Parlement d'Ottawa

Une session passée au rythme des scandales

Dérives démocratiques - la société confrontée à sa propre impuissance



Insultes, attaques, scandales. La dernière session parlementaire au Parlement d'Ottawa a été noyée sous une cascade de bruits assourdissants qui ont fait oublier les rares initiatives gouvernementales dignes de mention. Malgré les coups, l'équipe de Stephen Harper est toujours au pouvoir et les libéraux retardent encore le moment où ils provoqueront sa chute et des élections. À qui le temps donnera-t-il raison? Les paris restent ouverts à la lumière des sondages qui refusent de prédire un vainqueur.
Quand un gouvernement est minoritaire, il vit d'une certaine manière avec le fusil sur la tempe. Et quand il est dans les câbles plus souvent qu'à son tour, comme l'a été celui de Stephen Harper ce printemps, on s'attendrait à ce que l'opposition appuie sur la gâchette. Mais ce ne fut pas le cas. Les libéraux ont préféré tirer à blanc. Pour gagner du temps, attendre que le vent tourne.
La session parlementaire avait pourtant commencé par un débat de fond sur le renouvellement ou non de la mission militaire canadienne en Afghanistan. Dans un rare moment de concertation bipartisane, conservateurs et libéraux ont fini par s'entendre sur une motion permettant le prolongement de la mission jusqu'en 2011, éliminant cette question de la liste des futurs enjeux électoraux.
Car on les croyait proches ces élections. En décembre, le chef libéral Stéphane Dion avait laissé planer la menace de défaire le gouvernement. Le budget qui approchait lui en offrait l'occasion, tout comme l'adoption du projet de loi en matière de justice dont le gouvernement avait fait une question de confiance.
À chaque occasion, les libéraux ont affiché leur opposition, mais toujours en nombre insuffisant pour permettre la défaite des conservateurs. Le manège s'est poursuivi tout le printemps lors des votes sur certaines motions néo-démocrates ou encore les mesures budgétaires modifiant les pouvoirs de la ministre de l'Immigration.
Les conservateurs ont eu beau le narguer, le chef néo-démocrate Jack Layton l'accuser de donner une majorité par défaut à Stephen Harper, Stéphane Dion est resté sur sa position. Il attendrait son heure, même si son propre caucus affichait des signes d'impatience.
Les conservateurs n'étaient pas préparés à ce purgatoire et la minceur de leur menu législatif a laissé le champ libre au moindre sursaut embarrassant, ce qui n'a pas manqué. L'affaire Mulroney-Schreiber, l'affaire Cadman - du nom de ce député mourant à qui les conservateurs auraient offert une assurance vie en échange de son vote pour défaire le gouvernement Martin -, l'affaire Bernier-Couillard, la perquisition au quartier général du Parti conservateur dans le cadre d'une enquête d'Élections Canada sur les dépenses électorales de la formation, la fuite d'une note diplomatique mettant le candidat démocrate à la présidence américaine Barack Obama dans l'embarras, le projet de loi menaçant le financement de productions audiovisuelles, la dénonciation croissante du sort réservé à Omar Khadr détenu à Guantánamo...
Sur le plan législatif, le projet de loi du député Ken Epp touchant les crimes contre un foetus a davantage attiré l'attention que les projets du gouvernement, rappelant aux Canadiens la présence d'une forte opposition au libre-choix dans les rangs conservateurs.
Comme si cela ne suffisait pas, le chef libéral a décidé de terminer la session en présentant un plan étoffé de lutte contre les changements climatiques, rappelant indirectement que l'environnement reste le principal point faible des conservateurs.
La nature a horreur du vide
Le politologue Jean-Herman Guay, de l'Université de Sherbrooke, n'est pas totalement surpris. Il rappelle qu'on avait déjà le sentiment, il y a six mois, que les conservateurs avaient épuisé leurs munitions, eux qui n'avaient pas prévu gouverner si longtemps. «Par conséquent, cela a laissé le champ libre à d'autres questions, comme l'affaire Mulroney-Schreiber ou d'autres.»
«Un gouvernement fatigué, une opposition faible, ça ne produit pas beaucoup de substance mais beaucoup d'étincelles», résume le politologue Claude Denis, de l'Université d'Ottawa. Selon lui, «l'échec principal de Stephen Harper est peut-être de ne pas avoir réussi à pousser les libéraux à provoquer des élections. Mais c'est un peu sa faute. Il a tout fait pour affaiblir Dion, ce qui a rapidement mis les libéraux sur la défensive».
Stephen Harper, lui, déclarait cette semaine que «l'efficacité [de son] gouvernement n'avait d'égal que la faillite de l'opposition». Mais cette même opposition a réussi à utiliser les accidents de parcours de son gouvernement, de ses ministres ou de son parti pour égratigner l'image d'intégrité et de compétence de son équipe. «Toutefois, n'eût été les scandales, croit Jean-Herman Guay, cette session se serait terminée à l'avantage des conservateurs, peu importe la minceur de leur menu législatif.» Il note d'ailleurs que les soubresauts du printemps n'ont pas encore influencé les sondages de façon notable.
Un sondage Léger Marketing publié dans nos pages hier montrait que le Bloc se maintient au Québec avec 31 % des intentions de vote. Le PC a reculé de cinq points, mais pour revenir au niveau d'appuis des dernières élections. Les libéraux et le NPD remontent un peu, mais rien pour bousculer l'échiquier. À l'échelle canadienne, un sondage Strategic Counsel-The Globe and Mail paru il y a deux semaines indiquait que les libéraux obtenaient 30 % des appuis et les conservateurs, 32 %. Ils en récoltaient quand même 39 % en février.
«Nous sommes dans une situation extraordinaire. Tous les partis sont faibles. Chacun est capable de jouer sur les faiblesses de ses adversaires mais sans être capable d'en tirer profit», diagnostique Claude Denis. Le résultat est un électorat, en particulier au Québec, fragmenté comme jamais par le passé à l'échelon fédéral, note M. Guay.
Chacun son boulet
Les libéraux, handicapés par leur valse-hésitation et un chef dénué de charisme, n'ont pas fait les gains espérés et n'ont pas réussi à regarnir leurs coffres, ce qui les a empêchés de répliquer aux publicités négatives des riches conservateurs. Même Stéphane Dion traîne toujours une lourde dette de campagne.
Quant au Bloc québécois, il a stoppé sa chute, mais son défi est de se renouveler, pense Claude Denis. Le BQ doit maintenant prendre en compte l'abandon de l'échéancier référendaire, une stratégie péquiste qu'il ne contrôle pas, et la plus grande crédibilité des conservateurs au Québec. Antonia Maioni, de l'université McGill, rappelle cependant que le Bloc reste toujours, pour beaucoup de Québécois, la seule solution de rechange au Parti conservateur, «un parti avec peu de racines dans la province et un chef que bien des gens ne sont pas prêts à appuyer».
Il faudra maintenant voir, d'ici l'automne, si la stratégie attentiste de Stéphane Dion continuera de lui nuire ou si le temps lui donnera raison, dit M. Guay, car si le gouvernement avait été défait au moment du budget, Stéphane Dion n'aurait rien eu pour faire oublier ses faiblesses et souligner celles du gouvernement. Ce dernier aurait pu être réélu avec une plus forte députation.
Claude Denis est plus sceptique, car si le raisonnement de Dion pouvait chaque fois se défendre, il peut se révéler dans l'ensemble dangereux en jetant un doute sur ses convictions. Par contre, la reprise imprévue du débat sur le droit à l'avortement provoqué par le député Ken Epp et le fort accent mis sur la militarisation de la politique canadienne pourraient rebuter des électeurs, en particulier les femmes, et nuire aux conservateurs, pense-t-il «Ce sont des questions qui sont de nature à éloigner l'électorat modéré et à affermir la base traditionnelle conservatrice. Comment rejoindre les deux est l'éternel dilemme de la droite, et Stephen Harper n'a pas encore réussi à le résoudre.»
La réaction au Tournant vert dévoilé jeudi par Stéphane Dion est aussi à surveiller, pense Jean-Herman Guay. Il peut avoir pour effet de faire oublier les hésitations du chef libéral comme il peut devenir «la corde avec laquelle il se pendra». Le pari n'est pas gagné, avertit Antonia Maioni. «Les libéraux n'ont pas réussi à orienter le programme parlementaire. Seront-ils plus efficaces pour contrôler le débat électoral?»
En somme, la partie est loin d'être jouée. À suivre.
Collaboratrice du Devoir


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