Je ne vous cacherai pas que j’étais quelque peu ahuri de voir l’ex-premier ministre Lucien Bouchard agir à titre de conseiller des médecins spécialistes dans leur négociation et commenter l’entente intervenue avec le gouvernement du Québec sur leurs conditions de travail et leur rémunération. J’étais encore plus sidéré par ses prétentions sur le nouvel esprit de coopération engendré par cette entente dans le secteur de la santé et sur la nécessité de renouer la relation de confiance avec les médecins spécialistes, qu’il décrit comme un fondement de la cohésion sociale. Il faut être culoté pour manifester une telle empathie maintenant après s’être réjoui en 1979 avec des proches, lorsqu’il était négociateur en chef du gouvernement, d’avoir fait de ces médecins les moins bien rémunérés au Canada.
La décence aurait voulu qu’un ex-premier ministre se tienne loin d’un tel dossier et laisse le soin à d’autres professionnels des relations de travail de conseiller la FMSQ, en supposant qu’elle en avait besoin, ce dont on peu douter lorsqu’on considère la rémunération exorbitante de ses membres. Je ne crois pas que monsieur Bouchard ait besoin de ce type de contrats pour assurer sa subsistance, ce qui lui éviterait d’avoir l’air de servir n’importe quel maître dans la mesure où cela paye bien. Occuper la fonction de premier ministre impose aux titulaires un certain devoir de réserve par rapport aux opérations de l’État. Il leur sied mieux de conserver une certaine neutralité dans les pourparlers difficiles entre le gouvernement et ses fournisseurs de service afin de pouvoir prodiguer des conseils de sage à toutes les parties et surtout apparaitre plus crédible lorsqu’on prône la compréhension et la cohésion sociale. Dans les circonstances actuelles, il a plutôt l’air de demander aux Québécois de fermer les yeux sur les conditions princières des médecins et d’avaler leur pilule sans plus de façon.
Je doute que l’opération de relation publique, menée par la FMSQ au lendemain de la signature de l’entente, apaisera la gronde à l’égard des médecins spécialistes au sein de la population. Je ne crois pas que le charisme de monsieur Bouchard suffira pour atténuer le sentiment que les médecins spécialistes s’en mettent de plus en plus dans les poches sans que cela améliore les services. Pire, certains croient même qu’ils se sont détériorés. La présidente de la FMSQ, la docteure Diane Francoeur, a bien essayé d’expliquer que la priorité de ses membres portait sur les conditions d’exercice et que sa fédération a fait des concessions sur les émoluments pour les obtenir, mais le message ne passe pas alors que les chroniqueurs et les caricaturistes rivalisent dans les démonstrations d’outrance pour leur rémunération démesurée.
La docteure Francoeur s’est aussi attaquée aux comparaisons de la rémunération de ses membres avec les autres médecins spécialistes du Canada en indiquant qu’il n’existe pas de données probantes démontrant que ses membres seraient mieux payés que les voisins ontariens. À l’appui de sa thèse, elle argüe que les études comparatives ne prennent pas en compte tous éléments composant la rémunération des spécialistes ailleurs au pays, d’où la nécessité d’interpréter ces études avec circonspection. Malgré ses mises en doute sur les comparaisons salariales des médecins spécialistes fournies par l’Institut canadien d’information sur la santé, madame Francoeur accepte toutefois de participer à leur prochaine enquête et d’y conditionner l’augmentation de ses membres. J’aurais aimé pouvoir l’entendre dire que les résultats de l’enquête pourraient également conditionner les réductions de la rémunération de ses membres.
Finalement, il aurait été apprécié par le passé que le négociateur ou premier ministre Bouchard ait le même souci de cohésion sociale dans ses négociations avec les employés de l’État que celui manifesté aujourd’hui à l’égard des médecins entrepreneurs!