Le documentaire Nation. Huis clos avec Lucien Bouchard, qui sera diffusé lundi soir à Télé-Québec, montre un chef politique enflammé, charismatique, qui carbure à l’instinct. Retour sur le parcours en slalom d’une figure marquante du dernier quart de siècle. Et sur ses contradictions.
« Je ne voulais pas faire de politique. Toute ma vie, j’ai résisté à la politique ! », lance Lucien Bouchard, l’oeil brillant, sur le ton combatif qui l’a propulsé au sommet du firmament politique québécois.
« C’est trop dur, c’est trop ingrat, on en sort à peu près tout le temps mal, de la politique. Je n’étais pas sûr que j’étais fait pour la politique avec mon impatience, mon indépendance d’esprit, mon incapacité de vivre dans un encadrement où je ne suis pas le chef, et ainsi de suite », ajoute le politicien le plus charismatique depuis René Lévesque.
« J’ai souvent regretté de m’être embarqué là-dedans [en politique] », a confié l’ancien premier ministre aux journalistes, mercredi matin, après le visionnement du documentaire Nation. Huis clos avec Lucien Bouchard, qui revient sur son parcours hors du commun.
Durant cinq jours, enfermé dans une maison louée en pleine campagne, dans les Cantons-de-l’Est, Lucien Bouchard a accordé 22 heures d’entrevue au journaliste Yves Boisvert. L’ex-politicien de 75 ans a joué le jeu. Il avait envie de parler. L’exercice a pris l’allure d’une « confession », d’une « psychanalyse ».
Un parcours sinueux
Il en a fait du chemin, Lucien Bouchard, pour un homme qui a longtemps résisté à l’appel du destin politique. Il est passé à 50 000 voix de « faire un pays » en 1995, mais l’histoire semble retenir d’abord ses allégeances successives à Ottawa, Québec et toutes les zones grises du spectre politique. Rempli de doutes, de questionnements, Lucien Bouchard incarne les contradictions du peuple québécois. Les fédéralistes le trouvent trop nationaliste. Les indépendantistes sont convaincus d’avoir affaire à un fédéraliste.
« Quelqu’un qui ne m’aime pas peut toujours changer de poste ! lance-t-il dans le film de Carl Leblanc. Moi, je m’en fous un peu de ce que les gens disent. Je le sais, ce qui est arrivé. Je sais que je l’ai fait dans le sens de l’honneur puis du respect de ce que ma conscience me dictait, puis le reste, je m’en fous ! »
Ce fils de camionneur du Saguenay milite pour le Parti libéral du Canada de Pierre Elliott Trudeau dans les années 60. La crise d’Octobre 1970 le dégoûte du « régime fédéral ». Il signe sa carte de membre du Parti québécois, assis à la même table que Jacques Parizeau et Marc-André Bédard, à Chicoutimi, en 1971.
Souverainiste déprimé après l’échec référendaire de 1980 et le rapatriement unilatéral de la Constitution par Trudeau, Lucien Bouchard saute à pieds joints dans le « beau risque » de René Lévesque. Bouchard écrit pour son ami Brian Mulroney le discours du 6 août 1984 où le chef conservateur s’engage à signer une nouvelle Constitution canadienne « dans l’honneur et l’enthousiasme ».
Nommé ambassadeur du Canada à Paris, Bouchard commet un lapsus qui en dit long, au cours d’un toast à l’ambassade : « Vive la France, vive le Québec ! » On connaît la suite : ministre conservateur, rupture douloureuse avec Mulroney après l’échec de Meech, fondation du Bloc québécois, amputation d’une jambe, leader messianique de la campagne du Oui en 1995, où il force Jacques Parizeau à ajouter une offre de partenariat avec le Canada. Négociateur dans l’âme, il tente aussi en vain de convaincre « Monsieur » de tenir deux référendums.
« On souhaitait tous la souveraineté du Québec. Il s’agissait de savoir ce qu’on pouvait réaliser. Je ne pensais pas qu’on pouvait arriver directement à la souveraineté pure et dure », dit Lucien Bouchard.
« Il faut être absolument indépendantiste ? J’aurais peur de quelqu’un qui se dise absolument indépendantiste. C’est quelqu’un que je craindrais énormément, que je combattrais », ajoute-t-il.
La page est tournée
La défaite d’octobre 1995 l’a profondément ébranlé. « J’ai plongé là-dedans sans préparation. Je n’étais pas prêt. Je parlais avec mes tripes. J’ai fait des erreurs », raconte-t-il. Il évoque sa sortie improvisée sur les Québécoises qui ne font pas assez d’enfants.
Encore aujourd’hui, Bouchard se sent coupable d’avoir échoué à raviver la flamme souverainiste au cours de son mandat mouvementé comme premier ministre, de 1996 à 2001. Il défend l’austérité budgétaire, le « déficit zéro » qu’il a imposé à l’État québécois. « Un coup de bistouri, c’est un coup de bistouri. Quand il faut opérer, ça va faire mal, le sang va couler », affirme-t-il dans le film.
Lucien Bouchard le battant a tourné le dos pour de bon à la politique. Il est revenu à ses premières amours, le droit, qu’il avait pratiqué durant 22 ans avant de se faire élire. Il vit avec ses deux fils devenus adultes, Alexandre et Simon, qu’il n’a pas vus grandir, happé par la vie publique. Il se garde bien de chercher à les convertir à la souveraineté. Lucien Bouchard n’a plus envie de prêcher. Il est passé à autre chose.
« Ne parlez pas de référendum aujourd’hui. C’est pas au menu », dit-il en balayant l’air d’un revers de main.
« J’aurai essayé. Moi, j’ai essayé. Je voudrais que mes fils se disent ça. » L’important pour Lucien Bouchard, c’est maintenant la tendresse.
Le documentaire Nation. Huis clos avec Lucien Bouchard sera diffusé le lundi 25 août à 21 h à Télé-Québec. Il sera ensuite projeté en salle.
EN HUIS CLOS AVEC LUCIEN BOUCHARD
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