Depuis quelques semaines, de nombreux médias nous informaient des difficultés éprouvées par le géant britannique de la construction Carillion (5,2 milliards de £ de revenus en 2016, 43 000 emplois majoritairement en Angleterre dont 6 000 au Canada) sur le point de déposer son bilan. C’est ce dont nous informait The Guardian dans son édition du 12 janvier:
Or, le couperet est tombé: les créanciers ont refusé de restructurer la dette et Carillion a déclaré faillite. Pourquoi une telle nouvelle devrait être d’un intérêt pour nous? Eh bien pour les enseignements qu’on peut en tirer…
Les fameux « PPP » de Margaret Tatcher
Il importe de préciser que Carillion était une entreprise de petite-moyenne envergure jusqu’à ce que le gouvernement britannique ne lance les fameux « partenariats publics privés » au début des années 1990. La formule était séduisante: plutôt que l’état emprunte des sommes importantes pour aménager les infrastructures publiques (et inscrire les dettes à son bilan), moyennant des redevances intéressantes et garanties par l’état, le secteur privé prend en charge la construction et le financement des infrastructures publiques telles les routes, les écoles, les hôpitaux,… à telle enseigne que la formule s’est répandue et représente le « modèle de développement des infrastructures » en place au Royaume Uni aujourd’hui.
A cet égard, Carillion a largement profité de ce nouveau mode d’opération pour se hisser au 3ième rang en importance parmi les entrepreneurs du Royaume Uni, associé tant à la construction qu’au financement des infrastructures pour lesquelles elle était assurée de royautés « généreuses » jusqu’à l’extinction des ententes.
Les déboires liés à certains contrats
S’agissant de l’aménagement d’infrastructures sous forme de contrats PPP, la compétition entre les consortiums est « vive » et les marges de profit relativement faibles (ce qui procure peu de marge de manoeuvre en cas de problématique) et un retard subi sur un chantier, la faillite d’un sous-contractant,… peut réduire à néant les profits escomptés lors de la construction initiale. C’est ce qui s’est produit pour Carillion dans quatre contrats d’importance relatés par The Guardian dans son édition du 15 janvier;
The four contracts that finished Carillion – The Guardian – 2018-01-15
Les marges de profit étant minimes, pourquoi les consortiums s’impliquent-ils dans des projets PPP?
« PPP is one of those financial inventions that was sold as being a win-win for both sides: the companies could be awarded lots of lucrative contracts to build stuff for the state; the government would get new infrastructure more quickly and without the financial risk, as private companies would bid for the work and the market would ensure taxpayer value.
At least, that was the theory. What actually happened was that companies kept bidding for projects, but tough competition meant the contracts came with skinnier and skinnier margins. So, if problems occurred, a contractor’s 2% profit would not just be wiped out – huge losses could be incurred too. »
Un des avantages marqués des contrats PPP réside dans le fait que, dès la conclusion de l’entente, l’état verse au promoteur une importante « mise de fond » laquelle s’ajoute à son fonds de roulement (servant à financer le projet ainsi que d’autres contrats en cours) et augmente ses liquidités pour s’engager dans d’autres projets proposés par l’état. Mais, surtout, dans le fait que les contrats PPP s’avèrent une source de « royautés » qui seront octroyées au consortium jusqu’à l’extinction des ententes et qui s’avèrent très lucratives pour le consortium retenu pour le projet.
« Flipper » les contrats pour les revendre à des investisseurs
Dans une précédente chronique, on présentait le mécanisme de la « titrisation des avoirs financiers » tels les hypothèques, les prêts à la consommation, les prêts étudiants,… où, par ce mécanisme, l’institution financière qui émet ces titres de créance peut les revendre, par la suite, à des tiers partis et en tirer de substantiels profits. Ce mécanisme en place depuis le début des années 1980 est aujourd’hui généralisé et constitue l’essentiel des portefeuilles des grands groupes financiers, dont les régimes de retraite au premier plan. La titrisation des titres financiers (« monetization » ou financialization » en anglais) est également dénommée un « flip » dans le jargon financier.
Or, en ce qui concerne les projets dans lesquels Carillion a été impliquée, dans la mesure où ces projets génèrent de généreuses royautés aux associés du consortium, elle a « flippé » (i.e. « revendu ») à des tiers les royautés futures qu’elle était censée recevoir afin de verser des dividendes à ses actionnaires et augmenter la valeur boursière de l’entreprise. De ce fait, dans la mesure où ces royautés avaient été cédées, elle n’était plus en mesure de souscrire des emprunts (afin de financer des manques de liquidités à court terme) puisqu’elles avaient déjà été cédées à des tierces parties.
Au surplus, dans la mesure où la « revente » des titres financiers détenus par Carillion a été réalisée au bénéfice d’investisseurs établis à l’étranger, l’état ne sera pas en mesure de percevoir un impôt sur les revenus perçus par ces investisseurs alors que les royautés qui leur sont versées proviennent des coffres de l’état.
Des déboires en place depuis un certain temps
S’agissant des quatre contrats dans lesquels Carillion éprouve de sérieux problèmes financiers, ces déboires ne sont pas récents et perdurent depuis plusieurs mois/années. Or, malgré les déboires financiers qu’elle éprouvait et malgré un important déficit dans le financement des régimes de retraite de ses employés, Carillion a néanmoins poursuivi le versement de dividendes à ses actionnaires, comme le relate l’article du Financial Times, une décision qui la privait des liquidités nécessaires à ses opérations en plus de faire passer au second rang ses obligations envers les régimes de retraite de son personnel:
Carillion under fire for raising dividend as pension deficit grew – Financial Times – 2018-01-15
Les effets « collatéraux » des projets PPP et de la faillite de Carillion
Ainsi, si l’on fait état des gagnants/perdants résultant des opérations de Carillion et de sa faillite, ils se répartissent ainsi:
Gagnants
- actionnaires ayant perçus des dividendes résultant des opérations et du « flip » des titres financiers malgré la valeur nulle des actions qu’ils détiennent aujourd’hui
- investisseurs qui ont acquis des titres financiers via des « flips » de Carillion et qui recevront des royautés jusqu’à l’extinction des ententes
Perdants
- Etat qui subira des retards dans la finalisation de certains projets (inconvénient moindre puisqu’ils seront pris en charge par les autres associés des consortiums)
- Employés ayant perdu leurs emplois (inconvénient moindre parce qu’ils seront en mesure de trouver des emplois dans les mêmes projets)
- Etat qui devra assumer le déficit dans les régimes de retraite des employés (900 millions de £, lourde charge financière aux dépens des contribuables)
A l’évidence, l’état aura à assumer l’essentiel des inconvénients et du fardeau financier résultant de la faillite de Carillion sans être en mesure de « récupérer » les royautés qu’elle devra néanmoins débourser pour les projets antérieurs, lesquels seront versés à des investisseurs établis à l’étranger.
Ainsi, tel que le relate The Guardian:
“the dirty secret of PFI and all government attempts to pass public services into the private realm is that the shareholders make profits while the taxpayers remain on the hook for any losses.”
Les PPP, une formule d’avenir?
Au surplus, comme le titre une excellente anlayse proposée par Wolf Street, en cas de dérapage dans ces projets ou de faillite des consortiums, dans la mesure où les gouvernements devront assumer les pertes et inconvénients, les PPP pourraient se résumer ainsi: « profits were privatized, costs will be socialized »