On dit que la politique est un jeu de coulisses, c’est avant tout du théâtre. Le Parlement est une Ligue nationale d’improvisation.
Une campagne électorale, c’est un festival de théâtre comique ambulant à la recherche d’un public. Six troupes avec leurs baladins, leurs clowns tristes, leurs prestidigitateurs et leurs contorsionnistes tentent, chaque jour, de renouveler suffisamment leur numéro pour impressionner la galerie, c’est-à-dire ceux qui regardent la télévision, écoutent la radio et lisent les journaux.
La population consacre encore 80% de son temps d’information à ces médias, et surtout à la télévision, selon Daniel Giroux, du Centre d’études sur les médias (CEM) de l’Université Laval.
L’électeur moyen a beaucoup de peine à se faire une opinion sur les questions compliquées qui sont la réalité de la gouvernance d’un État. C’est pourquoi, en campagne électorale, on les escamote. On confectionne quelques slogans accrocheurs qu’on répète à satiété, des lieux communs agréables ciblant des segments importants de l’opinion et de petites phrases assassines qui attisent les craintes et les angoisses au sujet des chefs de partis adverses.
Il y a une soixantaine d’années, le célèbre commentateur américain Walter Lippmann constatait que la complexité des problèmes économiques et sociaux dépassait la compréhension du proverbial homme de la rue. Aucun politicien n’oserait aujourd’hui, comme le fit jadis le premier ministre Jean Lesage, se plaindre publiquement qu’il ne pouvait expliquer les subtilités d’une de ses politiques à des «non-instruits».
Les seules choses qui préoccupent vraiment l’électeur moyen sont le coût de la vie, le chômage, les salaires et les impôts. Les annonces spectaculaires ont aussi des effets. Les partis au pouvoir dépensent des milliards sur des projets tape-à-l’œil avant les élections. Voir ce que viennent de faire les libéraux.
Le monde ordinaire se méfie des politiciens soupçonnés d’être d’abord et avant tout motivés par leur intérêt personnel et au service des milieux d’affaires et des lobbies. SNC-Lavalin, ça vous dit quelque chose ?
Toutes les études de sociologie électorale indiquent que la plupart des électeurs alignent d’abord leur comportement sur les attitudes perçues de leurs proches. Ensuite, ils se fient à ce qu’ils entendent dans leurs émissions préférées. Et en fonction de ce que disent leurs chroniqueurs favoris.
Les stratèges des partis agissent en conséquence : il faut que les candidats passent souvent à la télévision surtout dans des «shows» de divertissement pour monter leur côté humain, rassurant, évitant les questions compliquées et/ou embarrassantes.
Rappelez-vous la vague néo-démocrate des élections fédérales de 2011. Le passage de Jack Layton, mourant, à Tout le monde en parle a suscité un élan de compassion qui a eu une influence déterminante sur le résultat des élections au Québec.
Et il y a les sondages.
Les campagnes électorales servent à cristalliser les sentiments et les impressions des électeurs qui n’ont pas encore d’opinion arrêtée. En posant leurs questions, les maisons de sondage forcent les électeurs à se définir par rapport à des réalités précises. Les sondeurs imposent ainsi un cadre de référence. C’est, à mon avis, une importante fonction cachée des sondages. Quand on pose des questions, particulièrement si elles sont énumératives, on pose aussi des réponses. On suggère subtilement des approches, des perspectives.
La stratégie électorale d’un parti est élaborée en fonction de dizaines de sondages sectoriels et géographiques qui découvrent ce que les électeurs veulent entendre et, aussi, ce qu’ils ne veulent pas savoir. Seront aussi bannies des campagnes électorales les questions sur lesquelles il y a un consensus des partis qui va à l’encontre du sentiment général de la population. Au Canada, une majorité d’électeurs (58%) considère que la peine de mort est «moralement juste», alors que les élites du pouvoir s’y opposent.
Au Québec, la propagande électorale doit savoir glisser sur les «36 cordes sensibles» des électeurs, pour reprendre l’expression célèbre du publiciste Jacques Bouchard, et parvenir à les jouer comme un violon.
Une campagne électorale est la somme des manipulations des partis politiques en lice. C’est une quête de pouvoir, pas une quête de vérité. La libre concurrence des propagandes mensongères et des engagements souvent irréalisables finit amener l’électeur à faire son choix.
«La démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres», disait Churchill... C’est, bien sûr, vrai au pays de Jean Chrétien, «le plus meilleur pays du monde».