La Délégation générale du Québec à Paris célèbre aujourd'hui ses cinquante ans. C'est l'occasion de rappeler quelques moments forts de l'histoire de la jeune diplomatie québécoise. Dernier d'une série de trois textes.
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Paris — Lorsque Paul Gérin-Lajoie, alors ministre de l'Éducation du gouvernement de Jean Lesage, prononça son célèbre discours devant le corps consulaire qui donna naissance à la «doctrine Gérin-Lajoie», le premier ministre Jean Lesage, alors en voyage en France, n'en avait pas été informé. Le 12 avril 1965, le ministre énonçait pourtant pour la première fois la thèse selon laquelle le Québec pouvait agir à l'étranger dans ses domaines de compétence sans «surveillance» ni «contrôle» d'Ottawa. Comment allait donc réagir à son retour le premier ministre, qui avait longtemps siégé à Ottawa? À la surprise générale, il appuya totalement la position de son ministre et donna ainsi naissance à la doctrine qui fonde toujours la politique étrangère du Québec.
«Les réactions à Ottawa furent d'abord très mitigées», se souvient André Patry, qui avait écrit le discours et convoqué le corps consulaire avec l'aide de son ami le consul général d'Autriche Nandor Löwenheim. «Mais, un peu plus tard, c'est le ministre des Affaires étrangères Mitchell Sharp qui s'opposera clairement à la présence du Québec à l'étranger. Pour le reste, ce fut l'étonnement complet. Personne n'avait pensé à ça, sauf quelques nationalistes québécois. À force de m'entendre et de me lire sur ces questions, ils ont compris qu'il y avait quelque chose à faire. [...] Au début, j'étais absolument seul. J'avais une grande liberté et l'on me laissait prendre des initiatives.»
Ce polyglotte érudit fut avec quelques rares personnages (comme Jean-Marc Léger, Paul Gérin-Lajoie et Claude Morin) le maître d'oeuvre de la doctrine qu'invoque toujours le premier ministre Jean Charest pour réclamer le droit du Québec de participer aux négociations du traité de libre-échange Canada-Union européenne ou aux rencontres internationales sur l'environnement ou sur Haïti.
Pourtant, André Patry trouve que les temps ont bien changé. Au moment de célébrer les 50 ans de la création de la Délégation générale du Québec à Paris, il se dit déçu de l'action actuelle du Québec, notamment en France.
«Moi, je vois un déclin dans la présence québécoise à Paris depuis plusieurs années et quant à l'influence concrète, dit-il. Il n'y a plus l'impulsion qu'il y avait durant ces années. La grande passion est disparue. En Europe, on considère que le Québec va demeurer français et on lui fout la paix. Et Ottawa s'en réjouit. Je trouve ça décevant. Mais ce n'est pas la faute de la France. C'est la faute du Québec. C'est le Québec qui s'est détaché de la France après s'en être rapproché. Et la France a laissé faire par souci de la souveraineté canadienne.»
«Une espèce de pionnier»
André Patry a eu la piqûre des relations internationales dès son adolescence, au petit séminaire de Québec, avant même de s'intéresser à la politique québécoise, dit-il. «Dès les années 30, j'ai formé le voeu que le Québec soit représenté à l'étranger. Ce qui m'intéressait, c'était le rayonnement que ça nous donnait là où le Canada n'était souvent pas représenté, ou assez pauvrement.» En 1945, alors qu'il est traducteur à la première conférence de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, il convainc l'ambassadeur du Honduras à Washington d'intervenir à la radio en faveur de l'ouverture à Québec du siège permanent de l'organisation.
En 1954, il était déjà présent lors de la première visite d'un président français à Québec, celle de Vincent Auriol. «À cette époque, personne ne connaissait quoi que ce soit aux relations internationales, dit-il. J'ai été au fond une espèce de pionnier. Mais, dès que j'avais le sentiment que ça intéressait les gens, je leur cédais le dossier et je passais à autre chose.»
Patry rencontre Jean Lesage dans les années 50 à Genève, où le futur premier ministre du Québec représentait le Canada dans une conférence. Originaires de la même paroisse de Québec, ils fraternisent. En 1961, il devient conseiller du premier ministre. «Tout ce qui concernait l'international passait par moi, dit-il. J'étais pourtant toujours étudiant et je n'avais ni bureau ni titre. Mais, comme il n'y avait personne ni devant ni derrière moi, j'avançais comme si j'étais mandaté par l'État. C'est ensuite que Gérin-Lajoie me soutiendra. J'ai fait beaucoup de choses seul, créant des précédents dont ensuite des représentants du gouvernement du Québec ont pu tirer profit.»
Lors de l'Expo 67, alors que le Québec s'apprête à accueillir une cinquantaine de chefs d'État et de gouvernement, il est tout désigné pour devenir chef du protocole. Il en profite pour éliminer discrètement certains symboles coloniaux et affirmer la personnalité internationale du Québec. La «province» disparaît des documents officiels et l'on parle alors de l'État du Québec, comme disait souvent Jean Lesage.
C'est alors qu'il accompagne le général de Gaulle de Québec à Montréal. «Il ne faut pas oublier que, sans de Gaulle, il n'y a pas grand-chose qui se serait fait. Ce fut un moment exceptionnel dans l'histoire du Québec, mais je ne m'en fais pas une gloire.»
50 ans plus tard
La situation actuelle est évidemment incomparable avec le début des années 1960. Et André Patry le reconnaît volontiers. Aujourd'hui, les relations avec la France ont pénétré tous les domaines et plus de 7000 étudiants français fréquentent les universités québécoises. Mais l'impulsion n'est plus là, dit Patry. «Nos relations se sont développées, c'est certain. C'est même une relation solide. Mais l'impulsion qui nous poussait à agir n'existe plus. Ça semble aller de soi. La relation avec la France ne peut pas être renversée, mais elle s'est banalisée. La doctrine Gérin-Lajoie aussi. Ottawa sait très bien que le Québec ne se séparera pas et la France le sait très bien aussi. Ils sont d'accord sur les gestes à poser. Cette relation a perdu sa gloire et sa fierté.»
André Patry s'ennuie visiblement de cette époque qui s'est achevée dans les années 1980 où le Québec, à la force du poignet, accumulait les précédents diplomatiques. Il y a quelque temps, il a proposé à un membre du gouvernement québécois de créer une réunion tripartite Québec-Nouveau-Brunswick-France pour que le Québec et la France aident le Nouveau-Brunswick à se refranciser. «Je n'ai même pas reçu d'accusé de réception. Le gouvernement fédéral n'est plus capable de supporter une présence québécoise trop agissante. Le premier ministre actuel du Canada est très rusé. C'est un homme remarquable qui sait où il va.»
Malgré un pessimisme évident, André Patry ne désespère pas nécessairement de la francophonie. «Il faut avoir des drapeaux plus clairs, sans arriver à la rupture, mais qui nous permettraient d'établir avec les pays francophones des rapports plus solides et de créer au fond une francophonie internationale dans les faits qui ne tiendrait d'aucune charte et qui serait fondée sur des gestes. Aujourd'hui, la francophonie, c'est une relation qui va de soi. C'est une sorte de famille, sans le cadre juridique. Une famille qui donne de grands résultats à la condition de ne pas en exagérer le destin. Mais la France est un pays faible maintenant. S'il n'y avait pas Angela Merkel, il ne se passerait pas grand-chose en Europe. La France n'est plus celle de l'époque de De Gaulle...» Et on serait tenté d'ajouter: le Québec non plus!
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Correspondant du Devoir à Paris
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