L'élargissement du rôle des cliniques chirurgicales privées

Une menace à l'accessibilité

Santé - le pacte libéral



Le gouvernement du Québec élargira de façon importante le rôle des cliniques chirurgicales privées dès le 30 septembre prochain. Il est essentiel de repenser et de réévaluer cet élargissement parce qu'il aggravera les problèmes d'accès aux chirurgies avec lesquels trop de Québécois sont déjà aux prises.
Cet élargissement rendra de plus en plus difficile l'accès pour deux raisons. D'une part, il réduira la disponibilité des services chirurgicaux dans les hôpitaux publics. Certaines chirurgies importantes seront transférées vers les cliniques privées; de plus en plus, le remplacement des genoux et des hanches, par exemple, se fera dans ces cliniques, pas dans les hôpitaux publics. D'autre part, quand les patients iront dans les cliniques privées, la plupart d'entre eux seront obligés de payer des honoraires pour des soins qui sont assurés par le réseau public à l'heure actuelle.
L'élargissement concerne les centres médicaux spécialisés (CMS), des cliniques chirurgicales privées créées par Québec en 2006. Il y en a deux types, les «CMS participants» pour les médecins participants au système public et les «CMS non participants» pour les médecins non participants au système. Seuls les «CMS participants» reçoivent du financement public.
Les deux problèmes d'accès ont leur source dans la volonté gouvernementale d'élargir en priorité le rôle et l'importance des «CMS non participants». Ce deuxième type de CMS peut déterminer les honoraires que ses patients doivent payer.
Accès réduit aux chirurgies en milieu hospitalier
On transférera certaines chirurgies des hôpitaux aux CMS de deux façons. Premièrement, un règlement octroie plus de chirurgies aux CMS dès cet automne. Les types de chirurgies permis dans les CMS passeront de 3 à au moins 56. De plus, un hôpital pourrait offrir une telle chirurgie seulement si elle est mentionnée dans le cadre de sa mission, qui doit être approuvée par le ministre. Ce dernier pourra se servir de ce nouveau pouvoir pour limiter la concurrence hospitalière et ainsi privilégier les CMS privés.
Ce règlement stipule aussi que, parmi les 56 chirurgies permises dans les CMS, seuls les «CMS non participants» auront le droit de faire celles qui exigent un hébergement postopératoire d'une durée habituelle de plus de 24 heures. Le règlement octroie explicitement aux «CMS non participants» l'exclusivité des remplacements des hanches et des genoux; les «CMS participants» n'ont pas le droit d'en faire.
Deuxièmement, le projet de loi 34, adopté le 18 juin, ouvrira la porte aux médecins «participants» pour qu'ils puissent travailler aussi dans les «CMS non participants». Bien que maintenant il ne permette qu'à un nombre limité de médecins de le faire, ce changement établira un précédent qui risque d'en intéresser beaucoup d'autres. Une enquête récente de l'Institut économique de Montréal a constaté qu'une majorité des spécialistes souhaite partager son temps entre le système public et les «CMS non participants».
Avec ce changement, les médecins «participants» pourront profiter de la possibilité de gagner davantage, parce qu'ils pourront recevoir de leurs patients en CMS des honoraires plus élevés que ceux qu'ils reçoivent du gouvernement pour des chirurgies en milieu hospitalier. Il sera donc plus rentable pour eux de réduire leur disponibilité en pratique hospitalière au profit des CMS, d'autant plus que la loi 34 leur offre beaucoup de latitude quant aux heures qu'ils seront tenus d'offrir dans les centres hospitaliers.
Quand les chirurgiens réduisent leurs heures à l'hôpital, il n'y a aucune assurance contre l'allongement des listes d'attente. Il est fort probable que les heures des chirurgiens qui continueront à oeuvrer à l'intérieur des hôpitaux seront insuffisantes pour satisfaire la demande des chirurgies en milieu hospitalier.
De plus, les chirurgiens auront intérêt financièrement à promouvoir l'utilisation de leur CMS. Si les médecins prétendent que l'attente sera très longue pour une chirurgie en milieu hospitalier, des patients qui auraient préféré être traités à l'hôpital se résigneront à subir la chirurgie dans un CMS.
Honoraires à verser pour beaucoup d'usagers des CMS
On fera donc davantage de chirurgies dans les CMS, où beaucoup de patients devront s'attendre à payer des honoraires, et ce, même si les chirurgies auraient été couvertes par le régime public si elles étaient faites dans un hôpital. Dans le cas des «CMS non participants», qui reçoivent peu ou pas de financement public, les patients paient normalement tous les honoraires. Par contre, les «CMS participants» reçoivent du financement public. En conséquence, sous certaines conditions, le gouvernement y paie les chirurgies entièrement; si ces conditions ne sont pas remplies, les patients de ces cliniques doivent payer des honoraires.
Des patients, surtout ceux qui ont des revenus élevés, choisiront des CMS afin d'éviter les longues attentes des hôpitaux. D'autres patients qui utiliseront ces cliniques n'auront que peu de choix. Même si leurs chirurgies étaient offertes à leur hôpital, l'attente pourrait y être longue, en partie parce que des chirurgiens rattachés à cet hôpital travailleront plusieurs heures dans des CMS. Lorsque les divers types de chirurgies ne peuvent être réalisées dans les délais établis par le ministre, l'hôpital doit offrir au patient la possibilité d'être traité ailleurs. Cependant, si la solution est un CMS, la loi n'exige pas que le gouvernement paie pour tous les honoraires facturés au patient.
Si la chirurgie n'est plus offerte à l'hôpital du patient et que son chirurgien recommande un CMS, il sera difficile pour le patient de trouver un autre hôpital afin d'éviter les honoraires exigés par le CMS.
Les Québécois paieront les honoraires des CMS de leurs poches ou avec une assurance privée pour tous les services des «CMS non participants» et les services qui ne sont pas assurés publiquement des «CMS participants».
Les CMS: des impacts indésirables
L'élargissement du rôle des CMS profitera à leurs propriétaires, aux médecins qui y travaillent, aux patients qui préfèrent payer pour un accès plus rapide à la chirurgie et aux compagnies d'assurance. Mais nous venons de voir que les CMS créent deux problèmes d'accès pour d'autres. L'accès équitable aux soins de santé sera compromis, car souvent l'accès aux services des CMS ne sera pas basé sur les besoins des patients, mais plutôt sur leur capacité de payer. Or, depuis 40 ans, promouvoir l'accès équitable est un principe de base de la politique québécoise de la santé.
De plus, les preuves disponibles ne nous permettent pas d'affirmer que l'élargissement du rôle des CMS améliorera la qualité des soins ou l'efficacité de notre système de santé. D'autres provinces ont constaté que des cliniques privées étaient plus coûteuses que les hôpitaux.
On prétend que ces cliniques sont nécessaires afin de réduire le temps d'attente pour les chirurgies. Mais il y a d'autres façons de le réduire. Ailleurs, une meilleure gestion du système de soins a permis la réduction du temps d'attente, sans pour autant élargir le rôle des cliniques privées. De plus, les dépenses pour les soins de santé pourraient, à la limite, être augmentées, car la dépense gouvernementale québécoise par personne pour les services de soins est beaucoup moindre que partout ailleurs au pays.
En effet, l'objectif principal du gouvernement ici n'est pas la réduction du temps d'attente, mais plutôt de favoriser les «CMS non participants» avec leurs propriétaires privés et leur financement privé. Notez que les remplacements de hanches et de genoux et certaines autres chirurgies seront permis seulement dans les «CMS non participants». Si le seul but du gouvernement était la réduction de l'attente, il permettrait ces chirurgies dans les «CMS participants», où les patients paieraient des honoraires moins élevés, si honoraires il y a. Ces cliniques devraient aussi fournir la même qualité de soins et être aussi efficaces que les «CMS non participants».
En raison des problèmes d'accessibilité que les «CMS non participants» engendrent, leur rôle ne doit pas être élargi. Si le gouvernement insiste sur la place des cliniques privées, il se doit de les financer. De plus, avant qu'il n'encourage leur développement, le gouvernement doit déterminer si de telles cliniques amélioreront le système de soins. Pour ce faire, il sera nécessaire d'évaluer un petit nombre de cliniques financées publiquement qui offrent les trois types de chirurgies autorisées actuellement dans les CMS.
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Terry Kaufman, Expert-conseil, Gestion des services de santé
Lee Soderstrom, Département des sciences économiques, Université McGill

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