Place du Palais-Royal, on juge impossible de tolérer la présence, à Ploërmel, d’une croix qui orne un monument installé depuis plusieurs années, dans l’emprise du domaine public, en hommage au pape Jean-Paul II. Peu importent, pour les juges du Conseil d’État, la bienveillance des habitants de cette petite commune du Morbihan qui refusent de voir dans cette statue la manifestation d’un quelconque retour au cléricalisme ou même l’avis du sculpteur russe qui a conçu cette œuvre avec la volonté légitime d’en préserver l’intégrité artistique !
Une fois de plus, quelques magistrats ont donné corps à l’idéologie laïciste, cette maladie endémique qui appauvrit notre identité collective et stérilise notre modèle de société. Au nom d’un principe de laïcité qui voudrait interdire toute présence, dans le domaine public, d’un signe ou d’un emblème religieux, le Conseil d’État a fait injonction à la ville de Ploërmel de retirer dans un délai de six mois la croix qui surplombe la statue du pontife romain. Mais en dévoyant toujours plus l’application de ce principe d’organisation des pouvoirs publics ! Car, en effet, si le principe de laïcité oblige l’État et les collectivités locales, dans l’accomplissement de leurs attributions, au respect d’une stricte neutralité à l’égard des Églises, il n’impose nullement une telle discipline dans l’espace public, lequel demeure cette agora ouverte à l’expression de tous les courants de pensée, au premier rang desquels le christianisme.
À dire vrai, le christianisme ne saurait se réduire à sa seule dimension confessionnelle. Depuis des siècles, en France comme partout en Europe, le christianisme a façonné nos paysages, notre culture, notre univers de pensée. Notre civilisation, en somme ! En bonne logique, le christianisme bénéficie, à mes yeux, d’un privilège de civilisation qui confère au fait culturel chrétien une légitimité historique incontestable sur notre territoire et, donc, une prééminence manifeste aussi bien dans notre inconscient collectif que dans la définition de l’être français. Autrement dit, si tous les cultes sont formellement égaux devant la loi, les religions ne sont certainement pas égales entre elles au regard de notre mémoire nationale, précisément en raison de ce statut culturel particulier réservé au christianisme. En est-il autrement, d’ailleurs, en Algérie avec l’islam, en Israël avec le judaïsme ou en Thaïlande avec le bouddhisme, trois pays parmi tant d’autres dont nul ne songerait à contester les réalités de civilisation qui y dominent !
Nombreux sont ceux qui perçoivent intuitivement la centralité du fait chrétien en France et qui partagent même le désir d’en conforter la prégnance culturelle sur notre sol – sans jamais prétendre, toutefois, instaurer un quelconque État confessionnel ni évincer les autres composantes de notre héritage indivis, de nos racines gréco-latine au legs juif, en passant par les apports du siècle des Lumières -, mais peu pressentent le poids des résistances idéologiques opposées par ceux qui, bien que largement minoritaires, refusent de porter un regard charnel sur les réalités identitaires de notre pays. Face à cette oppression totalitaire qui avance toujours masquée, je sens pourtant un vent de révolte se lever.
Le pays réel accepte de moins en moins, je crois, cette chape de plomb médiatico-judiciaire et réclame un réarmement moral et spirituel de notre pays, avec pour objectif de réenchanter un modèle de société aujourd’hui aseptisé, insipide, à bout de souffle, précisément parce que celui-ci renie les fondements culturels authentiques qui structurent l’inconscient collectif français. Inclure la prééminence du fait culturel chrétien dans le préambule de la Constitution et modifier corrélativement la loi du 9 décembre 1905, après un large débat démocratique, permettrait à coup sûr, selon moi, de contextualiser le sens véritable à donner au principe de laïcité, d’éviter les dérives jurisprudentielles des juridictions administratives et de revitaliser notre modèle de société pour le rendre à nouveau désirable auprès de tous ceux qui souhaitent sincèrement communier à l’âme de la France.
Gravée sur le socle de la statue de Ploërmel figure cette célèbre parole de Karol Wojtyła : « N’ayez pas peur ! » Alors que cette interpellation évangélique résonne plus que jamais à travers le monde, n’ayons pas peur à notre tour de donner rendez-vous aux Français avec eux-mêmes en ce début de XXIe siècle, n’ayons pas peur de nous livrer collectivement à cet indispensable travail d’anamnèse afin de redéfinir, à l’issue de cette vaste entreprise d’introspection nationale, les contours d’une identité française qui ne doit jamais négliger les défis de ce temps ! Je crois, pour ma part, que la France ne se réconciliera vraiment avec elle-même que lorsqu’elle aura enfin accepté de reconnaître la dimension largement chrétienne de son être. Comme, au fond, la Pologne, ce grand pays catholique qui, en parfaite harmonie avec son identité chrétienne, vient de proposer officiellement aux autorités de notre pays un asile politique posthume à Jean-Paul II, en offrant d’abriter sur son sol la statue de ce dernier avant qu’elle ne soit vandalisée… France, fille aînée de l’Église, pourquoi n’es-tu pas fidèle aux promesses de ton baptême ?