Casser la dichotomie entre radicalisme et fascisme

Réponse à Mathieu Bock-Côté sur «À propos de l’article 29 de la loi 78»

Tribune libre

Tout d’abord, j’exhorte tous un et chacun à tenir le niveau du débat en respect. Nous avons tous nos positions et nos différents vecteurs d’analyse des enjeux sociaux. Parmi la pléthore des points de vue nettement à droite et/ou empreints d’un unitarisme sans coup férir, nous pouvons noter quelques exceptions au sein du paysage médiatique québécois. Beaucoup de gens maudissent la coloration populiste de droite qu’emprunte Mathieu Bock-Côté. Il reste du moins l’un des rares souverainistes de sa profession. Pour ma part, bien que je soie de gauche, je me fais un devoir d’étudier les positions de tous un-e et chacun-e.
Dans un de ses derniers textes en réaction à l’adoption de la loi 78, Mathieu Bock-Côté a tenu à affirmer sa position «toute en nuances». Pour ma part, je reviendrai sur certains de ses propos à mesure que j’analyserai les prépositions divergentes de son discours. Tout d’abord, il convient de revenir sur cette assertion, centrale à mon exposition des faits tels que je les perçois : «D’un côté, on s’arme contre la révolution. De l’autre, on hurle au fascisme et on en appelle à la résistance contre l’État totalitaire.» Que traduit cette affirmation pour l’essentiel? Y a-t-il un effort de conceptualiser le débat sémantique et d’arriver aux termes de ce qu’on dénonce? Il est permis de nous interroger sur les prémisses de ce que Mathieu Bock-Côté nous écrit.
Une grande part de ce qui pourrait entreprendre un effort d’explication de la phénoménologie du fascisme des mœurs politiques se trouve dans le texte «Stratégies fascistes dans la gestion de crise au Québec» que nous pouvons lire sur Vigile.net. Nous pouvons y lire :
«Depuis le début de la grève étudiante, le gouvernement libéral emploie cette tactique fascisante sur le langage qui vise à vider les mots de leur sens, voire à proposer l’emploi d’un mot plutôt qu’un autre dans le but d’exercer un contrôle sur la population à même sa langue.»
Nous avons pu le voir au moment de l’énonciation de la fausse tautologie de la «juste part», parmi tant de termes empruntés à saveur de «boycott». Il serait inutile de les énumérer tellement la foison frôle l’amalgame racoleur.
Comme nous le savons, la présente grève s’est révélée d’une ampleur inattendue. Bien sûr, nous avons été témoins de la grève de 2005. Le gouvernement Charest était alors aux commandes. Aujourd’hui encore, le gouvernement John James subsiste. Il a gagné cette dénomination à la faveur des événements de Victoriaville, d’un poème intitulé «Naître» et du contexte insurrectionnel dans lequel il nous a plongés depuis la conférence du Plan Nord au Palais des Congrès de Montréal. La loi spéciale n°78 et le marathon de la non-négociation se révèlent comme le supplice de la goutte d’eau. Souvenons-nous, le gouvernement Trudeau proclamait la loi sur les mesures de guerre sur la demande expresse de Robert Bourassa et une vague d’arrestations s’ensuivit. Aujourd’hui même, nous avons dépassé le cap en matière de coup de force : plus d’arrestations, davantage de brutalité policière et sus aux armes. Mais ce qui apparaît d’autant plus incongru dans le contexte, c’est cette frénésie de contrôle de la part du gouvernement qui s’accroche au pouvoir. Tolérant mal l’humour venant d’autrui et les bravades, il tient coûte que coûte à soumettre et écraser les étudiant-e-s québécois-es. Malgré ce qu’en diront les chroniqueurs et éditorialistes patentés de Gesca-La Presse, nous ne pouvons prétexter un point de vue technique et avocassier qui réfuterait d’avance toute comparaison possible avec le climat régnant autour de la crise d’Octobre 1970.
Transcrire le principe d’une loi spéciale, c’est faire siennes les intentions en matière de gouverne d’État. Je trouve maladroit et même malencontreux de présumer qu’il s’agit tout simplement d’un manque de respect, d’une exaspération et de cynisme consommé dont fait preuve le gouvernement John James. L’exaspération ne serait pas un simple reflet de pulsion sécuritaire. Mimer l’exaspération relève plutôt du calcul et du théâtre politique. Nous en avons eu la preuve avec la procession des ministres et des tractations sur le fil du temps. Encore hier, Pierre Moreau nous servait cette ineptie :
«C'est inacceptable d'allumer des incendies au coeur d'une ville et, surtout, c'est absolument odieux d'empêcher les pompiers de faire leur travail et de s'en prendre aux pompiers. Ces gens doivent subir les foudres de la loi»
Comment alors expliquer que les pompiers restaient impassibles face au feu et ne faisaient rien pour l’éteindre durant une période de temps assez prolongée? Allons-nous prétexter qu’ils étaient bloqués? Moreau devait être encore assommé par l’effet de foudre qu’il tentait de nous instiller sous forme de loi…
Envisager l’avenir en marge de quelque fin de cycle politique ne va pas sans ruptures ou encore discontinuités par rapport à ce qui se faisait auparavant. Dans le cadre d’une vocation révolutionnaire, il nous faut préserver les germes de ce qui vivifie une conscience. D’aucuns se sont manifestés pour prêter des traits fascistes au gouvernement John James. En ce qui me concerne, j’ai allégué dans une de mes chroniques que le premier ministre John James s’enfermait dans une dérive trudeauiste. Certains ont déjà avancé par le passé que Pierre Elliott Trudeau portait en lui une pulsion qui l’amenait à réprimer ses semblables québécois et qu’il traitait le nationalisme telle une tare et l’assimilait à du fascisme. Les leçons historiques apprises devraient nous permettre d’établir compte tenu que l’histoire peut avoir tendance à se répéter, elle peut être aussi le fait d’un conditionnement social. En attendant, pour relancer la polémique :
«Quiconque, par un acte ou une omission, aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet lui-même cette infraction et est passible de l’amende prévue […]»
Je statue sur la trêve de l’abus de langage. Disons, pour dire les choses crûment, que le gouvernement ne s’embarrasse point de détails pour intimider à outrance et que les actes des corps policiers en rajoutent à l’emphase de sa conduite depuis le début de la crise. Tenter d’embellir la réalité et prétendre que les policiers font de leur mieux dans un contexte difficile ne peut tenir à un examen attentif du contexte. Comment alors interpréter cet usage excessif de la force sur la terrasse du bar Saint-Bock?
Pour récapituler, Gabriel Nadeau-Dubois incarne l’image d’une révolution. Pourtant, nous pourrions prêter quelques traits de radicalisme qui tendent vers un réformisme. Par exemple, Patrick Bourgeois se déclarant insurgé pourrait laisser place à une certaine interprétation de la situation. Pour sa part, Louis Préfontaine nous devance tous d’une révolution à sa manière comme théoricien. Toutefois, d’un personnage à l’autre, nous jouons de variantes politiques. En ce qui me concerne, je déclare que le radicalisme est l’obtention du changement à l’élection, que la révolution est soit la gratuité scolaire et/ou la reddition du gouvernement, et que le fascisme se trouve dans le maintien à perpétuité du régime actuel. Nous ne pouvons jamais dire de façon certaine fascisme. Toutefois, il ne faut jamais dire jamais et la radicalité de la riposte gouvernementale tuerait les mouches que nous serions au canon.


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3 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    23 mai 2012

    M. Presseault.( si webmestre le permet)
    « Toutefois, je n’entends pas crier victoire tant et aussi longtemps que nos démarches collectives demeureront en suspens. ».
    C’est exactement ça. Nous sommes d’accord.
    Avant que Bourassa « demande » à Ottawa d’agir en 1970, il y avait eu le maire Drapeau qui s’était inquiété auprès de Québec, et qui avait « incité » Bourassa. Le Québec d’alors était possédé par une même gang composée de trois chefs canadiens-français : Trudeau, qui rêvait déjà d’en découdre avec les nationalistes, Bourassa, qui calculait, et Drapeau, impérial encore au lendemain de l’Expo 67.René Lévesque était le grand challenger du trio.
    Les choses ont changé considérablement depuis : Charest ne pourrait plus faire appel à Ottawa sans se couvrir de ridicule, et ce n’est pas une grande surprise que le maire de Montréal, encore une fois, monte à la barricade pour défendre les commerçants de la Catherine. Mais…mais le voyez-vous ? Harper s’indiffère de ce qui se passe ici, parce qu’il craint comme la peste que le West Island se réveille et se sente menacé, et qu’il ameute ensuite l’électorat ontarien. C’est ça, la ligne des conservateurs d’Ottawa : larguer le West Island en douce pour se gagner définitivement l’Ontario, et fabriquer un parti de gouvernement avec le P.C. Cette ligne est brisée et laisse apparaître une brèche. C’est cette brèche-là, historique, qui constitue la chance historique donnée à l’idée de l’indépendance. La voyez-vous ? Je crois—je peux me tromper—que l’équipe Marois l’a vue. Et si elle l’a vu, cette maudite brèche, ce n’est d’aucune utilité que cela soit inscrit dans le programme politique du P.Q. L’indépendance est à faire, à faire, à faire s’tie, jour après jour, avant qu’elle ne soit proclamée et chantée.
    Il n’est pas requis que les associations étudiantes déclarent vouloir faire tomber le gouvernement, si telle était leur volonté. Mais si de fait il tombait, si la gang à Charest était chassée, c’est Nous tous qui pourrions prendre la place occupée présentement par le West Island. Nous pourrions recommencer à grandir. La lutte des étudiants (pas des casseurs) est donc d’une très grande importance historique, bien plus grande que le seul sujet des frais de scolarité, dont je ne minimise pas l’importance par ailleurs.
    Entre les événements d’Octobre et ceux de maintenant, la différence, énorme, tient à ceci que le peuple québécois n’a plus peur (c’est tellement évident… et c’est précisément pourquoi il se permet d’être si excédé par la longueur du conflit étudiant) des autorités qui tiennent encore Montréal, Québec et Ottawa.
    Les morveux, les fatigants et les pas-reposants, les étudiants pourraient bien être l’Étincelle attendue depuis bien longtemps.

  • Élie Presseault Répondre

    22 mai 2012

    @ Marcel Haché
    «La méthode politique de matraquage médiatique actuelle n’a pas la même ampleur que celle pendant les Événements d’Octobre.»
    J’imagine que le vécu de quelqu’un peut suppléer à ce qui fut sans doute l’un des événements les plus violents de l’histoire du Québec. Toutefois, je crois comprendre que la méthode douce appliquée à plus grande échelle de nos jours peut provoquer d’autant des conséquences létales. Ceci dit, nous avons pu lire dans Le Devoir de la fin de semaine dernière la grande diversité des opinions parmi les historiens à l'égard de la présente crise et de ses comparables historiques.
    «En 1970, c’est l’état fédéral lui-même qui avait donné le signal de frapper fort. De frapper fort et pour longtemps.»
    Sur autorisation de qui? Robert Bourassa lui-même avait donné son aval à ce qu’on fasse appel à l’armée. Ce fait qui était autrefois méconnu nous donne un portrait d’ensemble du tricheur, du naufrageur et du marathonien immobile. Cette duplicité politique qui a persisté de 1970 à 1992 a sans doute fait mal.
    «Le fédéral avait profité de la crise provoquée par le F.L.Q. pour éradiquer tant qu’il le pouvait, l’idée que la violence pouvait servir la cause de l’indépendance du Québec. On est loin du compte avec la loi 78»
    Déposséder autrui de certaines de ses dispositions les plus fondamentales met à mal sa capacité immédiate d’agir. Dans le cas de la violence politique, l’État défend ses prérogatives d’avoir le monopole en ce sens. Vous pouvez effectivement tracer un parallèle entre deux tendances opposées qui eurent lieu au mois d’octobre 1970 et dans l’éventualité de la loi 78, soit le rapport de force divergent avec la violence. Chose certaine, les présentes réflexions nous aident à cheminer dans le sens d’une appropriation pleine et entière de notre démarche nationale.
    «Il est troublant, en effet, de voir des pompiers tarder à éteindre des feux. Mais cela n’est pas surprenant du tout de voir les médias utiliser les feux à des fins politiques.»
    Avant tout, il s’agit de médias et de rapport de pouvoir. Je ne saurais, à la lumière des faits exposés, donner carte blanche au gouvernement dans sa gestion de la crise. Vous parlez de Mme Beauchamp. Pour ma part, je considère que nous devons maintenant consacrer l’ensemble de nos efforts à la résolution de la présente crise et ce, peu importe qui sera devant nous à la table. Bien sûr, nous sommes actuellement face à un gouvernement de fin de régime. Toutefois, je n’entends pas crier victoire tant et aussi longtemps que nos démarches collectives demeureront en suspens.

  • Marcel Haché Répondre

    22 mai 2012

    La méthode politique de matraquage médiatique actuelle n’a pas la même ampleur que celle pendant les Événements d’Octobre. On en est très loin. Le public de maintenant est un public bien mieux averti. Le nombre d’arrestations n’est pas une mesure adéquate. En 1970, c’est l’état fédéral lui-même qui avait donné le signal de frapper fort. De frapper fort et pour longtemps. Le fédéral avait profité de la crise provoquée par le F.L.Q. pour éradiquer tant qu’il le pouvait, l’idée que la violence pouvait servir la cause de l’indépendance du Québec. On est loin du compte avec la loi 78, même si la méthode actuelle du gouvernement Charest s’apparente à celle de Trudeau, parce qu’il s’agit toujours, toujours, de la même gang dressée contre Nous.
    Il est troublant, en effet, de voir des pompiers tarder à éteindre des feux. Mais cela n’est pas surprenant du tout de voir les médias utiliser les feux à des fins politiques. Je me souviens très bien comment la police avait agi à Mtl-Nord lors des fameux saccages d’il y a quelques années : pendant de très longues minutes, au moins une demi-heure—et une demi-heure, c’est amplement suffisant aux casseurs pour instaurer l’enfer-- les chaînes L.C.N et R.D.I. n’étaient pas accordées. On nous montrait les casseurs en action à L.C.N. pendant qu’à R.D.I. on nous montrait la police en attente, dont on ne pouvait pas comprendre l’inaction, d’autant que le gros des troupes policières que nous montrait R.D.I. était à un coin de rue des casseurs. Tout cela s’était passé, eh oui, à une courte distance de 6-7 coins de rues du bureau de comté de qui pensez- vous ? Eh oui, ben oui, de Line Beauchamp (présentée maintenant par les médias comme une colombe et une victime dans la crise étudiante) et de son attaché politique d’alors, Gilles Deguire, eh oui, lui-même alors récent retraité de la police, ah ben, maintenant maire de Mtl-Nord, ah ben encore.
    S’il y avait une filiation de tout ce beau monde, en fait une petite gang, ce serait celle de toujours Nous nuire, en tout temps et en tous lieux, gauche et droite confondues.