Lettre ouverte aux médias - Réforme du mode de scrutin

Une argumentation boîteuse

Il est en effet impossible que les trois partis représentés en chambre aient des intérêts convergents sur cette question, politiquement très sensible puisque les intérêts des uns vont systématiquement à l’encontre des intérêts des autres.

Tribune libre 2008


Dans l’article [« Le mode de scrutin sur la glace »->11280] du 19 janvier dans La Presse, Malorie Beauchemin rapporte les propos du ministre libéral Benoît Pelletier, qui affirme que la réforme du mode de scrutin au Québec ne verra vraisemblablement pas le jour. Les raisons évoquées par le ministre, cependant, sont fort boîteuses. La réalité est que la réforme est impossible à mener à terme suivant les conditions évoquées par le ministre.
On peut aussi penser que la réforme n’aboutira finalement pas suivant le processus de réforme par les partis à l’Assemblée nationale. Il y a cependant une autre option, celle d’une réforme par la voie d’une Assemblée citoyenne encadrée de manière démocratique. Nous présentons ici une critique de l’argumentation du ministre et les pistes de réforme plus démocatiques.
L’« échec » des référendums en Colombie-Britannique et en Ontario
La première raison est l’échec des deux autres référendums sur la question en Colombie-Britannique et en Ontario. Le résultat, en Colombie-Britannique, était de 58% des votants en faveur de la réforme. Mais le gouvernement avait fixé anti-démocratiquement la barre à 60%. Habile, non ? Doit-on parler d’un échec de la réforme ou d’un échec de la démocratie ? En Ontario, il est vrai, la réforme a été massivement rejetée lors du référendum du 10 octobre dernier, mais les groupes militants sur la question ont tôt fait d’y voir, entre autres, l’effet d’une sous-information flagrante orchestrée et imputable, essentiellement, au gouvernement.
La leçon qu’il faut en tirer, c’est que les gouvernements, tant au Québec que dans ces deux autres provinces, mettent les bâtons dans les roues de la réforme. Pourquoi ? Essentiellement parce que la réforme du scrutin remet en question les règles du jeu politique dans un État, règles du jeu qui profitent, habituellement, aux partis qui détiennent eux-mêmes le pouvoir direct ou indirect de les modifier. Bref, ils sont en conflit d’intérêt. Le problème, c’est que ce conflit d’intérêt est de nature structurelle : il résulte d’une confusion dans nos régimes démocratiques entre les questions de nature structurantes-constitutionnelles, comme le mode de scrutin, et les questions de gouvernance-législatives/exécutives.
Le moyen idéal de résoudre cette incohérence de nos régimes serait de séparer, une fois pour toute et de manière étanche, le pouvoir constitutionnel des pouvoirs de gouvernance qui dérivent du premier. Cela requerrait de mettre en place, par exemple, une Assemblée constitutionnelle citoyenne permanente et investie du pouvoir d’initiative référendaire en matière constitutionnelle. À défaut d’une telle assemblée permanente, l’option d’une Assemblée citoyenne ad hoc, créée pour traiter d’une seule question, est la meilleure voie à suivre. Cependant, on l’a vu, puisque le gouvernement contrôle la mise en place et le cadre processuel d’une telle Assemblée, il y a des risques.
Il y a néanmoins des moyens de pallier à de tels risques, en exigeant des mesures qui garantissent l’indépendance et la démocratie du processus. L’essentiel devient alors de convaincre et de faire pression sur le gouvernement pour qu’il soit contraint de respecter ces mesures qui sont des conditions de démocratie. Au Québec, nous avons un avantage, suite à l’échec ontarien, nous savons comment pallier au manque d’information qui a été déterminant en Ontario. Les mesures suivantes permettraient en effet de pallier aux risques de manipulation anti-démocratique du processus :
1) Qu'une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec soit constituée dans la première année d'un mandat gouvernemental, 2) Que le président de l'Assemblée soit élu directement par l'Assemblée, 3) Que la durée du mandat de l'Assemblée soit d'une année et demie à deux ans, 4) Que l'Assemblée procède à une double phase de consultation, en premier lieu, sur l'opportunité de changer le mode de scrutin et, le cas échéant, sur le scrutin à adopter, puis, en second lieu, sur une proposition complète de mode de scrutin préparée par l'Assemblée citoyenne, 5) Que la mise en branle une campagne d'information publique soit faite au moins un an avant la tenue du référendum et qu’elle soit financée à la hauteur de dix millions de dollars, les trois-quarts de ce montant étant mis à la disposition du DGEQ et un quart à l'Assemblée citoyenne pour qu'elle fasse connaître sa proposition, 6) Que le rapport de l'Assemblée citoyenne expliquant le processus de l'Assemblée citoyenne, le nouveau mode de scrutin proposé et les motifs de la proposition de l'Assemblée soit distribué dans toutes les résidences du Québec, 7) Que le seuil d'adoption de la proposition référendaire soit fixé à la majorité simple des votes exprimés.
Mentionnons aussi qu’il serait préférable de modifier le loi référendaire québécoise pour que le référendum soit décisionnel et non simplement consultatif. Une telle mesure ferait en sorte que ce serait un « projet de loi citoyen » qui serait présenté par l’Assemblée citoyenne.
L’impossibilité d’un consensus
La seconde raison évoquée par le ministre, elle-même duelle, c’est la difficulté d’en arriver à un consensus entre les partis, notamment parce qu’il n’y a pas de concordance sur les modalités de la réforme. Le consensus entre les trois partis, dit simplement, est chose impossible. Il est en effet impossible que les trois partis représentés en chambre aient des intérêts convergents sur cette question, politiquement très sensible puisque les intérêts des uns vont systématiquement à l’encontre des intérêts des autres. L’avant-projet de loi qu’a présenté le ministre Pelletier, par exemple, qui, si on se fie à ses dires, sera vraisemblablement relégué aux oubliettes, avantageait comparativement le PLQ, et l’ADQ, son allié naturel en régime proportionnel, tandis qu’il désavantageait proportionnellement le PQ, et ses alliés naturels, que sont QS et peut-être le PVQ. Il n’y a donc aucune raison pour le PQ d’appuyer ce projet de loi.
La mésentente sur les modalités évoquée par le ministre, elle, est intimement liée à cette réalité : le vote unique et la compensation régionale avantagent le PLQ et l’ADQ, comparativement, tandis que le double vote et la compensation nationale, eux, favorisent inversement le PQ, QS et le PVQ. La question, donc, est éminemment politique. Il ne peut donc pas y avoir un consensus entre les partis sur une question si structurante du jeu politique, et c’est pourquoi, finalement, une Assemblée citoyenne indépendante est la meilleure option pour trancher sobrement et dans l’intérêt des citoyens le débat.
David Litvak
Coordonnateur
Campagne pour une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec
Site web et pétition : [www.assemblee-citoyenne.qc.ca->www.assemblee-citoyenne.qc.ca]

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2 commentaires

  • David Poulin-Litvak Répondre

    21 janvier 2008

    Merci pour cette référence, qui, malgré que je ne crois avoir lu ce texte, est une réaction de ce que j’appelle les réactionnaires (principalement) du PQ.
    Tout d’abord, il faut distinguer une chose bien importante : le scrutin que ces personnes critiquent n’est pas une véritable proportionnelle, mais bien l’avant-projet de loi du PLQ qui proposait une proportionnelle régionale, ce que j’appelle une semi-proportionnelle, car le résultat n’est pas nationalement proportionnel.
    Il est vrai qu’une telle semi-proportionnelle avantage indûment le PLQ et l’ADQ, et il est vrai, comme le soulignent ces auteurs, et d’autres, dont M. Pierre Serré, que ce scrutin ne permettrait pas l’émergence des petites formations politiques émergentes ou plus marginales.
    Or, le problème, c’est que le PLQ qualifie son scrutin de proportionnel, abusant du terme, et ces intellectuels de classe moyenne, eux, ne font pas la distinction. Or, cette distinction est cruciale. Il ne s’agit pas du même type de scrutin.
    La proportionnelle nationale, c’est scrutin à 4-5 partis, avec une ou deux autres formations mineures ou émergentes. La semi-proportionnelle, elle, est un scrutin à 3 partis, avec un quatrième mineur et un possible cinquième émergent. Le scrutin actuel est un régime bipartisan à tripartisme occasionnel.
    Il est impossible, à mon avis, que le PLQ et l’ADQ acceptent de changer le scrutin pour une véritable proportionnelle, car cela avantagerait comparativement la gauche indépendantiste du spectre politique. Pour le PQ, le choix est simple : conserver l’actuel mode de scrutin (Dufour et cie), ou le changer pour une véritable proportionnelle nationale (Charbonneau).
    La raison pour laquelle je réclame une Assemblée citoyenne, c’est qu’une telle assemblée ne jugera pas de la situation sur le fondement des intérêts partisans, comme c’est présentement le cas, mais des intérêts citoyens. Ces dits spécialistes pourraient alors légitimement présenter leurs opinions et tenter de convaincre cette assemblée qu’une réforme n’avantage pas le Québec.
    Malgré que leur argumentation, pour être franc, est péquistement intéressée – il s’agit des gens qui disent ce que le PQ, lui, officiellement, ne peut dire – il importe de séparer le bon grain de l’ivraie dans leur argumentation.
    Tout d’abord, Pierre Serré, spécialiste québécois du mode de scrutin, nationaliste, indépendantiste, je crois, défend exactement la thèse opposée: le scrutin actuel avantage la frange dure des libéraux en pérennisant les députés issus des circonscriptions à majorité anglophone, ce qui leur donne une influence démesurée au sein du PLQ (pérennité politique = expérience = force, influence). Notez que M. Serré défend cependant, une véritable proportionnelle nationale, et non un scrutin fait sur mesure pour le PLQ-ADQ, comme l’actuel scrutin, qu’il dénonce vigoureusement.
    L’argument du gouvernement fort, lui, est nuançable, pour le moins. La vérité est que des pays come l’Allemagne, les pays scandinaves, la Hollande, l’Espagne, etc. N’ont pas de gouvernements, il me semble, si faibles que cela. Il est même possible que le contraire soit vrai : que la proportionnelle, en forçant les gouvernements à représenter la majorité, augmente leur légitimité politique et donc leur force. Du moins, cet effet pourrait contre-balancer l’autre des réactionnaires péquistes. En revanche, il est vrai qu’un gouvernement à parti unique ne risque pas autant de se scinder en deux. (1)
    Pour moi, j’admettrai, ma réflexion sur le sujet a bien évoluée depuis que je milite pour la réforme du mode de scrutin – ça doit faire environ sept ans.
    Bien que je ne suis pas d’accord avec l’argumentation invoquée par ces auteurs, qui sont essentiellement des péquistes, dans une perspective indépendantiste, et la mienne étant ce que je qualifie d’indépendantiste-révolutionnaire – j’entends par là que l’indépendance implique des changements majeurs dans la société et l’État québécois – il y a tout de même des arguments qui vont contre une réforme. Remarquez, avant de m’y lancer, que ces arguments pourraient et devraient être présentés devant une Assemblée citoyenne. Je crois qu’un véritable débat est nécessaire sur la première question : faire ou ne pas faire de réforme ?
    La principale de ces arguments, justement, c’est que notre mode de scrutin est un « scrutin révolutionnaire ». Il permet de renverser d’un coup des tendances politiques devenues désuettes. Il implique, dans les moments de transition, des bouleversements majeurs au niveau du pouvoir politique. Je ne sais pas, en revanche, s’il les accélère, car l’existence de l’indépendantisme refoulé au Québec, par exemple, justement, a été depuis fort longtemps refoulé dans la marge du PQ par l’effet du scrutin. Bourgault, par exemple, n’aurait jamais eu à saboter le RIN dans le cadre d’un régime proportionnel.
    Ensuite, ce qui est un argument qui va dans le sens du gouvernement fort, notre mode de scrutin garantit aussi une cohésion gouvernementale dans les moments de chamboulements politiques. L’indépendance, étant l’un de ces moments, il est possible qu’un parti unique de l’indépendance, que je proposerais de baptiser Québec indépendant, soit une meilleure option lors de cette transition province-pays qu’une coalition des partis souverainistes-indépendantistes. Donc, pour moi, puisque le moment de l’indépendance est un moment révolutionnaire, polarisant au niveau de la société québécoise, j’admet que le scrutin actuel servirait mieux la cause pour ces quelques années initiales du pays.
    Ceci me met, je me permets de le noter, dans une situation particulière, celle d’avoir initié une pétition et une campagne pour une Assemblée citoyenne, ce qui reste, de loin, mieux que l’actuel processus dominé par les partis, tout en remettant en question l’opportunité de la réforme pour le Québec à ce moment-ci. Pour être réaliste, il faut aussi parler de la probabilité, à mon avis, très faible, d’une telle réforme. Remarquez, en revanche, qu’une Assemblée citoyenne, de toute manière, serait mandatée de se prononcer sur l’opportunité d’un changement de scrutin et, s’il y a lieu, de proposer une option de changement. Je continue donc à militer pour un tel processus, mais pourrais bien, dans un avenir rapproché, changer de stratégie, et proposer la fondation d’un parti qui garantisse la réforme du scrutin post-indépendance. Ma réflexion et mes certitudes, cependant, j’admettrai, sur la stratégie à suivre, sont encore, à ce moment-ci, à terminer.
    1 : Il existerait un moyen de renforcer la légitimité et la cohésion de la coalition gouvernementale en régime proportionnel, mais cela impliquerait d’innover en mettant en place un vote préférentiel sur les partis, pour faire en sorte que l’on connaisse les préférences des votants en terme d’alliance.

  • Raymond Poulin Répondre

    20 janvier 2008

    Monsieur Litvak,
    Je doute que vous changiez d'idée, mais, avant de proposer la proportionnelle, avez-vous lu le texte "Pour un gouvernement fort mais congédiable", publié dans Le Devoir du 16 avril 2005 et signé par MM. Henri Brun, Claude Corbo, Christian Dufour, Joseph Facal et Jean-Claude Rivest? On peut y découvrir pourquoi de si bons sentiments aboutissent parfois à un résultat qui nous dessert. Ainsi, compte tenu du nombre d'anglophones au Québec, la proportionnelle, intégrale ou partielle, risquerait d'accorder au Parti libéral une prime telle qu'il deviendrait presque indélogeable. Par ailleurs, il serait bon d'en étudier les résultats en Belgique et en Italie depuis 50 ans. Entre la justice abstraite et l'équité, il existe souvent un fossé.