible d’être, comme jadis, un grand fonctionnaire de l’État à qui on demande de devenir administrateur à la Financière Agricole.


On l’aura compris : la porte était grande ouverte au milieu des affaires pour prendre le contrôle des biens publics. Pour les libéraux, une vision business au sein de l’État est évidemment souhaitable, reposant sur l’idée que les services doivent être gérés comme des entreprises. Pour les entrepreneurs, cet accès privilégié aux CA des sociétés d’État est une porte ouverte pour réseauter, et pour connaître les futures occasions d’affaires qui accompagnent les politiques à venir.


On en oublierait presque l’essentiel : c’est l’État qui est l’actionnaire – unique ou majoritaire – de ces sociétés. C’est une remarquable alternative à la privatisation de type conventionnel : pourquoi vendre l’entreprise publique quand il suffit d’en abandonner le contrôle ?


Sous les libéraux, les intérêts privés ont pris le contrôle de l’État québécois.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).