Alexandre Bissonnette n’est pas un raciste invétéré, plaide son avocat en appel

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Ce sont ses idées suicidaires qui l'ont mené à commettre la tuerie

Les crimes commis par Alexandre Bissonnette n’ont pas été motivés par un racisme insondable, contrairement à ce qu’a affirmé le tribunal, selon son avocat, qui contestait lundi la peine imposée à son client en Cour d’appel.


Muni de deux armes à feu, Bissonnette a abattu six hommes au Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier 2017, et fait plusieurs blessés sous ses balles.


Le 8 février dernier, le juge François Huot, de la Cour supérieure, l’a condamné à passer 40 ans ferme derrière les barreaux. Il s’agit de la plus longue peine de l’histoire récente du Québec - mais elle est loin d’avoir fait l’unanimité.


Non seulement Bissonnette va en appel de sa peine, qu’il juge déraisonnable, mais le ministère public et la procureure générale du Québec veulent aussi qu’elle soit modifiée.


Le juge a commis plusieurs erreurs, a d’abord argué l’avocat de la défense, Charles-Olivier Gosselin, en l’absence de son client, qui n’avait pas à être présent à cette étape des procédures. Un dispositif de sécurité avait tout de même été installé à l’entrée de la salle de cour.



Une quarantaine de personnes, dont les parents de Bissonnette et quelques proches des victimes, ont assisté toute la journée aux débats au palais de justice de Québec.


Le premier à prendre la parole, Me Gosselin a plaidé que selon lui, trois facteurs jugés aggravants par le juge Huot avaient pris une importance «démesurée et indue».


Par exemple, a-t-il dit, les crimes de son client n’ont pas été motivés par des préjugés envers les musulmans, contrairement à ce qu’a prétendu le magistrat.



«Par votre haine et votre racisme, vous avez détruit la vie de dizaines et de dizaines de personnes, avait déclaré François Huot dans sa décision. (...) L’intolérance et le racisme pourrissent notre tissu social. Il est du devoir des tribunaux de les réprimer fermement lorsqu’ils se matérialisent en actes criminels.»


«Ce n’était pas ça, la motivation de son crime, a affirmé lundi Me Gosselin, devant les trois juges de la Cour d’appel. Il n’y a aucune preuve de ça. (...) C’est comme s’il décrivait quelqu’un d’autre!»


Santé mentale fragile


En s’attaquant aux musulmans, Bissonnette - qui avait une santé mentale précaire et qui voulait se suicider - cherchait plutôt à rendre son passage à l’acte plus acceptable, même si ce raisonnement était de toute évidence «tordu», a reconnu l’avocat.


Bissonnette a dû se convaincre de ces choses-là pour agir, a poursuivi Me Gosselin. Il a reproché au juge Huot d’avoir retenu les arguments qui faisaient son affaire en procédant à du «pick and choose».


«Nous, on a toujours soutenu que les personnes qui étaient présentes cette soirée-là, à la grande mosquée de Québec, ont été ciblées suite à un processus de distorsion cognitive qui émanaient d’idées suicidaires, qui elles émanent de la santé mentale précaire de l’accusé.»


Par ailleurs, Me Gosselin s’en est aussi pris à l’idée, retenue par le juge, que les crimes avaient été hautement prémédités. À son avis, Bissonnette a «mûri un certain projet», mais ne l’a concrétisé que dans les «jours ou heures avant».


Cela a fait réagir le procureur de la Couronne, Thomas Jacques, mais aussi Zebida Bendjeddou, une résidante de Québec venue écouter les audiences. «J’ai rencontré moi-même Alexandre dans le stationnement (de la mosquée) un vendredi en décembre, quatre ou six semaines avant l’acte, a-t-elle relaté en mêlée de presse. Je l’ai vu les yeux dans les yeux. (...) Il était déjà en train de se préparer.»


Troisième facteur aggravant retenu par le juge, mais qui a pris une importance «indue» selon la défense : la présence de mineurs à la mosquée le soir du drame.


Me Gosselin a rappelé que Bissonnette a déjà dit n’avoir jamais visé d’enfants. Mais encore là, comme tout au long de sa plaidoirie, il s’est fait interrompre par les juges de la Cour d’appel, qui ont voulu savoir pourquoi, si le juge s’était trompé en retenant la présence d’enfants, Bissonnette avait-il lui-même plaidé coupable à un chef de tentative de meurtre sur des enfants?


La défense souhaite que la peine soit réduite, afin que Bissonnette - qui est aujourd’hui âgé de 30 ans - puisse demander une libération conditionnelle après avoir purgé 25 ans. Selon elle, aucun crime ne mérite plus de 25 ans de détention avant de pouvoir faire cette demande.


Me Jacques a répondu en disant que selon lui, les crimes commis par Bissonnette étaient possiblement les pires crimes haineux de toute l’histoire canadienne.


Bissonnette a délibérément choisi ses victimes en fonction de ses préjugés, a-t-il insisté, en plus d’avoir fait une «planification exceptionnelle» de ses crimes. La haine qu’il a manifestée à la mosquée de Québec est une attaque frontale envers les valeurs de la société canadienne, a-t-il ajouté.


À la recherche de balises


Le ministère public et la procureure générale du Québec demandent une peine de prison ferme de 50 ans. Le ministère public estime que la peine infligée ne reflète pas la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité de l’intimé, «exceptionnellement élevés».


Au cœur de cet appel se trouve aussi un article du Code criminel qui s’applique dans le cas de meurtres multiples. L’article 745.51 prévoit la possibilité pour un juge d’additionner des périodes de 25 ans d’inadmissibilité à la libération conditionnelle lorsque plus d’une personne a été tuée.


La Couronne avait à l’origine demandé une période de 25 ans pour chacune des six personnes abattues par le tireur de la mosquée. Elle demande à présent aux juges de la Cour d’appel de mettre en place des «balises» pour aider les juges dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.


Bissonnette allègue que cet article du Code criminel est inconstitutionnel et qu’il doit être déclaré invalide et inopérant.


L’affaire a été prise en délibéré, la Cour d’appel promettant de se prononcer «dans les plus brefs délais».