Devant la Chambre de commerce, Henri-Paul Rousseau avait attribué la perte de 40 milliards – 25% de son actif – de la Caisse de dépôt à une « tempête parfaite ». Cette semaine, il reconnaissait « l’erreur » d’avoir acheté autant de papier commercial adossé à des actifs (PCAA). Jamais, dans ces deux témoignages, l’ancien pdg de la Caisse qui a touché une prime de 378 750 $ en démissionnant n’a eu une pensée pour les millions de Québécoises et de Québécois qui verront leur retraite compromise par les inévitables réductions de leurs prestations, ni pour les jeunes travailleurs et travailleuses qui devront cotiser davantage pendant des années pour compenser les pertes de la gestion Rousseau.
Dans son livre La Caisse dans tous ses états (Éditions Carte blanche), le journaliste Mario Pelletier donne une explication détaillée plausible des mauvaises performances de la Caisse. Il rappelle l’ampleur de la purge pratiquée par Henri-Paul Rousseau lors de son arrivée à la direction de la Caisse : congédiement de 19 dirigeants, abolition de 138 postes, fermeture de 8 bureaux sur 11 à l’étranger et suppression de 5 filiales. Le tout à mettre en lien avec ses déclarations devant la commission parlementaire où il attribuait une grande partie des problèmes de la caisse à l’incompétence de ses employés !?
Mario Pelletier décrit bien la dérive dans les produits dérivés, gérés à partir de modèles mathématiques complexes qui ont amené la Caisse à se comporter comme un « hedge fund », c’est-à-dire à emprunter des sommes importantes pour bénéficier d’un effet de levier. La Caisse a accumulé en 2007 un passif de 71,8 milliards $, soit 46% de son avoir net, alors que dix ans auparavant, elle n’empruntait pas du tout. « Emprunter des sommes pareilles pour les re-prêter, ça n’a rien à voir avec la gestion des pensions », s’indignait Jacques Parizeau.
Dans sa course frénétique au rendement – et aux généreux bonis pour ses gestionnaires – la Caisse a complètement délaissé l’économie du Québec. Durant les années Rousseau, de 2002 à 2007, l’actif de la Caisse investi au Québec est passé de 32% à 17%. Robert Laplante a calculé que de 1996 à 2007, il est passé de 46% à 17%.
La Caisse a laissé partir le siège social de l’Alcan, a facilité la prise de contrôle de la Bourse de Montréal par celle de Toronto et ne détient aujourd’hui aucune action dans la Banque Nationale, SNC Lavalin et Bombardier, mais a investi dans les filiales de Power Corporation. Le nouveau pdg Michael Sabia a déclaré qu’il n’interviendrait pas si Bombardier passait en des mains étrangères.
Dans son livre, Mario Pelletier raconte que, dès son arrivée à la tête de la Caisse, Henri-Paul Rousseau a cherché à vendre Vidéotron à Rogers, alors que son prédécesseur Jean-Claude Scraire avait mené une lutte de titan pour faire résilier l’entente que la famille Chagnon avait conclue avec la compagnie torontoise pour assurer le maintien au Québec de cette société de nouvelles technologies en s’associant à Quebecor.
Aujourd’hui, [le chroniqueur Alain Dubuc essaie de minimiser l’importance de cette révélation->19931] en mettant sur le même pied Vidéotron et les papiers commerciaux, présentés comme la participation à « deux bulles » de dirigeants qui se prenaient pour « les maîtres de l’univers » . (La Presse, 20 mai). Il est vrai que la dévaluation du titre de Vidéotron s’est traduite à l’époque par des pertes importantes pour la Caisse, mais il n’en demeure pas moins que Vidéotron est aujourd’hui une société prospère qui investit au Québec, crée de l’emploi et constitue le pilier du nouveau modèle économique des médias. Par contre, les titres des PCAA ne valent pas le prix du papier sur lequel ils sont imprimés.
La déconfiture de la Caisse de dépôt est un drame pour les retraités et futurs retraités québécois pris individuellement, mais elle a aussi d’autres conséquences sur la nation québécoise comme collectivité. La création de la Caisse a permis de dégager le gouvernement du Québec de l’emprise qu’exerçaient sur lui les milieux financiers de la rue St-Jacques et, à différentes époques charnières – comme l’élection du Parti Québécois en 1976 –, à contrer les pressions de Bay Street ou Wall Street. Elle jouait également un rôle crucial dans le plan élaboré par Jacques Parizeau pour permettre l’accession du Québec à la souveraineté si le Oui l’avait emporté au référendum de 1995.
Aujourd’hui, la Caisse étant affaiblie par des pertes considérables, contrainte à ne plus intervenir de façon active dans l’économie québécoise et désormais dirigée par un Ontarien d’origine dont le seul fait d’armes est d’avoir transféré le siège social de Bell de Montréal à Toronto, quelles sont ses perspectives d’avenir?
Constatant les liens serrés entre la Caisse et Power Corporation – où a été repêché Henri-Paul Rousseau – Mario Pelletier se demande « s’il n’y a pas là un prélude à un éventuel démantèlement, au profit du secteur privé, et notamment des filiales tentaculaires de la Financière Power » car « il n’y a plus d’obstacle à ce que les fonds de retraite de la collectivité québécoise aboutissent entre les mains des gestionnaires de puissants intérêts privés ».
Pour réaliser l’indépendance du Québec, trois choses sont essentielles : la reconnaissance internationale, des instruments financiers comme la Caisse pour assurer la stabilité économique et politique et le contrôle d’un certain nombre de médias.
On a vu que Paul Desmarais a usé de son influence pour amener le président français Nicolas Sarkozy à rejeter la position traditionnelle de la France de « non ingérence, non indifférence ». On constate qu’il est en train de transformer la Caisse de Dépôt en une filiale de Power Corporation. Et Vidéotron, le pilier de l’empire Quebecor Media, perçu par les fédéralistes comme sympathique aux souverainistes, est vulnérable maintenant que la Caisse est dirigée par Michael Sabia, l’ancien dirigeant du concurrent direct de Vidéotron.
Nous n’avons pas la naïveté de croire que tout cela est le fruit du hasard ou du jeu des forces du marché. C’est pourquoi il est important que toute la lumière soit faite sur la gestion de la Caisse de dépôt en vue d’en redéfinir la mission et les mandats.
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