Établissons d’abord ceci : dans une société libre et démocratique, on doit viser la plus grande diversité possible des sources d’information. Aussi, il faut souhaiter que La Presse surmonte ses difficultés actuelles.
Dire ça, ça n’enlève pas qu’il y a quelque chose d’absolument choquant dans l’attitude de certains artisans de La Presse, qui ne semblent pas accepter que certains acteurs aient l’outrecuidance de se poser des questions sur le nouveau modèle qu’elle souhaite adopter.
Illustrer par l’absurde
Samedi dernier, l’éditorialiste en chef François Cardinal qualifiait ces commentaires de « sinistre(s) et profondément troublant(s) ». « Un peu plus et ils se réjouissaient à l’idée que 500 personnes perdent leur emploi... »
Cette phrase illustre par l’absurde une bonne partie du problème. Dans un contexte où le dollar publicitaire que se disputaient déjà les médias imprimés s’en va chez les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), comment penser que c’est encore un modèle viable de produire un journal quotidien avec, précisément, 585 employés ? Pendant que les travailleurs du Devoir se serrent la ceinture et après que Le Journal eut vécu une transition difficile, mais qui lui permet encore d’être au-dessus du seuil de rentabilité ?
Et aujourd’hui, la collectivité devrait payer pour permettre à La Presse de survivre et le faire sans poser de questions, par-dessus le marché. Sans lui demander de revoir son modèle et d’admettre ce qui ne fonctionne pas avec celui-ci. Lui donner des subventions comme si on lui devait ça, en somme.
On croirait être en train de discuter avec Bombardier...
Changement dans la continuité
Suivant l’annonce du changement de structure, la journaliste Nathalie Collard écrivait sur Twitter qu’après avoir personnellement soutenu Le Devoir, Rue Frontenac et les lock-outés de Radio-Canada, elle s’attendait désormais au même soutien des collègues des autres médias. « Oui, mes attentes sont élevées », disait-elle.
N’y a-t-il pas quelque chose d’indécent à passer le chapeau ainsi, alors qu’on en sait encore très peu sur le modèle qu’adoptera La Presse ? Son conseil d’administration sera-t-il vraiment indépendant ? Quelle influence conservera la famille Desmarais ? Peut-on vraiment parler de changement si La Presseannonce déjà qu’elle conservera la même ligne éditoriale ?
Parce que 50 millions pour garder le contrôle sur un journal, c’est beaucoup moins cher payé que ce qu’aurait coûté le rachat des contrats des employés de La Presse et la perte du loyer qu’elle versera pour occuper les mêmes immenses locaux.
Bref, sauver La Presse, nous sommes nombreux à le souhaiter. Cela dit, elle devra pour y arriver commencer par un bon examen de conscience. Ça trancherait avec l’arrogance actuelle, qui ne sert pas l’adhésion qu’elle souhaite générer.
Ajoutons que tant qu’elle refusera aux lecteurs de la consulter sur leur téléphone ou leur écran d’ordinateur, en les forçant à avoir un troisième gadget pour avoir le privilège de la lire, on aura raison de craindre qu’elle continuera de faire les mauvais choix.
Dans la réalité médiatique d’aujourd’hui, il faut aller là où le lecteur se trouve. Ne pas penser qu’il viendra à nous. Comprendre ce principe, c’est ce qui aidera La Presse, bien plus que n’importe quelle subvention.