Il y a 50 ans, le Québec à Paris - 2/3

Un grand élan diplomatique

La Délégation du Québec à Paris fut une des premières manifestations de la Révolution tranquille

Il y a 50 ans, le Québec à Paris



La Délégation générale du Québec à Paris aura cinquante ans demain. C'est l'occasion de rappeler quelques moments forts de l'histoire de la jeune diplomatie québécoise et comment elle a tracé son chemin à travers le temps. Deuxième texte d'une série de trois.
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Paris — Les Canadiens français sont «des Français améliorés», avait l'habitude de dire Maurice Duplessis. Le premier ministre, qui ne prisait pas plus qu'il ne faut la France laïque et républicaine, éclatait alors d'un rire gras. Chaque fois que le député indépendant René Chaloult le pressait de se rendre à l'étranger pour faire connaître le Québec, le «cheuf» répliquait que les provinces n'avaient pas de contrôle sur les relations internationales et que, de toute façon, il n'avait pas le temps de voyager... sauf évidemment pour assister aux séries mondiales de baseball à New York!
On comprend qu'avec une telle opinion, l'ouverture d'une représentation du Québec à Paris ait dû attendre l'élection de «l'équipe du tonnerre» de Jean Lesage et la volonté commune des ministres québécois et français de la Culture, Georges-Émile Lapalme et André Malraux. «Pourtant, l'idée était dans l'air depuis plusieurs années déjà», explique l'historien Michel Sarra-Bournet de l'Université de Montréal. Dans le portrait un peu sombre que l'on a tracé des années 1950, on a souvent oublié de rappeler que René Chaloult avait réclamé la création d'une maison du Québec à Paris dès les années 1940. Peu avant sa mort subite, Duplessis envisagea d'ailleurs de nommer Jean Désy, ambassadeur du Canada à Paris, délégué général pour l'Europe. Il avait même fait inscrire pour cela un montant de 30 000 $ au budget de 1959-1960.
Le 28 janvier 1960, son successeur Antonio Barrette, soutenu par Georges-Émile Lapalme, annonça à l'Assemblée nationale l'ouverture d'une représentation du Québec à Paris. C'est le même premier ministre qui reçut Charles de Gaulle en avril. Cette visite, souvent oubliée parce qu'elle n'a pas eu le retentissement de celle de 1967, «va marquer un tournant, ou plutôt un commencement dans l'histoire des relations franco-québécoises», écrit l'historien Olivier Courteaux, de l'Université Wilfrid Laurier à Toronto. C'est lors de cette visite, écrit de Gaulle dans ses Mémoires, qu'il prendra conscience des «réalités profondes qui font de la Fédération canadienne un État perpétuellement mal à l'aise, ambigu et artificiel». C'est alors que les idées du président français se fixent, dit Michel Sarra-Bournet. Trois ans plus tard, le libérateur de la France confiera à Jean Lesage sa conviction profonde selon laquelle le Québec deviendra un jour un pays.
Deux hommes
Malgré ces antécédents, parfois oubliés, la création de la Délégation générale du Québec en France n'en est pas moins le produit de la volonté de deux hommes: Georges-Émile Lapalme et Charles de Gaulle, dit Michel Sarra-Bournet. «Quand le ministre de Lesage, Georges-Émile Lapalme, arrive chez André Malraux [sans prévenir Ottawa!] en septembre 1960, la porte était déjà ouverte. Malgré les réticences du Quai d'Orsay, de Gaulle avait déjà donné comme consigne à son ministre d'offrir au Québec le statut qu'il désirait. Ce sera à Ottawa de dire non! De Gaulle facilite tout.»
Or, ce qui surprend l'observateur d'aujourd'hui, c'est qu'Ottawa («soucieux de maintenir les prérogatives fédérales, mais aussi de ménager l'ombrageux amour-propre de la province», écrit un représentant français) ne dit pas vraiment non. Contrairement à Pierre Trudeau qui lui succédera bientôt, le premier ministre Lester B. Pearson est partisan de la thèse des «deux peuples fondateurs». Selon lui le Québec est même «une nation dans une nation». Et puis, Lesage ayant été ministre fédéral, on ne s'inquiétait pas trop. On propose donc que le Québec ait le même statut que les membres du Commonwealth à Londres. Or, ce statut n'existe pas en France. Il faudra attendre encore trois ans pour qu'en 1964, la Délégation générale du Québec (et non pas de la «province du Québec»!) obtienne un statut diplomatique, semblable à celui que possède par exemple la Palestine en France.
L'accueil d'un chef d'État
De toute façon, même si rien n'est formellement décidé concernant le statut de cette représentation, l'importance accordée à son inauguration l'imposera comme une véritable ambassade. Il est difficile d'imaginer aujourd'hui l'accueil que reçut Jean Lesage à Paris le 4 octobre 1961. De Gaulle veut recevoir Lesage «comme un chef d'État», a confié Malraux à Lapalme. Ce dernier souhaite aussi «le plus grand éclat et le plus grand retentissement possible». Lesage arrive donc avec huit de ses ministres, dont le jeune et populaire René Lévesque. C'est la moitié du Conseil des ministres! Il est reçu à l'Élysée. Rien ne lui est refusé, sauf la présence du président à l'aéroport. On a recensé environ 600 articles de journaux rendant compte de ces retrouvailles qui présagent déjà les véritables liesses populaires que suscitera la visite de Charles de Gaulle au Québec en 1967.
L'inauguration de la Maison du Québec n'est que le premier d'une longue liste de précédents que provoquera bientôt le Québec dans le domaine des relations internationales. Le discours de Jean Lesage semble d'ailleurs préfigurer ce qui s'en vient. «Le progrès moderne a fait disparaître les frontières et, d'une certaine façon, nous ne sommes plus chez nous seulement sur les bords du Saint-Laurent, dit-il. Que nous le voulions ou non, il nous faut faire face au reste de l'univers.»
Un début
Personne ne sait encore que, au grand dam d'Ottawa, le Québec obtiendra bientôt un statut diplomatique à Paris, qu'il signera avec la France, et de façon autonome, sa première entente internationale, qu'il participera en son nom à une première conférence internationale de la Francophonie sur l'éducation, qu'il créera l'Office franco-québécois pour la jeunesse sans en souffler mot à Ottawa, qu'il affirmera formellement son droit d'agir librement à l'étranger dans ses domaines de compétence et qu'il forcera la main à Ottawa pour avoir un siège à la Francophonie.
L'inauguration de la Délégation générale du Québec en France marque donc le début de la période la plus faste de la diplomatie québécoise, dit Michel Sarra-Bournet. Et l'historien de constater que cette série de précédents s'est interrompue quelque part dans les années 1980. «Si l'on excepte la nomination récente d'un représentant du Québec, non pas à l'UNESCO comme le réclamait le Québec, mais dans la délégation canadienne, les derniers gains internationaux du Québec datent de l'époque du gouvernement de Brian Mulroney. Aujourd'hui, le Québec peut être présent à l'étranger chaque fois que ça renforce la présence canadienne, comme pour défendre la diversité culturelle. Mais, quand il est question d'environnement, par exemple, c'est différent. Les choses ont bien changé.»
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Correspondant du Devoir à Paris


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