Craignant qu'Ottawa soit tenté par «une prise de force» dans le débat sur la création d'une agence réglementaire unique, la ministre des Finances du Québec a établi des limites hier en invitant le gouvernement Harper à ne pas remettre en question les compétences provinciales en la matière.
Ne ratant jamais l'occasion de faire valoir sa position en faveur d'un système réglementaire décentralisé mais harmonisé, comme le souhaitent toutes les provinces sauf l'Ontario, Monique Jérôme-Forget a laissé entendre hier qu'Ottawa ferait fausse route si jamais il souhaitait traîner le débat devant les tribunaux.
«Hélas, le gouvernement de M. Harper insiste pour promouvoir une commission des valeurs mobilières unique. Certains évoquent même qu'il pourrait demander à la Cour suprême du Canada de statuer sur la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral en matière de valeurs mobilières», a affirmé la ministre lors d'un discours à Montréal.
«Pourtant, la compétence des provinces en cette matière a toujours été reconnue. Plutôt que de demander avis à la Cour suprême, ne serait-il pas plus sage pour le gouvernement fédéral de consulter les provinces à ce sujet?», a-t-elle demandé.
«Cette prise de force laissera plus qu'un goût amer. Le premier ministre du Canada devrait mettre en pratique le fédéralisme d'ouverture qu'il prêche plutôt que de référer le dossier aux tribunaux», a dit Mme Jérôme-Forget. Elle s'exprimait devant les participants à une journée-conférence organisée par l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Thèmes connus
Mme Jérôme-Forget milite sans relâche en faveur du système de «passeport», qui éviterait à une entreprise souhaitant solliciter l'épargne des investisseurs de s'inscrire dans plusieurs provinces. Les adversaires du projet, dont une partie des acteurs de Bay Street, affirment que ce système serait moins efficace et plus coûteux que si les marchés financiers canadiens n'étaient encadrés que par une seule autorité réglementaire.
La ministre a repris hier plusieurs thèmes qu'elle a déjà traités dans des discours précédents, par exemple que les arguments avancés par les partisans d'une agence unique, dont les coûts, ne tiennent pas debout. La question des coûts pour les entreprises qui sollicitent les investisseurs n'est pas liée à la structure réglementaire, a-t-elle affirmé, mais à la faible concurrence.
«Il a fallu le système de négociation alternatif Alpha, PureTrading et Instinet pour que la Bourse de Toronto réduise ses frais», a dit Mme Jérôme-Forget.
La ministre a enchaîné en évoquant la récente prise de position de Rodrigo de Rato, qui dirige le Fonds monétaire international (FMI). Cet été, lors d'un discours à Toronto, il a affirmé que le Canada est le seul pays du G7 sans agence réglementaire unique, et que les «investisseurs canadiens méritent mieux».
Aux yeux de Mme Jérôme-Forget, cette «ingérence» est inacceptable et découle «probablement» de certaines «pressions». «Le lien étroit entre le ministère des Finances du Canada et le FMI est probablement l'une des raisons», a-t-elle dit en parlant d'une «intrusion dans nos débats internes». Non seulement le FMI est-il plus prudent lorsqu'il parle d'autres pays, a-t-il affirmé, mais la Banque Mondiale et l'OCDE ont toutes deux une opinion favorable du système canadien.
Le discours de la ministre a précédé une table ronde portant sur l'idée d'une agence réglementaire pancanadienne. Parmi les membres figuraient notamment le président de l'Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCOVAM), Ian Russell, et l'ancien président de la Commission des valeurs mobilières du Québec, Jean Martel.
«Nous sommes rendus trop loin dans le projet de passeport pour reculer [et opter plutôt pour une agence unique]», a dit M. Martel, qui travaille au cabinet d'avocat Lavery, de Billy et siège au conseil d'administration du Groupe TSX. «Soyons pragmatiques.»
Un professeur de l'Université Laval, Jean-Marc Suret, a dit que le débat occultait malheureusement plusieurs réalités. Par exemple, a-t-il rappelé, plusieurs sous-secteurs de l'industrie financière sont concentrés entre les mains d'un très petit nombre de sociétés.
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