La réplique › Les débats constitutionnels

Brisons ce mythe du sujet sans importance

C’est le fils de celui qui nous a imposé la Charte des droits qui prétend maintenant que toute cette affaire est secondaire !

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Rien pourtant ne touche plus les citoyens que la Constitution de leur pays.


Le déclencheur - Passer à autre chose
« Les gens s’inquiètent au sujet de leur emploi, […] se demandent dans quelle direction nous allons, […] comment nous allons nous assurer que nos enfants aient des opportunités [sic]. [Les questions constitutionnelles] sont de vieilles, vieilles querelles qui ne sont importantes que pour un petit segment de gens qui sont furieux parce que j’ai demandé que nous passions à autre chose. Alors, je vais me répéter : pouvons-nous passer à autre chose ? »
– Justin Trudeau, cité dans Pas de débat constitutionnel pour Trudeau, Le Devoir, le mardi 11 décembre 2012

Depuis plusieurs années, une grande partie de la classe politique véhicule l’idée que la question constitutionnelle est une affaire sans importance. Lors du débat à quatre aux dernières élections, François Legault abondait en ce sens, la preuve étant selon lui que ce sujet n’amenait pas les gens à se battre dans les autobus. Le chef caquiste a été rejoint récemment par Justin Trudeau, lequel répète à qui veut l’entendre que la Constitution est un « vieux débat » n’intéressant que les politologues, les politiciens et les journalistes. Même Pauline Marois, dans les faits, semble se désintéresser de cette question. Rien pourtant ne touche plus les citoyens que la Constitution de leur pays.
La Constitution versus les « vraies affaires »
Commençons par l’intérêt du public. Un sondage Léger et Léger mené au printemps dernier nous apprenait que 71 % des Québécois sont pour une modification constitutionnelle. Presque toutes les enquêtes d’opinion menées sur ce sujet indiquent une insatisfaction des Québécois devant le statu quo actuel.
Continuons avec une autre affirmation maintes fois entendue et selon laquelle la Constitution ne relève pas des « vraies affaires », ces sujets concrets touchant vraiment les citoyens. L’absurdité de ce discours est à nouveau illustrée par François Legault, l’homme qui veut mettre de côté les querelles constitutionnelles pour faire le grand ménage dans la bureaucratie québécoise, notamment en abolissant les commissions scolaires. Pourtant, il devrait savoir qu’il lui sera impossible de réaliser une telle promesse si jamais il est élu. Utilisant les dispositions de la Charte des droits, la Cour suprême du Canada a décrété que les minorités linguistiques disposent d’une autonomie de gestion de leurs commissions scolaires par rapport aux différents gouvernements provinciaux, et ce, malgré le fait que l’éducation est une compétence exclusive des provinces. Sous couvert de droits fondamentaux, l’existence des commissions scolaires anglophones au Québec est maintenant protégée par la Constitution. L’abolition de ces structures, une de ces « vraies affaires » au coeur du projet de la CAQ, ne pourra donc se réaliser sans un changement constitutionnel.
À ceux qui doutent encore de la pertinence du sujet, citons la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Lola en 2010. Interprétant l’article 15 de la Charte portant sur l’égalité, les juges nommés par Ottawa ont invalidé une partie du Code civil québécois. Lors d’une séparation, celui-ci réserve des obligations différentes aux conjoints de fait et aux conjoints mariés en matière de pension alimentaire. Le tribunal a conclu qu’il s’agissait d’une discrimination envers les conjoints de fait. Ceux-ci risquent maintenant d’être soumis contre leur gré au même régime de droit que les gens mariés.
Au Québec, presque la moitié des couples sont en union libre et la Constitution porte maintenant atteinte à la liberté individuelle de centaines de milliers de Québécois. Il faut dire que les juges de la Cour d’appel, comme ceux de la Cour suprême, qui doit se prononcer dans cette affaire, sont tous nommés par Ottawa. Ils n’ont jamais été reconnus pour leur sensibilité à la réalité de notre société, où quatre fois plus de gens font le choix de l’union libre que dans le reste du Canada.
Les accommodements raisonnables
Pendant que la loi suprême sert à marier de force les habitants de la province, Philippe Couillard ajoute sa voix à ceux qui disent que la question constitutionnelle est sans importance. Elle relève du terrain des adversaires du PLQ, disait-il dans Le Devoir, le 5 décembre dernier. Cette affaire ne serait qu’une lubie partisane du PQ. Du même souffle, l’aspirant à la chefferie affirmait que son parti devait renouer avec les valeurs libérales historiques, par exemple, « le combat pour l’ouverture du Québec aux immigrants » et les accommodements raisonnables.
Comme l’a démontré la dernière campagne électorale, quand le PQ a présenté sa Charte de la laïcité, ce débat non résolu continue de susciter la controverse. Ce que Philippe Couillard ne dit pas, c’est que la grande majorité des Québécois, y compris ceux issus de l’immigration, est contre les accommodements raisonnables. Il ne s’agit donc pas d’une question d’ouverture envers les nouveaux arrivants. Cette approche remet plutôt en cause l’égalité de tous devant la loi. Elle s’oppose aussi au caractère laïc du Québec en lui imposant le multiculturalisme canadien. Le tout est d’autant inacceptable qu’il est imposé au Québec en vertu de la Constitution, grâce à différents jugements de la Cour suprême, entre autres celui qui permet aux élèves sikhs de porter un poignard à l’école.
On pourrait encore multiplier les exemples, notamment en ce qui a trait à la loi 101, où la Constitution affecte directement les Québécois. Prétendre que toute cette question est sans importance et qu’elle n’intéresse personne constitue certainement la plus grande entreprise de mystification de l’histoire récente du Québec. Et c’est le fils de celui qui nous a imposé la Charte des droits qui nous dit maintenant que toute cette affaire est secondaire !

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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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