Jean Charest vient d'annoncer la création d'une commission d'enquête. Son choix comme président: Michel Bastarache, juge à la retraite de la Cour suprême du Canada et avocat conseil chez Heenan Blaikie.
Force est de constater que la vitesse de l'annonce et le choix du président sont anormalement expéditifs. Sans compter que la durée du mandat est exceptionnellement courte - soit jusqu'au 15 octobre 2010.
Car dans ces «paquebots» que sont les commissions d'enquête - petites, moyennes ou grandes -, six mois pour tout faire, de la préparation au rapport final et aux recommandations (incluant l'été!), cela paraît fort téméraire. Presque impossible. À moins que le PM ne compte sur quelques bons «reports», fort prévisibles avec un tel échéancier, pour continuer à gagner du temps. Que ce soit pour lui-même, ou éventuellement, si les appuis au gouvernement ne finissent pas par remonter, pour un possible successeur.
Son mandat: «enquêter sur les allégations formulées par Marc Bellemare concernant le processus de nomination des juges de la Cour du Québec et au Tribunal administratif du Québec, notamment au regard des allégations d'influence de tierces personnes dans ce processus ainsi que le processus de nomination des juges des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec. La commission aura également la responsabilité, le cas échéant, de formuler des recommandations au gouvernement sur d'éventuelles modifications à apporter au processus de nomination des candidats.»
Un mandat «étroit»:
Immédiatement, les partis d'opposition ont dénoncé l'«étroitesse du mandat» de la commission.
En entrevue téléphonique à RDI, Me Bastarache a d'ailleurs déclaré: «je n'ai pas la possibilité d'élargir mon mandat» (...).
Mais il a aussi ajouté ceci: «ce n'est pas une enquête sur le financement du parti, mais c'est une enquête qui porte en particulier, à savoir s'il y a eu dans ce cas-ci, des interventions par des gens qui finançaient le parti libéral». On voit donc ici que la frontière risque d'être mince entre le processus de nomination des juges comme tel et l'influence présumément exercée par des collecteurs de fonds libéraux - ce que Me Bellemare a qualifié de «trafic d'influence».
Donc, même si M.Charest tente de circonscrire de manière importante le mandat de la commission, cette déclaration de Me Bastarache pourrait créér d'autres problèmes politiques au premier ministre. Si, bien sûr, les allégations de Me Bellemare sont fondées. Et si Me Bastarache décide en effet d'aller chercher à ce niveau.
Mais de toute façon, une chose est certaine: le «débat» public et politique sur les allégations qui se multiplient dans divers domaines qui touchent le gouvernement, dont le financement du PLQ, se poursuivra nonobstant cette annonce.
Et cette dernière ne fera rien pour diminuer l'impression que le gouvernement cherche une manière de braquer les projecteurs sur un sujet très limité et très précis plutôt que sur l'ensemble des allégations qui flottent depuis un an.
Ce n'est pas la bonne cible:
Justement, les partis d'opposition ont aussi refusé de laisser cette annonce faire oublier que ce que la population demande depuis un an, c'est plutôt une commission d'enquête publique, indépendante et élargie sur le «portrait global», c'est-à-dire, la multiplication d'allégations de corruption, de collusion, de favoritisme et de retours d'ascenceur entre les bailleurs de fonds partisans et des contrats et des nominations publiques.
Une réaction qui risque fort de refléter celle d'une bonne partie de l'opinion publique.
Ils ont aussi chacun noté la situation de «conflit d'intérêt» potentiel créée par la coexistence de la commission Bastarache et de la poursuite du premier ministre contre Marc Bellemare - le témoin principal de cette même future commission.
Mais ce fut Amir Khadir de Québec solidaire qui a eu les mots les plus durs, parlant d'une commission de «complaisance». Ce que les Québécois demandent, notait-il, est une commission au mandat «large et souple» pour «connaître toute la vérité sur les allégations du lien entre le financement, non seulement du Parti libéral, mais de tous les partis politiques, et des décisions qui se prennent dans l'octroi des contrats, dans l'octroi des permis de garderies, dans la nomination des juges. Dans tout ce qui touche les décisions publiques. Parce que c'est de cela dont il s'agit.»
Quelques considérations supplémentaires:
Pour ce qui est du choix du premier ministre, sans égard aux compétences professionnelles reconnues de Me Bastarache, il existe quelques considérations aditionnelles:
1) Son expertise touche le système judiciaire canadien, alors que le mandat de cette «commission» est «d'enquêter sur les allégations formulées par Marc Bellemare concernant le processus de nomination des juges de la Cour du Québec et au Tribunal administratif du Québec, notamment au regard des allégations d'influence de tierces personnes dans ce processus ainsi que le processus de nomination des juges des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec».
2) Dans une entrevue parue dans le Globe & Mail du 2 octobre 1997 (»Top choice humbles prophets»), nouvellement nommé juge à la Cour suprême, Me Bastarache reconnaissait «that he worked for the Yes committee in the months preceding the 1992 referendum on the Charlottetown Accord». Ce qui ne saurait surprendre quant à son option constitutionnelle - tous les juges de la Cour suprême étant fédéralistes par définition. Mais de là à travailler pour un comité.
3) Me Bastarache siège également sur le conseil de la Fondation Trudeau - respectée, par ailleurs -, aux côtés, entre autres, de Roy L. Heenan (de Heenan Blaikie), Alexander Himelfarb, Marc Lalonde, Paul Desmarais jr., etc.. Plus qu'autre chose, voilà un témoignage de l'importance des «réseaux» politiques. Et dans le cas de Me Bastarache, ce n'est pas un secret d'État: ses réseaux sont principalement proches des milieux libéraux. Ce qui avait d'ailleurs soulevé l'ire des partis d'opposition à Ottawa lors de sa nomination en 1997 à la Cour suprême par le bureau d'un certain Jean Chrétien.
Ce qui est un tantinet ironique compte tenu du fait que Me Bastarache devra se pencher sur le processus de nomination des juges au Québec, dont, il se pourrait bien, à savoir également si les liens politiques influent ou non sur ce même processus....
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@ Photo: http://www.scc-csc.gc.ca/court-cour/ju/bastarache/index-fra.asp
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