C’était il y a dix ans. Le 15 septembre 2008, Lehman Brothers s’effondrait en pleine crise des prêts à haut risque, les subprimes. Devait-on attendre un tel événement pour comprendre les effets désastreux d’une finance qu’on laisse régner en reine ? Comme l’écrivait Frédéric Lordon, le système « tolère aisément les crises qui n’affectent que les dominés et ne s’émeut que de celles qui frappent ses élites ».
À l’époque, la campagne du candidat républicain John McCain avait été durablement plombée et avait permis à Barack Obama de consolider son avance dans la course à la présidence américaine. L’équipe du président George W. Bush au pouvoir a été tenue pour responsable de la crise par les électeurs, mais en partie à tort. Si les politiques de ce gouvernement n’avaient effectivement rien de bon, la dérégulation de la finance est un long processus qui a commencé plusieurs décennies plus tôt. Les crises financières ne sont pas, non plus, un phénomène récent.
La financiarisation de l’économie a accompagné la déréglementation bancaire et financière qui s’est mise en place depuis 1980 aux États-Unis, avec le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act, qui permettait les fusions bancaires, jusqu’à l’abolition, par l’administration Clinton, de la loi Glass-Steagall. Cette dernière, héritée de la Grande Dépression, séparait les activités bancaires de façon à empêcher que les investissements risqués puissent mettre en danger les avoirs des petits épargnants.
Or, depuis l’ère Clinton, les banques et le monde des assurances peuvent à nouveau fusionner. Les institutions bancaires tendront à se vivre moins des investissements que de la spéculation financière. Aux activités des banques s’ajoutent celles des fonds d’investissement, et des fonds spécialisés dans les opérations spéculatives.
Les produits financiers sont, par ailleurs, extrêmement nombreux et imaginatifs. Si plusieurs banques d’affaires rachètent bon nombre d’entreprises, d’autres parmi ces dernières se livrent par elles-mêmes à des activités similaires à travers les grands placements. General Electric, par exemple, doit aujourd’hui une plus grande part de ses profits à la spéculation financière qu’à leurs activités industrielles et productives, à l’importance de plus en plus minime. Le profit fictif repose sur l’anticipation d’une création infinie d’argent imaginaire plutôt que sur la production réelle.
À peine assermenté, le président Donald Trump a annoncé la signature d’un décret ordonnant la révision de la régulation issue de la crise de 2007-2008. C’est principalement la loi Dodd-Frank qui se trouve en ligne de mire. Celle-ci, comprenant 390 règles, relevait les exigences des banques et établissait des mécanismes d’encadrement de leurs actions. Elle mettait aussi en place un bureau de surveillance financière des banques, chargé de protéger les consommateurs et ayant le pouvoir de limiter celui des banques lorsque leurs clients en arrachent. Il faut cependant reconnaître que cette loi pénalisait davantage les petites institutions que les plus grosses. Trump n’avait pas complètement en affirmant que cette réglementation empêche les banques de soutenir les entreprises qui cherchent à démarrer.
Le modèle du high frequency trading, où les algorithmes informatiques exécutent les transactions financières en quelques microsecondes, est un bon exemple de la rapidité inusitée du système financier. Ce sont carrément les ordinateurs qui prennent la décision d’acheter ou de vendre. On choisit de s’en remettre à ces machines, car leur rapidité à réaliser une telle opération écrase sans nuance celle d’un être humain.
Nous ne sommes cependant pas à l’abri d’une nouvelle crise. Objects in the mirror are closer than they appear, pour le dire dans la langue de l’Empire.
Que faire, dix ans plus tard ? Trois choses s’imposent, à mon avis. La première serait d’interdire certains produits financiers particulièrement nocifs, dont de nombreux produits dérivés. La seconde serait d’établir un prélèvement fiscal sur les transactions financières, la fameuse proposition de la taxe Tobin. Cela permettrait de prélever de nouvelles recettes budgétaires pour les États en plus de ralentir le rythme de la frénésie financière. La troisième serait de remettre en place la réglementation Glass-Steagall de l'après-1929, dont nous parlions précédemment.
Il est absolument grotesque que la faillite d’une banque puisse entraîner une récession mondiale. 2008 a été une occasion manquée. La prochaine fois, et il y en aura une, changeons vraiment de système.