Je publierai dans les prochains jours une série d’articles sur les trois principaux candidats à la chefferie du Parti Québécois. Aujourd’hui le 1er mai : Pierre Karl Péladeau. Dimanche le 3 mai : Alexandre Cloutier. Mardi le 5 mai : Martine Ouellet.
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On avait annoncé le couronnement de Pierre-Karl Péladeau à la chefferie du Parti Québécois. Jean-François Lisée s’est même retiré de la course en croyant que la course était déjà jouée et que son résultat était connu d’avance. Il y a quelques jours, Bernard Drainville, qui n’a pourtant pas démérité, s’est rallié à Pierre-Karl Péladeau. La tendance est effectivement lourde mais l’entreprise n’a rien d’une partie de plaisir. De grandes forces se mobilisent contre celui qu’on a pris l’habitude d’appeler PKP. Ses adversaires se croient tout permis pour en finir avec lui. L’objectif : provoquer l’effondrement de sa candidature ou faire en sorte qu’il ressorte de la course à la chefferie si abimé qu’il ne soit plus capable, ensuite, de véritablement donner une nouvelle impulsion à son parti. C’est que ses adversaires le croient capable de bouleverser la vie politique. Trois fronts se sont ouverts contre lui : d’abord celui des médias, ensuite celui des fédéralistes, enfin, celui d’une frange singulière de la gauche souverainiste.
Évoquons d’abord les médias qui tissent un étrange récit de sa candidature d’autant qu’ils ne pardonnent pas à PKP de ne pas se plier aux règles conventionnelles et peut-être faisandées de la communication politique. C’est ainsi que, peu à peu, les grands médias ont cherché à définir la candidature de PKP à travers un récit fondamentalement négatif. L’homme serait gaffeur, erratique, et commettrait une bourde après l’autre – d’ailleurs, on présente sa campagne comme une succession d’erreurs et ses partisans sont toujours accusés d’aveuglement, comme si l’homme valait moins que le fantasme par lequel on le grandissait. Inversement, Alexandre Cloutier est paré de toutes les vertus par les mêmes médias, ce qui devrait l’inquiéter: il n’est jamais bon d’être le souverainiste préféré des fédéralistes. En politique, il vaut souvent mieux être craint qu’adoré.
PKP suscite aussi l’hostilité de la frange la plus ouvertement fédéraliste du milieu des affaires. On le sait, notre bourgeoisie, et plus encore, notre grande bourgeoisie, pratique le fédéralisme borné et se tient avec une solidarité de caste. Pour elle, l’indépendance est inconcevable et elle a historiquement trouvé son intérêt en représentant les intérêts du Canada au Québec. Elle ne pardonne pas à PKP son passage chez les souverainistes et on le considère probablement comme un renégat, comme en témoignait, récemment, à Tout le monde en parle, Mitch Garber qui a craché son venin contre PKP. Son objectif était clair : il fallait présenter PKP comme un héritier sans talent, comme un gestionnaire borné à la réputation surfaite. Autrement dit, écraser sa crédibilité économique. Il faut probablement y voir une expression de la peur qu’il suscite. On se souvient comment le Maclean’s avait accueilli sa candidature: serait-il l’homme qui ferait éclater le Canada? La violence des critiques qui lui sont formulées laissent croire qu’ils sont nombreux à répondre oui à la question posée par le magazine canadien-anglais.
PKP suscite enfin les craintes d’une certaine frange de la gauche péquiste pour qui l’indépendance sera progressiste ou ne sera pas. Étrange idée: quand la gauche souverainiste dit souhaiter un pays social-démocrate, doit-on comprendre qu’elle ne veut pas de pays s’il n’est pas abonné à vie à la social-démocratie? Quelques esprits obtus qui se piquent de progressisme accuseront ainsi certains artistes d’endosser sa candidature alors qu’on les dit de gauche. Comme si la question nationale ne transcendait pas la gauche et la droite. On veut faire passer PKP pour un intrus dans son nouveau parti et on ne cesse de mettre en contradiction ses positions actuelles avec ses positions d’hier. Mais la critique vire rapidement à la caricature malveillante. Surtout, on veut en finir avec celui qui pourrait redéfinir en profondeur l’identité politique du Parti Québécois en en refaisant une coalition ouverte au plus grand nombre, sauf aux fédéralistes non repentis. On notera toutefois que des figures historiquement liées à la gauche indépendantiste, comme Andrée Ferretti, se sont ralliées à sa candidature. PKP n’a pas pigé ses soutiens qu’à «droite».
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On le voit, la campagne n’est pas de tout repos. Il aura connu son baptême du feu. Et pourtant, à ce qu’on en sait, PKP maintient ses appuis et continue d’en engranger. Si la tendance se maintient, il remportera la chefferie du PQ. C’est que la candidature de PKP répond à certains problèmes majeurs du mouvement souverainiste. Des problèmes structurels, en quelque sorte. Et s’il est accueilli comme un sauveur, au point où plusieurs le transforment en homme providentiel, c’est que le PQ a effectivement besoin d’être sauvé. Depuis 1998, le PQ connait une régression constante, qui correspond, plus profondément, à la dislocation de la question nationale, d’autant que la démographie joue contre elle, quoi qu’en disent les qui préfèrent censurer la réalité lorsqu’elle démonte l’illusion du vivre-ensemble multiculturel. Il se pourrait, paradoxalement, que ce sentiment d’urgence contribue à redonner au mouvement souverainiste l’énergie qui lui manque.
La candidature de PKP répond d’abord à la panne de volonté politique chez les leaders souverainistes. On l’a vu aux dernières élections, il a suffi que l’indépendance se pointe le museau dans la campagne péquiste pour que cette dernière s’effondre. Le PQ a été incapable de faire campagne trois jours sur sa raison d’être. Il y avait quelque chose de gênant dans cette liquéfaction en direct d’un grand parti. Et alors qu’il fuyait son option, le PLQ la lui rappelait en la diabolisant. Les libéraux sont parvenus à transformer l’élection de 2014 en référendum sans référendum sans pour quant qu’on y trouve un camp du Oui, et on peut se demander si PKP était conscient de s’embarquer dans un parti aussi peu sérieux dans la poursuite de son objectif fondamental. Avec les années, la souveraineté était devenue un idéal lointain, un rêve agréable. Elle n’avait plus rien d’un projet politique. Les Québécois n’en peuvent probablement plus de tels velléitaires qui confondent le fantasme du pays avec la vraie lutte politique pour l’obtenir.
PKP entend faire campagne sur l’indépendance. Ce n’est plus en cachant la raison d’être du PQ mais en l’assumant qu’il cherchera à se faire élire. Autrement dit, pour lui, la souveraineté n’est pas un fardeau mais la meilleure arme du PQ. Pour PKP, la souveraineté ne doit pas être dissimulée sous la veste mais exhibée et portée fièrement comme un étendard. Sa promesse, c’est de refaire de l’idéal un projet. Il ne s’agit plus seulement de rêver au pays mais de documenter à nouveau l’indépendance, à la lumière de l’intérêt national. En quoi le cadre canadien nous enserre-t-il au point de nous étouffer? En quoi le fédéralisme entrave-t-il la pleine expression du potentiel québécois? De cela, les Québécois doivent avoir à nouveau la démonstration, tellement ils se sont habitués, depuis vingt ans, au Canada tel qu’il est. Reste à voir si les Québécois sont prêts à suivre un leadership clairement affirmé à propos de l’indépendance? Il n’est pas interdit de craindre qu’ils aient abandonné la souveraineté et qu’ils se contentent d’un nationalisme tiède comme celui de la CAQ, même s’ils continuent de se montrer très sensibles sur la question identitaire.
PKP redonne aussi une certaine crédibilité économique au projet souverainiste. D’autant que ces années-ci, la crédibilité économique et financière de l’indépendance est fragilisée comme jamais. La propagande fédéraliste est parvenue à ranimer le mythe d’une souveraineté catastrophique, comme si la prospérité du Québec était fondamentalement empruntée et dépendait exclusivement de son appartenance au Canada. Le martèlement du discours sur la péréquation est exemplaire de cette radicalisation du fédéralisme. Il ne s’agit plus seulement de dire que le fédéralisme est préférable à l’indépendance: il s’agit de faire de la souveraineté un projet déraisonnable, irrationnel et relevant du pire délire, seulement bon pour les fabulateurs et les excités. Les fédéralistes entendent désormais éradiquer le mouvement souverainiste, ils veulent en finir avec la possibilité même de l’indépendance.
Le PQ, traditionnellement, a toujours été capable d’attirer dans ses rangs quelques économistes de talent, Jacques Parizeau étant certainement le plus célèbre d’entre eux. Il était d’ailleurs l’héritier de la longue tradition du nationalisme économique qui remonte jusqu’à la fondation des HEC. C’est une sottise de dire que les souverainistes ne se sont jamais souciés de la crédibilité économique de leur projet. Mais le fait est que les hommes d’affaires se sont faits plus rares dans leurs rangs. Ils savent qu’on ne leur pardonnera pas leur passage chez le diable séparatiste. L’engagement de PKP au PQ vient ici donner un gage de crédibilité économique au mouvement souverainiste. Sa promesse: la souveraineté n’appauvrira pas les Québécois. Mieux encore: elle les enrichira. N’est-ce pas le sens de son fameux slogan Réussir? La figure de PKP vient ici renforcer la crédibilité économique du projet national.
Cette vertu que plusieurs lui prêtent n’est pas sans lien avec le troisième avantage stratégique associé à la candidature de PKP. La candidature de PKP répond aussi à l’éclatement actuel du camp souverainiste, qui a perdu, en dix ans, une bonne partie de son électorat sur sa droite, d’abord à l’ADQ et ensuite à la CAQ. Nous assistons ainsi à une catastrophe politique: la division suicidaire des francophones qui jouent à la gauche et à la droite sans comprendre qu’ils perdent ainsi le contrôle de leur destinée. Cet électorat plus conservateur se montre justement sensible au réalisme économique, à la création de richesse et au nationalisme identitaire. Les valeurs auxquels il adhère relèvent moins de la social-démocratie que du sens du travail, de l’effort individuel, de l’enracinement. Dans les 450, le leadership de PKP pourrait faire la différence. Peut-être pourrait-il même se donner comme objectif de faire renaître le mouvement souverainiste à Québec et sur la rive-sud de Québec.
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J’ai cherché ici à comprendre les raisons qui expliquent l’enthousiasme ou l’adhésion d’un grand nombre de souverainistes à la candidature de PKP. Cela ne veut pas dire, pour autant, que cette dernière soit sans failles. On l’a vu, PKP demeure un orateur hésitant, même si on peut croire avec raison que cela s’explique surtout par la nature de la présente élection. Dans une course à la chefferie, il faut ménager ses adversaires qui redeviendront ensuite des collègues. Pour utiliser une métaphore militaire, on ne tire pas pour tuer, à moins de pratiquer la politique de la terre brulée.
On peut croire, toutefois, qu’une fois devenu chef, PKP ne s’imposera plus cette réserve exagérée et pourra accorder ses discours à sa nature beaucoup plus combattante, bien plus énergique. On devine qu’il sera autrement plus éloquent devant Philippe Couillard que devant Martine Ouellet. Il y a des hommes doués pour le consensus, d’autres pour l’adversité. Manifestement, PKP appartient à la deuxième catégorie. Cette nature correspond d’ailleurs à un nationalisme enraciné sans compromis, à mille lieux du souverainisme aseptisé de ceux qui n’en finissent pas de quêter à leurs adversaires un certificat de respectabilité. Le nationalisme de PKP répond au vieil appel de la Révolution tranquille : maître chez nous. Il semble tout autant économique qu’identitaire et politique.
PKP devra aussi se montrer plus constant. À plus d’une reprise, dans la course, il a adopté une position, pour en changer le lendemain, et revenir sur sa décision le surlendemain. Ses hésitations autour de la question de la laïcité, ou ses excuses après avoir énoncé une évidence concernant la mutation démographique du Québec et ses effets sur la cause souverainiste en ont inquiété plus d’un. Était-ce dû à un flou intellectuel, comme le suggèrent ses adversaires? Ou plutôt, comme on peut le croire, parce qu’il hésite entre une parole libre et le respect du corset que doivent apparemment endosser ceux qui entrent dans l’arène politique? Le métier de politicien, dans la mesure où c’est un métier, ne s’apprend pas d’un coup et il faut, très rapidement, intérioriser les interdits du politiquement correct, sans quoi les médias accuseront le contrevenant idéologique de multiplier les dérapages. On devine qu’on lui explique souvent qu’il va toujours trop loin et qu’il doit lisser sa parole publique, ne peut heurter tel groupe, et tel autre, et quêter à ceux qui les donnent des certificats de respectabilité idéologique. Comment ne pas constater, encore une fois, que la rectitude politique mine à terme la démocratie en multipliant les interdits idéologiques?
Mais on peut souhaiter aussi, finalement, que PKP ne se plie pas trop à de tels codes. Ce qui fait sa force, c’est aussi qu’il n’entre pas dans le moule des politiciens préfabriqués. Ceux-là parviennent à ne pas avoir trop d’ennuis en conjuguant grâce à l’alternance les douceurs du pouvoir et l’exaltation militante de l’opposition. Ils font carrière et plusieurs servent très honorablement le bien public. En échange, ils ne parviennent jamais à accomplir un immense projet. Alors que c’est justement ce qui est demandé à Pierre-Karl Péladeau. Nul n’est appelé à accomplir de très grandes choses s’il n’a pas, pour le meilleur et pour le pire, le sens d'une vocation exceptionnelle. Toute la candidature de PKP repose sur une espérance : les souverainistes ont peut-être trouvé l’homme qui fera du Québec un pays.
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