LE 26 JUIN 1759

Une horde de 60 000 pirates à l’assaut du Canada

Un pirate est-il un maître auquel on est tenu d’obéir ?

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Chronique de Me Christian Néron

                                                            

Après avoir obtenu des instructions secrètes du roi, Wolfe quitte Portsmouth le 16 février 1759. Il arrive à destination à la tombée du jour le 26 juin. Il jette l’ancre à la hauteur de la pointe sud de l’île d’Orléans. Ses ordres de mission sont de s’emparer de Québec, de compléter la conquête du Canada et de terminer la guerre en Amérique. Cette grande entreprise avait été décidée en septembre 1754 par le roi George II sous la pression de son fils cadet, le duc de Cumberland.


Évidemment, Wolfe ne se présente pas seul. Il amène avec lui la plus grande flotte jamais partie en guerre depuis l’Invincible Armada de Philippe II d’Espagne. Il s’agit d’une flotte de 183 bateaux composée de 29 vaisseaux de lignes, de 12 frégates, de 2 galiotes à bombes et de 150 navires de transport. De plus, elle est équipée d’une artillerie moderne, d’une performance nettement supérieure à celle dont disposent les Canadiens à l’intérieur des fortifications de Québec.


Wolfe amène aussi avec lui tout près de 10 000 officiers et soldats, ainsi que 30 000 marins, soit environ 40 000 hommes. Comme si une pareille horde de pirates n’était pas suffisante pour ravager le Canada tout entier, le général Amherst avance tout doucement, du côté sud, sur Montréal avec une troupe de 20 000 hommes.


À ce nombre impressionnant, on pourrait même ajouter quelques bateaux marchands qui suivent la flotte. Leur utilité consiste à approvisionner les troupes de produits non militaires, comme le thé, le café, du sucre, des biscuits, des fromages, de la bière, du rhum, des cartes-à-jouer et, quand les circonstances s’y prêtent, des belles-de-jour et des belles-de-nuit.


Bref, le Canada est pris d’assaut par une horde de 60 000 hommes, tous entraînés, équipés et déterminés à agrandir l’empire de George II. La Parlement de Westminster, en janvier 1759, avait voté un budget de guerre que l’on pourrait évaluer en argent d’aujourd’hui aux alentours de 10 milliards $. L’année précédente, le gouverneur Vaudreuil avait estimé la population du Canada autour de 60 000 personnes. Le défi était donc de taille pour les Canadiens, d’autant plus que, déjà en 1755, le gouverneur considérait que « la famine était le pire ennemi du Canada ».


 Au printemps 1759, les Canadiens comprennent donc que leur pays est en péril et que leur existence nationale l’est tout autant. Quand Vaudreuil leur demande de se rallier à Québec, avant l’arrivée des Britanniques, ils sont 10 000 à y accourir dans une conscience quasi instinctive de leur responsabilité à l’endroit de ce pays qu’ils ont construit de toutes pièces et tant de fois défendu. Ils ont entre 15 et 70 ans. Mais certains n’en ont que 12 ou 13, alors que d’autres en ont jusqu’à 80. Il n’est pas du tout question de se battre pour des médailles ou des promotions. Il s’agit simplement de savoir s’ils vont continuer à exister en tant que société politique, société consciente d’elle-même et de son destin, société qui a été capable de se gouverner et de faire face à tous les défis – souvent gigantesques – qui se sont présentés depuis près de 150 ans.


Quand, en 1755, le gouverneur Vaudreuil disait que les Canadiens étaient épuisés et affamés, c’est qu’il faisait référence au fait qu’ils n’avaient pas désarmé depuis 11 ans. Déjà, en 1744, ils étaient entrés en guerre aux côtés de la France lors du déclenchement de la guerre de Succession d’Autriche. Puis, quand la Paix d’Aix-la-Chapelle a été signée en octobre 1748, les autorités coloniales françaises ont continué à exiger d’eux bien des sacrifices du fait que les coloniaux américains avaient commencé à beaucoup s’agiter du côté de la vallée de l’Ohio dont ils cherchaient à s’emparer. En conséquence, les Canadiens avaient, depuis 11 ans, tout négligé pour le service du roi, y compris le défrichage et la culture de leurs terres. Les vivres se faisaient de plus en plus rares. La disette sévissait partout. Les gens avaient faim tout le temps. La faim constituait en soi un ennemi de taille.


En 1759, ça faisait donc 15 ans que les Canadiens n’avaient pas désarmé. Et là, 40 000 Britanniques débarquent à la pointe sud de l’Île d’Orléans, et 20 000 autres avancent implacablement sur Montréal. Épuisés et affamés, à court de vivres et de munitions, ils sont malgré tout laissés en plan par Louis XV au moment même où la situation devient absolument dramatique. Le Canada tout entier risque de passer à l’ennemi, et son existence nationale, en tant que communauté de conscience, risque de subir le même sort. 


La formation d’une âme collective


Depuis 150 ans, les Canadiens avaient fait preuve d’une rare audace et détermination dans la construction et la défense de leur pays. Mais voilà qu’une armée de pirates – pirate est le mot juste lorsqu’une guerre est entreprise en violation flagrante du droit international – vient de fondre sur eux et les menace dans ce qu’ils ont de plus précieux. Vont-ils baisser les bras et se résigner à disparaître ? Eh bien non ! cette terrible menace aura pour effet de les secouer au plus profond d’eux-mêmes, au point de les transfigurer en une âme collective déterminée à défendre son existence avec l’énergie du désespoir.


Quand le gouverneur Vaudreuil va leur demander de se rallier à Québec, c’est avec cette énergie qu’ils vont lui répondre. Cette rencontre des consciences et des volontés individuelles les avait transformés en un être collectif. Personne n’a alors tenté de se défiler en prétextant l’épuisement ou la faim. Tous comprenaient qu’ils avaient une existence collective à défendre. Loin de constituer une simple masse sociale, ou une somme arithmétique d’individus juxtaposés, ils étaient devenus une âme collective confrontée à une menace existentielle.


Évidemment, nous savons que les Canadiens vont perdre cette guerre et devenir la propriété – propriété est le mot juste lorsque des humains sont trafiqués comme du bétail – d’un souverain étranger à qui ils n’avaient fait aucun tort. On leur imposera un régime de la force fondé sur un rapport de domination et de soumission. Ils seront alors chassés du gouvernement, chassés de l’administration publique, chassés de l’administration de la justice, écartés du monde des affaires, privés de leurs droits civiques et politiques. Rabaissés sur tous les plans, ils finiront même par oublier qui ils étaient.


De peuple qui n’avait peur de rien ni personne, ils deviendront le peuple qui a peur de tout. À la longue, ils vont y perdre jusqu’à leur nom. Ils deviendront des habitants de la province de Québec, nom choisi en 1763 par George III pour des raisons laissées inexpliquées. Dans l’imaginaire des Britanniques du Canada, ils resteront des vaincus et des descendants des vaincus. Bref, ce nouveau Canada restera pour les descendants des vainqueurs un pays conquis de haute lutte à la gloire de l’empire. Ils se diront tout particulièrement fiers d’avoir apporté « les douceurs d’un gouvernement juste, doux et équitable », à ces Canadiens qui vivaient jusqu’alors dans l’ignorance et le despotisme.


Cette âme collective survivra, mais elle sera méprisée au point où elle apprendra à se mépriser elle-même ! Au cours du XIX è s., la doctrine politique des descendants des vainqueurs s’était même cristallisée en un slogan d’une audace extrême : « Les Canadiens français doivent disparaître de la surface de la terre » !


Mépris et diffamation


Depuis quelques années, leur détracteur le plus hautain et le plus méprisant n’est nul autre que le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, un colonisé particulièrement fier de son état d’assimilation. Rarement il ne manque une occasion de traîner les Canadiens français dans la boue. Par exemple, le vocable « nationalisme ethnique » lui sort tout naturellement de la bouche. Certains de ses ministres n’hésitent pas à en faire tout autant. Il y a quelque temps, ce même Couillard parlait de « racisme systémique », laissant clairement comprendre que les Canadiens français étaient descendus au plus bas niveau de la déchéance morale. Leur racisme se serait généralisé et aurait pris la forme d’un système. Il fallait donc convoquer une commission d’enquête et en alerter le monde entier.


Dans sa préface du livre de Raymond Garneau De Lesage à Bourassa, ce même Couillard est allé jusqu’à dire que si Adélard Godbout avait été battu aux élections de 1944, c’est parce que ce dernier avait eu la mauvaise idée de lutter contre le nazisme, laissant comprendre que les Canadiens français auraient été des sympathisants nazis qui ne lui auraient pas pardonné d’avoir combattu leur idole, le très honorable Adolf Hitler. Cet étrange diffamateur qui nous sert de premier ministre ne pouvait frapper plus bas !


Si Philippe Couillard avait été un peu mieux informé, il aurait sans doute été beaucoup moins injuste et méprisant dans ses insinuations vicieuses sur le nazisme. Tout le monde connaît le débarquement de Dieppe où les Canadiens français ont été nombreux à mourir sur les plages de Normandie. Toutefois, peu savent que, de novembre 1942 à mai 1944, ils ont été parmi les meilleurs agents du SOE britannique (Special Operations Executive). Parachutés de nuit en France occupée, ils y ont mené des missions des plus périlleuses. Audacieux et courageux, ils ont été d’une efficacité exceptionnelle. Ils n’étaient pas conscrits, mais volontaires pour des missions où la moindre erreur ou malchance ne pardonnait pas. Certains ont été capturés et sont morts sous la torture. Tous ont été oubliés.


Eh bien ! combien de fois Philippe Couillard a-t-il risqué sa sécurité ou sa vie lors de sa célèbre mission dans un pays totalitaire d’extrême droite pour aller y soigner les princes les plus riches du monde ? Courtiser les riches, on reconnaît bien là le style de ce Robin des Vraies affaires qui prend un plaisir indécent à voler les pauvres pour mieux graisser les riches à coups de milliards $.  




Christian Néron

Membre du Barreau du Québec

Constitutionnaliste, 

Historien du droit et des institutions.


Dans notre prochain article, nous traiterons, au regard du droit international, de la capitulation de Montréal et de la soumission des Canadiens à la toute puissance du conquérant. 

 



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5 commentaires

  • Éric F. Bouchard Répondre

    24 août 2018

    Je l’entends bien Me Néron. Ce que je veux souligner pour ma part est que ces droits inaliénables concernent la nation canadienne-française qui est celle qui fut conquise en 1760. Ces droits n’ont donc rien à voir avec le peuple québécois qui tire son origine de la Conquête ou, plus exactement, qui est né des états coloniaux établis par le conquérant britannique à partir de 1763.


  • Me Christian Néron Répondre

    23 août 2018

    Je veux surtout rappeler aux lecteurs ce que dit la presque


    totalité des auteurs de droit international coutumier que :



    «« Les droits civiques et politiques des peuples conquis sont


    sacrés, inaliénables et imprescriptibles ! »»


  • Éric F. Bouchard Répondre

    23 août 2018

    Me Néron, vous faites en effet œuvre utile en rappelant ainsi, texte après texte, les assises historiques et juridiques des droits de la nation canadienne-française. Ces droits, réduits à leur plus simple expression en 1763, nos ancêtres les ont rétablis petit à petit jusqu’à la tenue des États généraux du Canada français de 1967. Les différents corps de la nation affirment alors haut et fort notre droit à l’autodétermination et la ferme volonté de transformer la Province of Quebec en État national canadien-français. Autrement dit, enfin relever un Canada-Français aux côtés du Canada anglais et d’ainsi mettre fin à la Conquête.


    Cette ambition qui galvanisait le nationalisme canadien-français depuis au moins la Première Guerre mondiale, fut pourtant détournée par les tenants de la québécitude. Empreints de progressisme multiculturaliste, ces néonationalistes –et au premier chef, les péquistes- éteignirent le sentiment national des Canadiens-Français au profit d’un attachement citoyen à un peuple québécois «diversitaire» (une nation dans l’acception anglo-saxonne du terme) né de l’état colonial britannique qu’est la Province of Quebec, peuple engendré en somme, par la Conquête.


    Elle est là la cause du déclin du souverainisme depuis cinquante ans et la raison pour laquelle les droits auxquels vous faites allusion, n’ont plus aucun écho dans une société québécoise dénationalisée.


  • Gilles Verrier Répondre

    10 août 2018

    Merci Maître Néron pour ce texte phare qui devrait servir à l'enseignement dans toutes les écoles. 


    Je remarque avec plaisir que Me Néron n'utilise pas une fois le mot Québécois et c'est pour une bonne raison. Notre identité profonde est canadienne, devenue canadienne-française par obligation de se distinguer des Anglais. 


    Bien que beaucoup de Canadiens-français préfèrent aujourd'hui s'appeler Québécois, notre identité complète et non tronquée ne saurait s'exprimer dans toute sa profondeur par Québécois, un dérivé de The Province of Quebec, nom que donna le roi George III d'Angleterre à sa nouvelle colonie. En réalité, la légitimité de notre combat prend sa source 150 ans plus tôt, au moment de la fondation de la Nouvelle-France, très vite appelée Canada. La révision de notre identité, renommée « québécoise francophone » est une concession malheureuse au régime colonial fédéral, qui s'est approprié graduellement notre nom. Cette soumission à notre usurpation identitaire marque un repli par rapport à une culture et une histoire plus vastes. Ce sont les chantres d'un modernisme douteux qui nous ont pressés de ne plus revendiquer notre identité historique depuis les années 1960. Séparés de l'enracinement canadien-français, que plusieurs ont même pris en aversion, les nouvellement désignés « Québecois francophones » ont dilué leur identité, ils ont rendu leur cause moins explicable et plus superficielle. Ils se sont faits les orphelins de leur propre cause en se coupant de ce qui fonde sa légitimité. En nous désignant comme Canadiens, Me Néron redonne tout son sens et toute la légitimité à notre combat. 


    La récupération de notre identité fait partie des recommandations que je propose dans le cadre d'un petit groupe de réflexion qui s'est formé pour relancer la question nationale sur de nouvelles bases. 


    Gilles Verrier



  • Normand Paiement Répondre

    10 août 2018

    Me Néron,


    Les mots me manquent pour vous dire toute mon admiration! Vous êtes une lumière dans la nuit!


    Merci de continuer à éclairer nos pauvres lanternes vacillantes!



    Normand Paiement