BPC. La simple évocation de ces trois lettres suffit à semer l’inquiétude. C’est d’ailleurs le sentiment que plusieurs ont éprouvé cette semaine après qu’on eut appris qu’une entreprise, Reliance, refuse depuis des mois de nettoyer un site d’entreposage illégal contaminé et situé à proximité d’un quartier résidentiel. Une situation d’autant plus préoccupante que le ministère de l’Environnement n’a jamais alerté la population de l’existence de ce site, même si Québec est au fait de la situation depuis des mois.
La brève note publiée dans les dédales du site Internet du ministère de l’Environnement le 26 mars dernier donnait peu de détails. Tout au plus, Urgence Environnement y mentionnait un déversement de 1000 litres d’« huile isolante pour transformateur » à Pointe-Claire, mais sans jamais préciser qu’il s’agissait de liquides contenant des BPC.
Dans les mois qui ont suivi, Québec n’a pas offert davantage d’information. En fait, il aura fallu que le Journal de Montréal révèle l’affaire cette semaine pour que le public soit mis au courant. Pourtant, cet incident survenu sur un site ignoré jusque-là par les autorités pose des risques bien réels pour la santé humaine, ont répété cette semaine différents experts en santé publique et en toxicologie.
Le tout a débuté en mars. L’ouverture d’une valve d’un réservoir aurait entraîné le déversement d’au moins un millier de litres d’eaux huileuses contaminées aux BPC. Cette pollution a rapidement migré, atteignant même le lac Saint-Louis. Des substances cancérigènes réputées très persistantes se sont donc retrouvées dans le Saint-Laurent, et ce, en amont de nombreuses prises d’eau de municipalités de la région de Montréal.
Même le réseau d’égouts de Pointe-Claire a été touché. La Ville a d’ailleurs immédiatement prévenu le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP). Selon ce qu’ont constaté des fonctionnaires du ministère dépêchés sur les terrains de Reliance, l’entreprise tentait déjà de contenir le déversement. La firme Environnement Rive-Nord, chargée d’effectuer les travaux, a finalement récupéré « environ 200 000 litres d’eaux huileuses » contaminées aux BPC, selon ce qu’on peut lire dans un document du MDDEFP. Au moins cinq conteneurs ont aussi été remplis de sols contaminés.
Mais depuis, jamais Reliance n’a répondu aux exigences de Québec en matière de décontamination et de sécurisation du site. Les terrains où sont stockées les matières dangereuses n’ont été surveillés qu’à partir du moment où toute l’histoire a été publiée dans les médias, mardi dernier. Jeudi soir, Reliance, qui a déjà reçu pas moins de six avis d’infraction du MDDEFP, a finalement fait part de sa volonté de se plier aux conditions de nettoyage dictées par Québec. Une annonce accueillie avec scepticisme par le ministre Yves-François Blanchet, qui a répété à plusieurs reprises que son ministère suivait ce dossier de près.
Pas de risque, dit Québec
Québec sait depuis des mois que Reliance tarde à nettoyer le site illégal où elle entrepose des BPC « depuis au moins 15 ans », précise un document du MDDEFP. Pourquoi ne pas avoir informé les citoyens de la situation ? Après tout, le terrain situé sur le boulevard Hymus se trouve à quelques dizaines de mètres des résidences les plus proches. Des écoles et des garderies sont aussi situées dans le secteur. Ces dernières n’ont reçu que mardi une lettre les invitant à revoir leur plan d’urgence. La missive a été envoyée la journée où le Journal a publié son dossier d’enquête.
Le ministre Blanchet a défendu sa décision de garder le silence. « Nous avions convenu, le ministère et la Santé publique, qu’il n’y avait pas lieu d’aviser les citoyens environnants parce qu’il n’y avait pas de niveau de risque immédiat », a-t-il dit. « Le site n’est pas plus dangereux aujourd’hui qu’il ne l’était il y a deux jours ou il y a deux semaines », a-t-il également affirmé.
Un chimiste mandaté par son ministère a pourtant écrit, dans un rapport officiel datant de juin dernier, que le site situé à Pointe-Claire présentait des risques bien réels. Luc Rivard a ainsi souligné que « ce site a été et demeure susceptible d’être une source de contaminants persistants et toxiques, dont les conséquences sur la qualité de l’environnement et les risques à la santé humaine sont significatifs ». Il a évoqué une « forte contamination en BPC sur le site », ainsi que l’état de « délabrement » des lieux, la « vétusté » des installations et la « dégradation apparente des équipements ».
En cas d’incendie, a aussi prévenu M. Rivard, le panache de fumée chargé de substances cancérigènes aurait pu frapper le secteur résidentiel avoisinant, où se trouvent des écoles et des garderies. « Mais il n’y a pas d’incendie, a répondu le ministre Blanchet. C’est ça qui est important. » Il a par la suite répété qu’« à partir du moment où il n’y avait pas d’incendie, il n’y avait pas de danger ».
Le Devoir a demandé au ministère si un rapport a été produit au cours des derniers mois pour tenter de mesurer l’étendue de la contamination, si des inspections ont été menées avant le déversement et s’il existe d’autres sites du genre au Québec. La demande a été renvoyée aux responsables de l’administration de la Loi d’accès sur l’information. Il faudra donc au moins trois semaines avant d’obtenir des réponses.
Québec a toutefois admis qu’aucune inspection des lieux n’a été réalisée depuis que Reliance a été condamnée pour entreposage illégal, en 2003. Les libéraux n’ont pas daigné dépêcher d’inspecteurs sur place, pas plus que le Parti québécois par la suite. L’historique de Reliance aurait pourtant pu éveiller les soupçons du MDDEFP. L’entreprise a en effet tenté, au début des années 80, d’entreposer de grandes quantités de BPC à Pointe-Claire. Le projet a soulevé l’ire de la Ville et de la population, avant de rebondir à Québec et d’avorter. Frustrée de ce refus, Reliance avait réclamé des dommages et intérêts de plus de 1,7 million à Québec et à Pointe-Claire. La compagnie a perdu devant la Cour supérieure et a vu sa demande d’appel rejetée en 2002, en raison des risques posés par le projet.
Silence inacceptable
Étant donnés les risques liés aux BPC et le fait que le site se trouve en zone habitée, le silence de Québec est tout simplement « inacceptable », selon Daniel Green, de la Société pour vaincre la pollution. « L’information a été cachée, et c’est une décision du ministère de l’Environnement de cacher cette information, a-t-il expliqué. Il existe, au sein de ce ministère, une culture du secret malsaine. On semble dire que ce que les gens ne savent pas ne va pas leur nuire. Il faut que cette culture cesse. Le gouvernement a l’obligation d’informer en cas de fuite toxique. »
Les partis d’opposition à l’Assemblée nationale ont tous affirmé que le gouvernement Marois aurait dû prévenir les citoyens. Vendredi, le député libéral Yves Bolduc, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, a ainsi soutenu que le gouvernement a « caché des informations » et qu’il aurait dû informer la population des risques auxquels elle est exposée.
Les risques sont d’ailleurs bien réels, selon la toxicologue Maryse Bouchard, spécialiste de l’effet des BPC sur la santé. « Une fois dans l’environnement, nous n’avons plus le contrôle sur les BPC », a-t-elle expliqué. L’exposition, a ajouté Mme Bouchard, « ne se limite pas aux voisins du site. En fait, ces substances peuvent voyager sur de très grandes distances. Et elles peuvent persister pendant des dizaines d’années ». Même si les autorités se sont voulues rassurantes quant aux effets sur le lac Saint-Louis, la toxicologue y voit tout de même une situation problématique. « Ça augmente la contamination du lac et ça pourrait se répercuter sur les poissons. Comme il y a des gens qui pêchent et mangent ce poisson, ça pourrait exposer davantage la population. Et est-ce qu’il y a un risque au fait d’être exposé aux BPC ? La réponse est clairement oui. »
Décontamination coûteuse
Le ministre Blanchet a promis que le site sera débarrassé des BPC et décontaminé au cours des prochains mois, et ce, même si Reliance se défile. Mais pour le moment, on ignore combien pourrait coûter le nettoyage, notamment parce qu’on ignore jusqu’à quel point le site a été contaminé. Un chimiste engagé par Reliance estime la facture à trois ou quatre millions de dollars. Demeure en outre la question de savoir qui paiera ce nettoyage. « Je n’ai aucune garantie quant à la valeur des actifs, je n’ai qu’une garantie quant à notre capacité de disposer des actifs », a admis Yves-François Blanchet.
Le ministre a aussi souligné qu’il comptait revoir la surveillance des sites où pourraient être entreposées illégalement des substances dangereuses. « Qu’une entreprise ait pu se faufiler, cela m’inquiète.Soyez assurés que nous allons revoir ce type de fonctionnement là. Si c’est un problème d’affectation des ressources, j’y veillerai. »
Il est difficile de savoir s’il existe d’autres sites illégaux comme celui de Pointe-Claire. On sait toutefois que les sites contaminés avérés sont de plus en plus nombreux au Québec. Leur nombre est ainsi passé de 900 en 1989 à pas moins de 8334 en 2010. Il ne s’agit toutefois là que des sites dont le gouvernement connaît l’existence. Ce chiffre pourrait donc ne représenter que la pointe de l’iceberg.
Un secret toxique
Le ministère de l’Environnement a-t-il tardé à informer les résidants de Pointe-Claire de la présence de BPC près de chez eux?
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