Voici comment la Bataille de Vimy a servi à unir le Canada anglais (même si c’est loin de la réalité)

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L’unité canadienne contre le Québec

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS – RICHARD JACK – DOMAINE PUBLIC


Représentation de la bataille intitulée The Taking of Vimy Ridge par le peintre Richard Jack.




La Bataille de Vimy a eu lieu il y a 106 ans cette semaine, du 9 au 12 avril 1917. Cette victoire de l’armée canadienne s’est faite au prix de 3600 morts et 7000 blessés. Après la guerre, la mémoire de cet engagement militaire a pris des proportions mythiques au Canada anglais. Voici pourquoi.


Au printemps 1917, les quatre divisions canadiennes attaquent la crête de Vimy. Toutes les offensives alliées précédentes ont échoué. Or, en quelques jours, les Canadiens réussissent. 


Ce succès reflète d’abord l’excellente qualité des troupes canadiennes et la préparation de l’attaque, meilleure qu’auparavant. Mais il y a surtout le fait que les Allemands, contrairement à avant, décident d’opérer une retraite stratégique après le début de l’affrontement.


Cette victoire n’est pas décisive, mais fait du bien au moral des Alliés. Pour le Canada, ce combat est suivi à l’automne 1917 de la terrible bataille de Passchendaele, un échec sanglant, mais aussi de percutantes victoires en 1918.


PHOTO FOURNIE PAR CANADA DEPT. OF NATIONAL DEFENCE / BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – DOMAINE PUBLIC


Des militaires canadiens sur la crête de Vimy.




Un choix politique


Après la guerre, Ottawa veut se démarquer de la Grande-Bretagne et cherche à créer une mémoire patriotique distincte. Voilà pourquoi Vimy est choisie comme fait d’armes par excellence. La colline qui surplombe la région constitue un site parfait pour construire un mausolée. Les quatre divisions canadiennes ont combattu ensemble – même si ce n’était pas la première fois. Fait à noter, les militaires canadiens s’étaient opposés à ce choix. Cette bataille n’était pas significative à leurs yeux.


Pour des raisons politiques, toutefois, leur avis est ignoré et, en 1936, le mémorial de Vimy est inauguré en grande pompe par le roi Édouard VIII. Ce monument consacre le mythe. Ce ne sont plus quatre divisions en armes qui ont gravi la fameuse crête, mais, de façon allégorique, toute la nation. Le Canada a ainsi forgé son unité dans la bravoure, le sang et la gloire. Ce récit est depuis repris en boucle dans les médias, dans la littérature, par certains historiens et par des politiciens, par exemple l’ancien premier ministre Stephen Harper.


PHOTO FOURNIE PAR CANADA DEPT. OF NATIONAL DEFENCE / BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – DOMAINE PUBLIC


Un canon bombarde la crête depuis l’arrière des lignes canadiennes.




Évidemment, le Canada n’est pas le premier pays à exagérer ses exploits militaires. Mais rien n’est plus éloigné de la vérité que dire que Vimy nous a « unis ». À l’époque, le dominion est divisé comme il ne l’a jamais été. Au Canada anglais, les gens des villes accusent les fermiers d’être des profiteurs en raison du prix des denrées alimentaires. Lors d’attroupements spontanés, des étrangers sont passés à tabac dans les rues, accusés de ne pas contribuer à l’effort de guerre. Ottawa interne certains immigrants originaires de pays ennemis. 


Le pire toutefois, et de loin, c’est la situation des Canadiens français. À Vimy, 60 % des soldats de l’armée canadienne sont britanniques, ce qui diminue évidemment la dimension canadienne de la victoire. On compte par ailleurs très peu de francophones. 



PHOTO FOURNIE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS – OFFICE NATIONAL DU FILM DU CANADA, PHOTOTHÈQUE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — DOMAINE PUBLIC


Le roi Édouard VIII, à droite dans la deuxième rangée en partant du bas, lors de l’inauguration du Mémorial national du Canada à Vimy, le 26 juillet 1936.




Depuis 1912, les écoles françaises sont fermées en Ontario. La province éradique de son territoire la langue et la culture de la minorité. Cela refroidit passablement le patriotisme des Canadiens français pendant la guerre. Ajoutons à cela que l’armée ne compte presque pas de régiments francophones. Très peu d’officiers parlent notre langue pour former les recrues canadiennes-françaises, dont la vaste majorité est unilingue. Il y a aussi peu de prêtres pour donner les derniers sacrements aux catholiques. 


Tout au long du conflit, le gouvernement conservateur est incapable de corriger la situation. Cette incompétence s’étend à d’autres domaines. Des armes défectueuses sont fournies aux soldats. Leurs bottes ne résistent pas à la boue des tranchées. Des scandales de corruption éclaboussent le gouvernement du premier ministre Robert Borden, qui donne de juteux contrats aux amis du parti. 


PHOTO FOURNIE PAR RENÉ HOURDRY – WIKIMEDIA COMMONS


Le mémorial de Vimy.




Un vote pour le Kaiser


Tout indique que Borden sera battu aux élections par les libéraux de Wilfrid Laurier, lequel refuse de former un gouvernement de coalition en 1917 et force ainsi la tenue d’un scrutin. Mais Borden fait porter la campagne sur la conscription devant Laurier, qui la refuse. Dès lors, il ne s’agit plus de battre l’Allemagne, il s’agit d’écraser la résistance à la conscription de l’infâme minorité canadienne-française. Un vote pour Laurier, c’est un vote pour le Kaiser !  


Forts de cette approche, les conservateurs triomphent lors du scrutin de décembre, sauf au Québec, où ils subissent une raclée. Quelques mois plus tard, au printemps 1918, l’armée tue quatre civils lors d’émeutes anti-conscription à Québec. 


La Grande Guerre a été une crise d’unité nationale sans précédent. Pour se forger une mémoire glorieuse avec Vimy, la majorité canadienne-anglaise a ignoré sciemment le sort qu’elle nous a fait subir.

 


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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.