Une attitude étrange

Dans l'affaire Bernier-Couillard, y a-t-il aveuglement du gouvernement Harper ou secret d'État?

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"L'affaire Maxime Bernier"

La sécurité de l'État a été compromise par certaines actions du ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, et en conséquence il devait démissionner: curieusement, le gouvernement Harper et les partis de l'opposition s'entendent maintenant là-dessus. Mais là s'arrête l'entente: pour le gouvernement, la seule faute de M. Bernier est d'avoir laissé des documents confidentiels dans un endroit non sécurisé; pour l'opposition, ce sont les liens durables des Hells Angels avec Julie Couillard, récente "blonde" du ministre, qui ont représenté un risque sécuritaire potentiellement grave.
Il n'est pas crédible de dire que les documents confidentiels laissés chez Julie Couillard ont à eux seuls entraîné la "démission" de Maxime Bernier. L'erreur de l'ex-ministre est réelle, mais l'incident n'aurait jamais existé sans la controverse entourant déjà le couple. Sans la controverse, soit le document ne serait pas resté chez elle, soit Julie Couillard l'aurait simplement rendu à Maxime Bernier à la première occasion et personne n'en aurait jamais entendu parler. Supposons même que l'affaire se soit ébruitée, mais que Julie Couillard ait eu une biographie complètement banale, sans l'ombre d'un doute sur son passé: cela aurait été gênant pour le ministre et le gouvernement, mais on serait vite passé à autre chose. Pourquoi, alors, la crise gouvernementale à laquelle nous assistons? Qu'est-ce donc qui a coulé Maxime Bernier, en tenant pour acquis son manque d'expérience et de jugement?
Au-delà des détails sur le dévoilement graduel du scandale, la collision fatale entre la troublante biographie de Julie Couillard et les responsabilités ministérielles de Maxime Bernier relève d'une tendance lourde de la vie internationale depuis les années 80. En effet, jusque-là, les acteurs quasi exclusifs du système international étaient les États. Dans l'ensemble, seule l'action d'un État pouvait mettre en cause la sécurité d'un autre État. Par exemple, des démissions ministérielles ont eu lieu au Canada (l'affaire Munsinger) et au Royaume-Uni (l'affaire Profumo) à la suite des "liaisons dangereuses" de ministres avec des femmes associées aux services secrets soviétiques: c'est dans le cadre de la Guerre froide et de la compétition entre États que les actions de ces ministres avaient compromis la sécurité de l'État.
Acteurs non étatiques
Les choses ont changé, les États ont perdu leur monopole sur la scène internationale. Aujourd'hui, de nombreux acteurs non étatiques importants interagissent entre eux et avec les États dans le système international: des entreprises, des organisations non gouvernementales, le réseau al-Qaeda, des réseaux de crime organisé Ceux-ci, notamment, ont connu une croissance transnationale phénoménale au cours de la dernière décennie, en particulier dans le trafic de la drogue et des personnes, ce commerce passant en partie par les aéroports internationaux. Ainsi, des enquêtes ont montré une infiltration par le crime organisé de l'aéroport international de Montréal, comme d'autres aéroports (et ports de mer) au Canada et ailleurs.
"Enter the Hells Angels and Julie Couillard ", comme on dirait en anglais. Mme Couillard, donc, a été la conjointe successivement de trois hommes liés aux Hells. Avec le dernier, elle a tenté d'obtenir des contrats gouvernementaux de production de cartes d'identité pour le personnel travaillant dans les zones sécurisées des aéroports; depuis, elle a créé sa propre compagnie oeuvrant dans ce même domaine tout en s'engageant dans une relation amoureuse avec le ministre des Affaires étrangères. Il se peut, comme Mme Couillard l'a dit en entrevue à TVA, qu'elle n'ait "jamais rien fait de mal" et que son parcours soit innocent du début à la fin. Mais ce parcours tout près d'un important réseau criminel transnational et de l'enjeu de la sécurité aéroportuaire l'a placée à un nouveau point névralgique de la sécurité internationale, et a ainsi fait d'elle une bombe à retardement pour Maxime Bernier.
En continuant d'insister pour dire qu'il n'y avait rien de problématique dans la relation Bernier-Couillard, le gouvernement apparaît étonnamment aveugle à une réalité centrale de la sécurité internationale contemporaine. Est-il trop préoccupé par la "guerre au terrorisme" et l'Afghanistan pour prendre acte de l'importance du crime organisé transnational? Ou bien l'aveuglement n'est-il qu'une façade et le gouvernement a-t-il lancé une vigoureuse vérification de sécurité sur toute cette affaire, mais dans l'ombre ? On se doit d'espérer que la deuxième possibilité est la bonne, tout en regrettant le manque de franchise gouvernementale qu'elle implique.
Claude Denis
L'auteur enseigne à l'École d'études politiques et à l'Institut d'études canadiennes à l'Université d'Ottawa.

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L'auteur enseigne à l'École d'études politiques et à l'Institut d'études canadiennes à l'Université d'Ottawa.





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