Le scandale de News of the World

Une crise qui secoue partis et médias

l'heure de vérité a sonné pour cette ère de connivence politico-médiatique

Géopolitique — médiamensonges des élites



Tant que News of the World a jeté en pâture de tristes morceaux de vie de vedettes ou de tricheurs, cet hebdo du dimanche n'a manqué ni de lecteurs, ni d'annonceurs, ni d'actionnaires. Tous y trouvaient de quoi se satisfaire, nonobstant l'éthique. Certes, ayant osé fouiller dans la famille du prince William, un journaliste et un détective privé avaient dû passer un peu de temps en prison. Mais, pour le reste, ni la police ni le Parlement ni même la grande presse n'y avaient trouvé matière à scandale.
Toutefois, le canard de Rupert Murdoch, tout en prétendant faute isolée, devait faire pire. Pour maintenir son tirage, le plus élevé au monde, au milieu d'un déclin général de la presse, ses patrons et des reporters ont fouillé cette fois dans la vie de simples gens, victimes de crimes scabreux, de terrorisme à Londres, et même des guerres en Irak et au Pakistan. Pour l'honneur du journalisme et du pays, il fallut le Guardian pour révéler ce gouffre de turpitude.
Indignation nationale
Devant l'indignation nationale, les propriétaires du News ont sacrifié le plus vieux titre populaire de l'Angleterre. Mais de gros annonceurs, qui n'avaient pas eu honte d'y placer leurs publicités, commençaient déjà à fuir: Ford, Vauxhall (GM), Renault. Même l'Église anglicane, qui détient des actions de News Corporation (la société mère du tabloïd) valant quelque millions de dollars, menace de s'en débarrasser, comme si le reste de l'empire était sans péché.
Le comité d'éthique anglican, incapable de saisir l'ampleur du scandale, serait satisfait d'une réforme maison chez News Corp. Mais telle n'est pas la lecture qu'en fait le premier ministre. Tant sous les conservateurs que sous les travaillistes, a reconnu David Cameron, des politiciens et des médias ont passé leur temps à chercher mutuellement leur appui, au lieu de faire face aux problèmes. Lui-même tombera peut-être, pensent ses critiques, mais l'heure de vérité a sonné pour cette ère de connivence politico-médiatique.
Outre les enquêtes policières en cours sur les pratiques à News of the World et sur les officiers qui auraient, contre argent, refilé des informations au tabloïd, le gouvernement entend instituer une commission indépendante, présidée par un juge, sur tout ce scandale. Et une autre commission, formée celle-là de personnalités respectées, ferait la lumière sur les pratiques politiques de la presse britannique, sur l'échec du système d'autodiscipline des médias et sur la réforme qu'il faudrait appliquer pour rétablir la réputation de la presse.
Le journalisme à sensation n'a pas été inventé par Rupert Murdoch. Mais, en acquérant le News of the World, le magnat australo-américain allait en tirer de quoi mettre la main sur d'autres journaux, dont le vénérable Times, et devenir un patron richissime, craint et agressif. Son empire menaçait désormais tant les autres médias que le journalisme professionnel. Aux États-Unis, même le Wall Street Journal est tombé sous sa coupe. Déjà, Fox News avait ramené la presse américaine à l'ère du jaunisme politique.
Certes, pour faire de l'argent, Murdoch n'avait plus besoin du News et de ses révélations scabreuses. Mais ce journal lui était devenu essentiel pour assurer sa puissance en Grande-Bretagne. En intimidant par des «affaires» que le News n'hésiterait pas à lancer contre des membres du Parlement ou des organismes réglementaires qui auraient pu faire obstacle à ses ambitions, Murdoch avait menotté la classe politique, travaillistes et conservateurs confondus.
Préserver l'empire
En fermant le News of the World, l'empereur aurait voulu, croit-on, préserver l'empire. Il se préparait déjà à en réduire la taille. Car Murdoch se préoccupait du contrôle total qu'il voulait exercer sur BSkyB, la plus importante télé commerciale du pays. L'Union européenne lui en avait donné le feu vert. Londres se préparait à faire de même. Toute cette opération est désormais retardée, sinon compromise. Les investisseurs hésitent. Mais surtout, en Europe comme en Amérique, les grands annonceurs ne sauraient plus minimiser l'indignation du public.
Bref, ce n'est plus seulement un empire mondial qu'il s'agit de sauver, mais l'intégrité des institutions de la Grande-Bretagne. Le scandale actuel trahit à la fois un fiasco politique et un échec de la liberté de la presse. En fin de compte, ce que la population et le cabinet veulent désormais, pour citer Cameron, c'est un gouvernement au service du peuple, une police irréprochable et une presse libre qui soit «propre et digne de confiance».
Autant maints patrons de presse et les journalistes du pays vont accueillir avec empressement une enquête indépendante sur News of the World, autant, peut-on croire, ils hésiteront à laisser un jour le Parlement établir un système de surveillance «indépendant» à la fois du gouvernement et des médias. L'enjeu n'est pas limité à la Grande-Bretagne. Ailleurs, en pays démocratiques, y compris au Canada, on gagnera à suivre attentivement l'évolution de cette crise.
Car une connivence politico-médiatique fait aussi des ravages à Ottawa, notamment entre Quebecor et le cabinet Harper. Et, au Québec également, tous les partis au pouvoir ont laissé miner la qualité du journalisme. Un Conseil de presse ou un comité d'éthique peuvent donner l'illusion d'une presse libre et intègre. Mais, pendant qu'on y sanctionne des peccadilles individuelles, on laisse s'ériger dans cette industrie les pires détériorations structurelles.
Au moins, en Grande-Bretagne, un vrai gouvernement a enfin entrepris de nettoyer ses propres écuries et de vider les égouts de la presse nationale.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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