Animateurs recherchés

Que tant de reproches leur soient adressés est symptomatique des attentes que suscitent leurs travaux.

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

La commission Bouchard-Taylor entreprend sa tournée de consultations publiques dimanche prochain à Gatineau, avec un premier forum de citoyens. Ce processus vise à permettre l'expression de toutes les opinions. Ce qu'on voudra entendre, ce seront d'abord celles des citoyens plutôt que celles des commissaires, dont le rôle sera d'animer plutôt que de s'exprimer.
Sur les deux commissaires, Gérard Bouchard et Charles Taylor, pèsent beaucoup de soupçons alors que s'amorce ce processus. Depuis leur nomination, on leur a reproché de n'être pas représentatifs (parce que la commission est composée de deux hommes); d'être trop bavards et d'exprimer des points de vue trop personnels; de tenir des propos méprisants à l'endroit du «vrai monde», un reproche adressé à Gérard Bouchard pour avoir laissé entendre que les auditeurs de TVA et de TQS ne sauraient comprendre les enjeux de la diversité; d'avoir un parti pris religieux, [reproche lancé à Charles Taylor pour avoir reçu le prestigieux prix Templeton->rub551] pour ses recherches sur les réalités spirituelles, parce que ce prix est décerné par une fondation qui fait la promotion de la religion.
Ces reproches sont loin d'être tous fondés. Ils présument que ces deux intellectuels, qui ont derrière eux une carrière de recherche exceptionnelle, seront conduits dans leurs travaux par leurs propres préjugés. Ni l'un ni l'autre ne peuvent être taxés d'antiféminisme, par exemple. Le fait d'être tous deux catholiques, pratiquant dans le cas de M. Taylor, n'en fait pas des opposants à la laïcité, loin s'en faut. Voudraient-ils nous emmener dans des chemins de travers qu'ils ne le pourraient d'ailleurs pas. Leur mandat est clair. Leurs recommandations viseront à assurer que «les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles sont conformes aux valeurs de la société québécoise en tant que société pluraliste, démocratique et égalitaire».
Que tant de reproches leur soient adressés est symptomatique des attentes que suscitent leurs travaux. Tous sont conscients que le sujet est aussi délicat qu'important et que la rectitude politique est susceptible d'être mise à mal au cours des audiences publiques. À cet égard, la conduite du processus de consultation nécessitera beaucoup de doigté. Les deux commissaires devront certainement faire preuve d'une réserve qu'ils n'ont pas eue depuis leur première sortie publique, à la mi-août.
Le mandat qu'a reçu le tandem Bouchard-Taylor ne leur impose pas un strict devoir de réserve dans leurs commentaires publics, contrairement à ce qui prévaut pour les membres de commissions d'enquête dotés de pouvoirs judiciaires, telle la commission Gomery. Leur commission a une portée sociale et politique. L'exercice de consultation qu'ils amorceront dimanche, jusqu'à la fin de novembre, sera un vaste exercice de réflexion collective où le spectre des questions qui seront abordées sera presque sans limite. Certaines seront politiquement chargées, dont celles portant sur l'identité. Pour réussir, les commissaires doivent laisser une large place à l'expression de toutes les opinions. Il leur reviendra d'animer les débats, pas de les commenter. Suggérons-leur de ne pas faire un point de presse après chaque séance publique, comme ils l'ont fait lors de leur première rencontre avec un groupe de jeunes organisée par l'Institut du Nouveau Monde. Ils auront dans leur rapport final tout l'espace nécessaire pour présenter leurs conclusions.
Une autre responsabilité de la commission sera de nourrir le débat afin que les opinions qu'ils recherchent auprès du public soient le plus éclairées possible. Dans cet esprit, on s'attendrait à ce qu'elle mette à la disposition de tous les études et les enquêtes commandées à différents groupes de travail. Malheureusement, les commissaires entendent garder pour eux cette information. Pourquoi? Ce n'est sûrement pas parce qu'il y a là de grands secrets d'État. Imaginons plutôt qu'ils craignent que le débat ne leur échappe. Si c'est bien le cas, ils mériteront qu'on leur reproche leur frilosité.
bdescoteaux@ledevoir.com


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