Le psychodrame qui s'est déroulé à Ottawa durant la semaine précédant le vote au Québec a-t-il favorisé la remontée in extremis du Parti québécois?
J'en suis persuadée. Déjà, vers le milieu de la semaine dernière, on avait la puce à l'oreille en entendant des gens qui normalement ne s'intéressent pas du tout à la politique réagir contre ce qu'ils voyaient comme du «Québec bashing».
Samedi, au marché Atwater, j'ai senti que quelque chose se passait. Le marché Atwater a une clientèle à moitié francophone et à moitié anglophone, et donc, peut-on présumer, composée de péquistes, de libéraux, de souverainistes et de fédéralistes. Les commerçants, à juste titre, ne parlent jamais de politique.
J'étais donc devant un étalage de fruits et légumes. Tout à coup, la maraîchère, qui bavardait avec d'autres clients, hausse la voix et lance d'un ton courroucé: «En tout cas, la semaine prochaine on va faire jouer l'Ô Canada, c'est Harpeure qui va être content.» Le ton était lourdement ironique et hostile. Elle aussi, manifestement, avait vu dans la réaction des Canadiens opposés à la coalition une attaque contre le Québec. Elle en parlait librement parce qu'à ses yeux, loin d'être une querelle entre partis politiques, il s'agissait d'une humiliation imposée à la «nation «.
Effectivement, comme le souligne ci-contre la sociologue Claire Durand, plus les sondages se rapprochaient de la date de l'élection, plus on notait une augmentation de l'appui au PQ. Le CROP, réalisé du 28 novembre au 3 décembre, avant que les retombées de la crise ne se fassent sentir, donnait 29% au PQ. Dans le Léger Marketing, réalisé du 2 au 4 décembre, le PQ remontait à 32%. Enfin, le sondage Angus Reid, réalisé les 4 et 5 décembre (alors que la crise, et surtout l'interprétation qu'on en faisait, avait atteint l'impact maximal au sein de la population), donnait 36% au PQ - un point de plus que son score électoral.
Ironiquement, Pauline Marois doit une partie de son succès à Gilles Duceppe, qui fut l'un des principaux artisans de cette crise... mais qui voit maintenant s'envoler ses espoirs de remplacer Mme Marois à la tête du PQ. Si cette dernière avait récolté moins de 30% du vote, la voie aurait été libre pour le chef bloquiste.
Autre ironie, Jean Charest a reçu la monnaie de sa pièce.
Il avait multiplié les attaques contre le gouvernement Harper lors de la campagne fédérale, attaques qui ont sérieusement entravé les conservateurs dans leur tentative de récolter une majorité au Québec... Or, juste retour des choses, ce sont les commentaires de M. Harper concernant les «séparatistes» du Bloc qui ont empêché Jean Charest d'obtenir la majorité substantielle qu'il souhaitait. Avec une maigre majorité reposant sur trois sièges, il en sera presque réduit à agir, lui aussi, en gouvernement minoritaire...
L'ironie suprême, toutefois, c'est que l'interprétation qu'ont fait nombre de Québécois de la crise fédérale ne reposait sur aucune réalité solide.
Il n'y a jamais eu de «Québec bashing». Ce soi-disant scandale a été complètement manufacturé par les politiciens de la coalition, les commentateurs populistes et la rumeur publique.
Ce qui a causé scandale au Canada anglais, c'était le fait que la coalition reposait sur l'appui d'un parti indépendantiste qui ne présente pas de candidat en dehors du Québec. Jamais n'a-t-on contesté la légitimité des députés bloquistes, encore moins la bonne foi de leurs électeurs. On a constaté l'évidence, soit qu'il était anormal qu'un gouvernement de coalition dépende d'un parti dont la raison d'être est effectivement de «séparer» le Québec du Canada.
Attaquer le rôle du Bloc dans la coalition, ce n'était pas attaquer le Québec! Et ce n'était pas attaquer le Québec que de rappeler à gros traits rouges l'objectif premier du Bloc... un objectif que les électeurs du Bloc ont oublié avec le temps, mais qui est bien réel.
Les bloquistes, de même d'ailleurs que les péquistes, ont réussi avec les années l'exploit de se présenter comme l'incarnation du Québec tout entier, au point où toute critique contre un parti souverainiste est présentée comme un affront à la nation. Ce faux amalgame empêche toute discussion rationnelle.
Une crise artificielle
Il n'y a jamais eu de «Québec bashing»
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