Jugeant que le débat sur les accommodements raisonnables «s'enlise», «sert la division plus que la compréhension» et est exploité de façon vile par le chef adéquiste Mario Dumont, le premier ministre Jean Charest a choisi de faire un geste d'éclat hier afin de calmer le jeu et de reprendre l'initiative.
D'abord, il crée une commission spéciale d'étude sur les accommodements raisonnables qui sera confiée à deux intellectuels québécois de renom, bien au fait des questions d'identité et de religion: l'historien Gérard Bouchard, 63 ans (frère de l'ancien premier ministre Lucien Bouchard), professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi, et le philosophe Charles Taylor, 75 ans, professeur émérite à l'université McGill et spécialiste du multiculturalisme. En attendant les conclusions de l'enquête Bouchard-Taylor (dont la dénomination officielle est «Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles»), qui devrait terminer ses travaux en mars 2008, M. Charest a demandé à la Commission des droits de la personne de créer un service de type «1 800 accommodements» qui permettra «d'éclairer les décideurs dans leurs réflexions et dans leurs décisions».
Dans une déclaration solennelle, M. Charest a exprimé son inquiétude en ce qui a trait à la tournure de ce débat, auquel il souhaite redonner «des assises qui seront celles de la raison et des valeurs communes». M. Charest souhaite aussi régler cette question en dehors des «cadres partisans»; il a d'ailleurs confié l'enquête à un intellectuel souverainiste, Gérard Bouchard, et à un autre penseur, Charles Taylor, un catholique qui a été proche de Jean-Paul II et qui a déjà défendu les couleurs du NPD dans les années 60 à Montréal.
Au reste, M. Charest a accusé Mario Dumont d'avoir soufflé sur les «braises de l'intolérance» et les médias de n'avoir pas utilisé dans son vrai sens l'expression «accommodement raisonnable». «De quoi a-t-on parlé? On a parlé d'accommodements raisonnables pour présenter aux Québécois ce qui était tout le contraire», a-t-il soutenu. À ses yeux, les histoires qui ont fait les manchettes, notamment celle des vitres givrées du YMCA ou cette autre à propos d'une note qui indiquait à une policière qu'elle devait éviter de parler à un juif hassidique, «ce ne sont pas des accommodements raisonnables, ce sont des arrangements qui sont contraires aux valeurs de notre nation». «Quand on dit: "Voilà ce que sont les accommodements raisonnables", comment peut-on s'étonner qu'un sondage révèle que les Québécois soient contre?», a-t-il demandé en évoquant cette récente enquête d'opinion d'un quotidien qui concluait que 59 % des Québécois se disaient «racistes».
Jusqu'à maintenant, lorsque des questions étaient posées au premier ministre à ce sujet, celui-ci répondait toujours de manière «prudente» et tentait plutôt d'éviter le débat. A-t-il attendu trop longtemps avant d'agir? Au contraire, a soutenu M. Charest, son gouvernement a «précédé ce débat». À preuve, selon lui, la motion contre l'instauration de tribunaux islamiques au Québec et au Canada, adoptée de façon unanime à l'Assemblée nationale et proposée par la députée libérale d'origine musulmane Fatima Houda-Pepin. Il a aussi souligné que le ministre de l'Éducation, Jean-Marc Fournier, a annoncé -- après que furent révélés plusieurs cas d'écoles religieuses clandestines -- la mise sur pied d'un groupe de travail présidé par Bergman Fleury, de Soutien à l'inclusion de Centraide du Grand Montréal. Autrement dit, la commission d'étude Bouchard-Taylor s'ajoutera à plusieurs autres travaux menés sur ce sujet au cours des dernières années. En 2003 par exemple, le Comité sur les affaires religieuses du ministère de l'Éducation avait produit une importante étude sur le sujet, intitulée Rites et symboles religieux à l'école, défis éducatifs de la diversité (www.meq.gouv.qc.ca/affairesreligieuses).
Enfin!
Pour André Boisclair, qui demandait sans cesse, depuis quelque temps «où est le premier ministre sur la question des accommodements raisonnables?», il était temps que celui-ci «prenne ses responsabilités». La solution choisie in extremis par M. Charest a plu à M. Boisclair pour deux raisons. D'abord parce qu'elle correspond en partie à ce que le chef de l'opposition avait demandé vendredi dernier, soit «de recenser [...] les pratiques dans l'administration publique, et en particulier dans les sociétés d'État [...], de publier des directives». M. Boisclair avait aussi réclamé qu'on «crée un comité [pouvant] soutenir les gestionnaires dans leur travail, une espèce de comité d'éthique pour regarder ces questions». Hier, M. Boisclair se réjouissait de constater que la commission que M. Charest a choisi de mettre sur pied s'apparente à la proposition faite en début de semaine par l'ancien conseiller péquiste Louis Bernard.
Aux yeux de celui par qui le scandale a éclaté, Mario Dumont, l'annonce faite par M. Charest est «improvisée». Selon lui, le premier ministre «est trop faible pour défendre et affirmer l'identité du Québec», et quand «ça chauffe un peu, eh bien, on passe la patate chaude à une commission d'enquête». Il estime que M. Charest a été forcé par l'ADQ de modifier sa position: «M. Charest, dans le dossier des accommodements raisonnables, sa position initiale, c'était: "On a des comités formés, tout va très bien, madame la marquise." Alors, aujourd'hui, il recule là-dessus.» Au reste, selon M. Dumont, pour qu'une commission d'étude de ce type ait un véritable impact, elle doit s'accompagner d'une volonté politique, ce dont est dénué le gouvernement Charest, estime M. Dumont. Il a donné cet exemple: «La commission Parent sur l'éducation, à une époque, il y avait, dans le gouvernement Lesage de la Révolution tranquille, une volonté extrêmement ferme, extrêmement profonde, de moderniser l'éducation.» Du reste, pour M. Dumont, le geste du premier ministre n'aura pas pour effet d'empêcher que le débat qui l'a bien servi se poursuive au cours de la prochaine campagne électorale. M. Dumont a aussi précisé qu'il connaissait la véritable définition de la notion juridique d'accommodement raisonnable et qu'il savait que les cas du YMCA et de la SAAQ n'en étaient pas: «Ça n'empêche pas qu'on peut débattre, comme citoyen», a-t-il répondu, soutenant que le cas du YMCA, par exemple, relevait de «l'espace public».
Bouchard et Taylor
Quant aux commissaires Bouchard et Taylor, ils publieront bientôt des travaux qui les ont préparés à répondre à la commande du premier ministre. Après une longue enquête, M. Bouchard publiera sous peu avec Alain Roy un essai intitulé La culture québécoise est-elle en crise? aux Éditions du Boréal. Quant à Charles Taylor, il fera paraître à l'automne 2007 A Secular Age (Harvard University Press), une étude sur la sécularisation des sociétés modernes.
Le Devoir
Avec la collaboration de Clairandrée Cauchy
Accommodements: Charest en appelle à la raison
Le premier ministre s'en remet à l'historien Gérard Bouchard et au philosophe Charles Taylor
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