Le Québec, encore plus que les autres gouvernements occidentaux, est aux prises avec un phénomène de vieillissement de la population. C'est en bonne partie dû au fait que les baby boomers étaient plus nombreux ici qu'ailleurs. Leurs départs collectifs à la retraite, depuis quelques années et pour une bonne décennie encore, provoquent des bouleversements à plusieurs niveaux... à un point tel qu'il faut se demander si nous pouvons encore longtemps encourager les retraites anticipées à 60 ans et même avant.
Dans un récent rapport intitulé La longévité : une richesse, Claude Castonguay et Mathieu Laberge se sont intéressés aux liens entre la population et la croissance économique. Ils en viennent à conclure que « si nous n'agissons pas, le vieillissement de la population québécoise pourrait compromettre la pérennité des programmes de santé, de services sociaux et de sécurité du revenu ». Il s'agit d'une menace alarmiste, mais il faut parfois utiliser cette arme pour attirer l'attention sur un grave problème. Et le temps qui passe ne fait que nous rapprocher de l'année charnière, où le bas de laine collectif des Québécois se videra plus vite qu'il ne se remplira. Selon les auteurs, cela surviendrait « d'ici cinq ans ».
Un fait criant demeure : notre société est bien riche pour gaspiller aussi frivolement le talent, l'expérience et la mémoire corporative de centaines de milliers de travailleurs, parce qu'ils ont atteint un chiffre rond (60 ans, par exemple), un chiffre magique (35 années de service, ou un facteur 85 tenant compte de l'âge et des années de service), ou un chiffre évocateur... 55, comme dans Liberté 55, slogan d'une campagne publicitaire d'une autre époque.
Ainsi quitter le marché de l'emploi à 57 ans ou 61 ans « peut être un objectif individuel séduisant, mais c'est un objectif coûteux du point de vue de la collectivité », publiait l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dès 2002, dans un de ses rapports. Car « les départs à la retraite précoce font peser une charge qui n'est pas tenable sur les régimes de pension. »
Sûr que la retraite à 57 ans est attirante. Surtout quand on y pense depuis cinq ou six ans... Dans la société actuelle, on commence déjà à en rêver à 50 ans en voyant nos collègues de quelques années nos aînés prendre une retraite toujours qualifiée de « bien méritée ».
Si, ou lorsque, le gouvernement décidera de ralentir les mises à la retraite hâtives, il y aura donc bien des pleurs et grincements de dents, car ces travailleurs crieront à l'injustice d'avoir été trop jeunes de quelques années. Il faudra un gouvernement bien ancré dans le sol pour soutenir les pressions de ce lobby que l'on devinera déjà bien organisé : ces cinquantenaires d'expérience connaissent bien les leviers du pouvoir, l'influence des lobbies et les faiblesses des politiciens et sauront sur lesquels agir pour gagner leurs arguments.
Certes, le système d'aujourd'hui le permet. Et c'est là que le bât blesse. Parce que le système a été basé sur des prémisses maintenant périmées. Quand les législations sociales ont été adoptées, à partir des années 1950, l'espérance de vie des hommes était de 66 ans, et celle des femmes, 71. Permettre la retraite à 65 ans, alors qu'on a fait un boulot physique toute sa vie, ce n'était que d'offrir un petit répit. Maintenant que l'espérance a grimpé à 78 et 81 ans, cela signifie que les régimes de retraite doivent être garnis pour payer pendant 13, voire 15 ou 16 ans ! Et pour se reposer de quoi, quand on a effectué un travail dans une industrie de service, un travail de bureau pendant 30 ou 35 ans ?
Les auteurs rappellent donc le concept du « vieillissement actif ». Il faut revaloriser le travail, réduire les incitatifs à la retraite, accroître la flexibilité du travail (les travailleurs âgés dans des postes qui reconnaissent leurs limites physiques, les horaires réduits), etc. Ne pas forcer au boulot ceux qui n'en ont plus la santé, mais ne pas forcer non plus à l'oisiveté et au loisir ceux qui ont encore toute leur santé.
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