C'est entendu, les Québécois travaillent « infiniment moins » que les Américains. C'est mon ancien patron et toujours ami Lucien Bouchard qui le dit. Bon, c'est vrai que nous travaillons autant que les Britanniques et davantage que les Suédois (des gauchistes), les Néerlandais (des fleuristes), les Norvégiens (euh...), les Français (des hédonistes) et même que les Allemands (ce qui donne un peu froid dans le dos). Mais bon, il faut, comme ils disent, « briller parmi les meilleurs », et la source de ce brillant, c'est la sueur. Pour travailler autant que les États-Uniens, il faut s'inspirer d'eux et appliquer chez nous leurs méthodes.
Déplafonner : Le Québec fixe à 50 (c'est 48 en Europe) le nombre maximal d'heures de travail par semaine. Une misère. Aux États-Unis : aucune limite. THINK BIG ! Excellent résultat : beaucoup d'heures supplémentaires, dont une sur cinq faite par le salarié contre son gré. (Une nouveauté de Bush a d'ailleurs éliminé le paiement majoré de ces heures pour huit millions de salariés en les considérant tout simplement comme des cadres. Habile, non ?)
Déplanchéier : Le Québec oblige les employeurs à accorder 10 jours de congés payés par an, 15 après cinq ans. Un appel à la fainéantise. Aux States ? Aucun plancher ! L'employeur peut décider de ne donner aucun congé. Un employé sur quatre n'y a pas accès.
Faire primer le travail plutôt que la famille : Sous prétexte d'encourager la famille, le Québec consent de longs congés aux mères (un an à faire guili-guili au lieu de serrer des boulons !) en plus de leur envoyer des chèques. Seuls certains Européens offrent mieux. Nos voisins du Sud, qui font énormément plus de bébés que nous, ont trouvé la bonne formule. Ils ont l'air généreux avec 12 grosses semaines de congé par parent, mais voici l'astuce : le congé n'est pas rémunéré. No money, no candy ! Ça marche : le congé de maternité moyen est de 10 jours. Et la tendance est lourde : les parents états-uniens ont 22 heures de loisir de moins par semaine qu'il y a 30 ans.
Motiver, motiver, motiver : Il n'y a pas d'éthique du travail si le salarié n'est pas bien motivé. Et quelle meilleure motivation que la pauvreté ! Les chiffres indiquant qu'il n'y a que 5% de chômeurs aux États-Unis (plutôt que 8% chez nous) mais 18% de pauvres (plutôt que 9% chez nous) vous rendent perplexes ? C'est que, là-bas, on peut travailler fort tout en restant pauvres. Les gouvernements québécois, dont celui de Lucien Bouchard (mal conseillé), ont constamment relevé le salaire minimum. Aux States, nenni. Il est gelé depuis bientôt 10 ans (à 5,15$), alors que le coût de la vie a crû de 26%. Ce n'est pas tout. Le revenu médian des familles, ces cinq dernières années, a chuté de 2 000 dollars - en pleine reprise économique ! Magnifique. Résultat : il faut travailler davantage d'heures pour rester à flot. Souvent, un seul emploi par personne ne suffit plus.
Désyndiquer : Un des grands maux du Québec, chacun le sait, est le déplorable taux de syndicalisation (40%). Aux États-Unis, il n'est plus que de 14%, en chute rapide. (À retenir : leurs employeurs congédient un travailleur sur 20 qui tente de se syndiquer. Ces congédiements sont illégaux. Heureusement, l'État sévit rarement.) Or, la syndicalisation est un abominable frein à l'allongement de la durée du travail. Un syndiqué gagne 13% de plus qu'un non-syndiqué. C'est pire pour les femmes : 35% de plus ! Cela les démotive complètement. De plus, le syndicalisme contribue à ce que les inégalités de revenus soient plus faibles au Québec, alors qu'elles explosent aux États-Unis. Les résultats sont indiscutables : le département du Commerce indiquait, en septembre, que la part du revenu national américain allant aux salaires (plutôt qu'aux profits) est la plus faible depuis 77 ans.
Suivre le guide : Le premier employeur privé, Wal-Mart, avec 1,3 million de salariés aux États-Unis, nous montre le chemin. Les salaires y sont bas (6,35$ l'heure à temps partiel, 9,00$ l'heure à temps plein), les syndicats y sont pourchassés. Bien. Mais tout n'est pas rose. Des notes de service qui ont filtré dans les médias sonnent l'alarme : les salaires et avantages tendent à augmenter, car ces perfides travailleurs font à l'employeur le coup de la loyauté. Trop longtemps dans le même empli, ils montent dans les échelles salariales. Heureusement, Wal-Mart a un plan : faire passer de 20% à 40% la proportion d'employés à temps partiel, et depuis août, imposer un plafond salarial aux plus vieux. Dans certains cas, empêcher les employés plus âgés de s'asseoir sur des tabourets. Ils vont finir par comprendre.
On le voit, mettre les gens au travail demande un effort multiforme, durable, déterminé. Rien qu'à vous l'expliquer, je suis épuisé.
Jean-François Lisée est directeur exécutif du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM).
Au travail !
Nos voisins américains travaillent davantage que les Japonais. Ils ont un truc, c'est certain.
17. Actualité archives 2007
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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