Écoles passerelles

Une solution de rechange au projet de loi 103

Écoles passerelles - Loi 115


Le gouvernement du Québec doit renoncer à adopter son projet de loi 103 dans sa forme actuelle. On croit comprendre cependant qu'il refusera d'étendre les dispositions de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. Voici donc une solution de rechange qui pourrait peut-être permettre à Québec de réaliser les mêmes objectifs que ceux qui étaient visés par la loi 104.
Recommandation no 1
Le gouvernement du Québec doit aviser les immigrants qui viennent s'établir au Québec qu'en choisissant de vivre ici, ils choisissent du même coup de s'intégrer à la communauté francophone, ce qui est compatible avec la possibilité de s'assimiler à la communauté anglophone. Cette obligation d'intégration et cette liberté d'assimilation concernent aussi leurs enfants. En choisissant le Québec, ou bien ils acceptent de faire entrer leurs enfants dans le régime d'éducation publique de langue française, ou bien ils assurent leur éducation à l'école privée non subventionnée de langue anglaise.
Cette politique à l'égard de l'immigration devrait aller de pair avec l'affirmation que la langue française est la langue publique commune du Québec et elle s'applique également aux francophones. Il faudrait aussi instaurer une citoyenneté québécoise et indiquer que la langue française est la langue de la citoyenneté. Pour acquérir la citoyenneté québécoise, il faudrait alors manifester des aptitudes à parler français.
Recommandation no 2
On reconnaît aux allophones et francophones le droit d'envoyer leurs enfants dans des écoles privées non subventionnées de langue anglaise. Mais, ainsi que le propose Louis Bernard, ils doivent alors prendre l'engagement solennel de ne pas se servir de ce moyen pour passer à l'école publique de langue anglaise.
Ils doivent en somme s'engager à laisser leur enfant dans le régime privé non subventionné pendant toute la période de sa formation. Ils peuvent toutefois bien évidemment décider à tout moment de le faire éduquer en français en les inscrivant dans une école publique de langue française.
Recommandation no 3
Une fois les parents engagés dans un tel parcours scolaire, il se pourrait que certains d'entre eux soient confrontés à des problèmes imprévus. Ils pourraient, par exemple, faire face à des difficultés financières qui les empêcheraient d'assurer la poursuite des études de leur enfant dans l'école privée non subventionnée. Ils seraient alors invités à s'intégrer à l'école publique de langue française. Mais s'ils choisissent plutôt de s'intégrer à l'école publique de langue anglaise en s'appuyant sur l'article 23(2) de la Charte canadienne, on leur annoncera que leur enfant devra par la suite s'inscrire dans un CEGEP ou une école professionnelle de langue française.
Son parcours scolaire devra être en français pendant toute la durée de ses études collégiales ou professionnelles. On leur dira que, d'une manière générale, tous les enfants de parents francophones et de parents allophones qui n'auront pas eu un parcours scolaire en français aux niveaux primaire et secondaire devront aller dans un cégep ou une école professionnelle de langue française. Cette mesure s'applique aussi aux frères et soeurs des enfants concernés. Elle doit enfin aussi s'appliquer aux enfants d'immigrants qui ont en arrivant au Québec déjà fait l'essentiel de leur parcours scolaire dans des écoles non francophones de leur pays d'origine.
Cette solution répond à l'objectif d'intégration visé par la loi 101, mais elle pourrait aussi avoir un effet dissuasif pour ceux qui seraient enclins à opter pour un parcours dans des écoles de langue anglaise privées non subventionnées. Sachant que leur enfant devra de toute façon s'intégrer tôt ou tard à la communauté francophone, ils choisiront peut-être de ne pas l'envoyer dans une école de langue anglaise.
L'autre avantage de cette mesure est qu'elle ne peut être déclarée «inconstitutionnelle» sur la base de l'article 23, car ce dernier article a une application seulement pour les études primaires et secondaires. En outre, la mesure envisagée poursuit au fond le même objectif que celle visant à étendre la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. Mais au lieu de leur interdire l'accès à l'école privée de langue anglaise en tant que telle, on ne s'oppose pas à un tel accès, mais on leur fait savoir que l'enfant devra poursuivre ses études au niveau collégial ou professionnel en français.
On rétablit de cette manière presque intégralement l'équilibre qui était recherché par la loi 104: assurer tôt ou tard l'intégration à l'école publique de langue française pour les francophones et allophones, tout en maintenant leur droit à l'école privée non subventionnée dans la langue de leur choix.
Recommandation no 4
Le gouvernement libéral propose d'inclure une clause dans la Charte des droits et libertés affirmant la nécessité d'assurer la pérennité de la langue française. Mais cette clause élude le défi réel qui est de se doter d'une constitution interne dans laquelle seraient arrimées l'une à l'autre la Charte des droits et libertés et la Charte de la langue française. La tâche de réaliser cet arrimage nous est en quelque sorte imposée par le jugement de la Cour suprême du Canada.
Le gouvernement du Québec devrait donc s'engager à se doter d'une constitution interne dans laquelle les rapports entre les deux chartes seraient expliqués. C'est seulement de cette manière que l'on pourrait comprendre la Charte de la langue française comme l'expression du droit collectif du Québec de faire du français la langue publique commune du Québec. Il faudrait également constitutionnaliser l'existence d'une citoyenneté québécoise et faire de la langue française la langue de la citoyenneté.
La Cour suprême a erré dans son jugement contre la loi 104 en interprétant la raison d'être de la Charte de la langue française comme étant d'assurer seulement la survivance et l'épanouissement de la langue française (art. 38-39). En s'appuyant sur une telle interprétation, elle prétendit que le passage de quelques centaines d'allophones ou francophones à des écoles publiques de langue anglaise n'allait pas compromettre cette survivance et cet épanouissement.
Or, la Charte n'impose pas des règles du survivre ensemble, mais bien des règles du vivre-ensemble. Après tout, si la France, par exemple, stipule que le français est la langue de la République, ce n'est pas pour assurer la survivance de la langue française, mais bien pour affirmer le droit collectif du peuple français de vivre dans sa langue. Une constitution interne permettrait de clarifier le statut de la Charte de la langue française et de préciser que le Québec a le droit collectif d'imposer une langue publique commune partout sur le territoire québécois.
Or, le passage de quelques centaines de francophones ou d'allophones vers l'école publique de langue anglaise heurte de plein fouet ce principe, s'il n'est pas compensé par une mesure comme celle que je propose et qui est d'intégrer tôt ou tard les Québécois à la langue publique commune du Québec. Le gouvernement québécois a sans doute raison de ne pas vouloir piétiner les libertés individuelles, mais il ne doit pas non faire abstraction des droits collectifs du peuple québécois.
Recommandation no 5
Si d'aventure, l'une ou l'autre de ces mesures faisait l'objet d'une contestation devant la Cour suprême, en invoquant par exemple l'article 7 de la Charte canadienne, on pourrait arguer qu'il s'agit de restrictions raisonnables dans une société libre et démocratique. On donnerait aux juges une chance de se reprendre après avoir erré dans leur interprétation de la signification profonde de la Charte. On leur expliquerait que la Charte de la langue française impose des règles du vivre-ensemble et non du survivre ensemble. On pourrait leur expliquer que, comme en France, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Allemagne, le Québec a le droit collectif d'imposer une langue publique commune d'intégration. Si la Cour estimait que la limitation n'est pas raisonnable, on pourrait recourir à la clause dérogatoire.
Le gouvernement libéral ne peut pas se réfugier derrière le problème posé par la réputation du Québec à l'étranger pour refuser d'adopter des mesures qui sont justes. Car à ce compte-là, il faudrait également renoncer à la loi 101, étant donné que celle-ci a aussi été «nuisible» pour la réputation du Québec à l'étranger. Si les Québécois ont avec raison gardé le cap et cherché à sauver l'essentiel de cette loi en dépit de cette mauvaise réputation internationale, il faut également être prêt à mener une nouvelle lutte pour défendre la cause du français, y compris devant la Cour suprême du Canada, car, à bien des égards, les juges n'ont toujours pas bien compris eux non plus le bien-fondé de la loi 101.
***
Michel Seymour - Professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal et auteur de De la tolérance à la reconnaissance. Une théorie libérale des droits collectifs (Boréal, 2008)

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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.





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