Une autre tache d'encre

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L'auto-mutilation collective

Si l'histoire du Québec doit retenir quelque chose du lancinant chapitre des accommodements raisonnables, de la laïcité et de la neutralité de l'État, ce sera sans aucun doute dans le projet de loi 62 lancé à la sauvette par le gouvernement Couillard juste avant l'ajournement des travaux de l'Assemblée nationale.
Ce projet de loi mal foutu copine avec la lâcheté. Comme on passe encore par-dessus l'essentiel, on s'évite de rappeler comment la dernière défaite référendaire a marqué, au sein de l'intelligentsia québécoise, un point de rupture capital. Plutôt que de regarder la réalité en face et de faire ce qui doit être fait pour dénouer l'impasse identitaire qui nous empêche d'avancer, on préfère encore et toujours détourner le regard et pointer du doigt la fameuse phrase lancée par M. Parizeau dans les minutes qui ont suivi l'annonce des résultats du référendum, le 30 octobre 1995. Pour les oreilles sensibles, c'était dit crûment et plein de dépit, mais c'était pourtant la stricte réalité! Et c'est ici que la dérive du débat national récupéré par défaut par les maîtres penseurs du Québec post-référendaire prend sa source.
Dans le champ de vision des fossoyeurs de «la nation québécoise au futur et au passé» engagés pour nous servir de guide (VLB, 1999), le moment était on ne peut plus indiqué pour planter les derniers clous du cercueil de l'identité canadienne-française, pourtant les initiateurs historiques du projet national et jusqu'alors le noyau dur de la famille nationaliste. Pourquoi se tirer dans un pied quand on peut le faire dans les deux avec une seule balle?
Dans l'esprit de Gérard Bouchard mandaté pour co-présider la commission de consultation sur les pratiques d'accommodements raisonnables. Il fallait, comme il nous y invitait dans un texte publié dans Le Devoir du 24 mars 1999; «se méfier des réflexes hérités d'un long passé», «repenser le mode d'intégration symbolique de la nation» en fonction de la nouvelle «diversité ethnique et culturelle» de la société québécoise, et réinventer «l'identité collective» des Québécois «en suivant un autre modèle, adapté à la co-intégration». Et pour arriver à construire sur ces cendres fumantes cette «espèce renouvelée» de la nation québécoise, la formule magique du futur co-commissaire exigeait de nous, rien de moins, de «se départir de l'esprit de la souche» et de «se reconnaître dans le pluralisme». Ce qui, en d'autres mots, exigeait du peuple fondateur du Québec qu'il abandonne son identité dans celui des néo-Québécois, qu'il oublie ses racines et qu'il fonde son esprit dans celui des derniers arrivants.
Pluralisme, multiculturalisme, communautarisme, du pareil au même! Notre histoire nous fait mal et on nous a appris à en avoir honte. Cessons de nous étonner de n'être plus rien. Dans ce programme d'automutilation collective, les Canadiens français étaient ainsi donc invités à s'oublier dans l'âme de celui qu'ils accueillent et à se laisser assimiler pour leur plus grand bien. Un dénouement qui nous permet d'expliquer, en partie, les causes profondes de la dislocation des forces nationalistes au Québec et de comprendre la pensée qui se cache derrière cet aveu d'échec écrit dans les interlignes du projet de loi 62. Et on voit le résultat aujourd'hui, 20 ans après le dernier référendum et huit ans après le dépôt de la Commission Bouchard-Taylor, avec cette ultime couche de peinture législative appliquée sous prétexte de la lutte menée contre le djihadisme au Québec! Une nation qui a perdu foi en elle-même ne pourrait faire autrement. Une nation réduite à l'incapacité et soumise à tous les vents de la défection avec cet innommable projet de loi qui préfère s'attaquer à deux pièces de vêtements religieux, devenus les symboles de notre effondrement, au nom d'une fausse «neutralité de l'État», ce qui est à des années-lumière de ce que devrait être une loi promulguant, sans nuances, le principe fondamental de la laïcité de l'État et de ses institutions!


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