La GRC a arrêté mercredi un Montarvillois qui aurait exporté aux États-Unis pour 18 millions de dollars de drogues synthétiques. L’homme aurait utilisé le dark web, le web caché, où il se présentait sous le nom d’une déesse grecque de la relaxation, afin d’écouler d’énormes quantités de faux comprimés de Xanax ainsi que des opioïdes comme le fentanyl.
Le suspect, Arden McCann, 32 ans, fait maintenant l’objet d’une demande d’extradition aux États-Unis, où il pourrait être condamné à une longue peine d’emprisonnement.
Le résidant de Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud, a comparu au palais de justice de Montréal mercredi, devant la juge de la Cour supérieure Johanne St-Gelais. Il est accusé de trafic de drogue et de blanchiment d’argent aux États-Unis. McCann demeure détenu, en attendant la suite du processus judiciaire. Il doit retourner en cour en avril.
En 2015, Arden McCann avait été arrêté dans le cadre d’une enquête de la police de Laval qui avait mené à la saisie de cinq presses à pilules et de deux millions de comprimés contrefaits, principalement du Xanax. Le rôle de McCann semblait alors périphérique pour le dossier lavallois. Il avait plaidé coupable à une accusation réduite et écopé d’une peine de 90 jours de prison assortie d’un don de 2500 $ à une œuvre charitable. Deux de ses coaccusés dans cette affaire étaient les fils du policier Ian Davidson, la « taupe du SPVM » qui avait tenté de vendre à la mafia la liste secrète des informateurs de police.
Dark web et cryptomonnaie
Mais dans l’affaire pour laquelle il a été arrêté mercredi et est menacé d’extradition, le rôle de McCann serait central.
Selon des documents judiciaires américains que La Presse a obtenus, le Montarvillois était actif sur différentes plateformes de vente du dark web, telles AlphaBay, Dream, Wallstreet, Nightmare et Empire.
Le dark web est l’internet clandestin, un ensemble de sites accessibles à travers des logiciels qui protègent l’identité des utilisateurs.
Sur ces plateformes de vente, McCann utilisait différents pseudonymes, comme DrXanax, Xanaxlabs, TheMailMan, RCQueen ainsi que Pasitheas, du nom d’une déesse grecque, Pasithéa (ou Pasithée), personnifiant la relaxation, la méditation, les hallucinations et les états altérés.
McCann aurait exporté des dizaines de kilogrammes de faux comprimés de Xanax, mais aussi du fentanyl et d’autres opiacés synthétiques. Le fentanyl est un opioïde 40 fois plus puissant que l’héroïne qui a été relié à des dizaines de milliers de surdoses mortelles aux États-Unis.
McCann aurait importé les substances de Chine, les aurait fait traiter au Canada, et les aurait exportées en bonnes quantités à des complices aux États-Unis. Ceux-ci, considérés comme des relayeurs, les auraient ensuite envoyés par la poste, en plus petites quantités, aux clients américains. La drogue aurait toujours été payée en cryptomonnaie (bitcoin).
Importation par traîneau ratée
L’exportation vers les États-Unis se faisait par différents chemins. En janvier 2016, des agents des douanes américaines ont intercepté un jeune homme de 21 ans, qui venait d’être repéré par des détecteurs de mouvements, alors qu’il marchait sur une voie ferrée traversant une forêt, à la frontière entre le Vermont et le Québec, à la hauteur de Potton, en Estrie.
L’homme, qui était du côté américain, tout habillé de blanc, comme pour se camoufler dans la neige, tirait, à 1 h dans la nuit noire, un traîneau sur lequel reposait un gros sac. Ses traces de pas montraient qu’il arrivait du côté canadien. Les agents qui l’ont intercepté ont trouvé environ 82 kilogrammes (182 livres) de comprimés de Xanax contrefaits dans son sac. La cargaison valait 1,6 million sur le marché noir. Le suspect, Cédrik Bourgault-Morin, a plaidé coupable et écopé d’un an de prison aux États-Unis.
Quelques mois plus tard, la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine a rencontré un des complices américains de McCann, un relayeur qui allait devenir un témoin repenti. L’homme a fini par avouer que le chargement saisi sur le traîneau avait été envoyé par McCann. Le témoin repenti avait visité McCann à Montréal deux semaines avant cette livraison ratée. Il a permis aux enquêteurs américains d’identifier McCann sur des photos. Par la suite, McCann a prévenu ce complice qu’il ne ferait plus affaire avec lui et qu’il se trouverait de nouveaux relayeurs au Texas.
Trahi par la technologie
En juillet 2017, les autorités américaines ont saisi et déchiffré des informations de la plateforme de vente du dark web AlphaBay et retracé les transactions supposément effectuées par McCann, sous ses différents pseudonymes.
En parallèle, les enquêteurs de l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé (UMECO) de la Division C de la GRC ont placé le suspect sous surveillance. Une caméra cachée surveillait sa résidence, ses communications étaient épiées, et un agent infiltré était en contact quotidien avec lui, selon ce qui a été exposé au tribunal. L’automne dernier, la GRC a perquisitionné dans la résidence de McCann et saisi des appareils électroniques et trois supports informatiques cryptés.
Le recoupage des informations trouvées sur la plateforme AlphaBay et les supports informatiques a permis de démontrer que les différents pseudonymes sur lesquels a porté l’enquête étaient contrôlés par la même personne. Il a aussi permis de retrouver une liste de clients et énormément de transactions d’achat et de paiement.
Selon les analyses effectuées par la police américaine, les pseudonymes qu’aurait utilisés McCann seraient liés à plus de 10 000 transactions sur les différentes plateformes de vente du dark web entre novembre 2015 et juillet 2017, pour une somme totale de 16 752 bitcoins, l’équivalent de 18 millions de dollars canadiens.
L’enquête de la police américaine a révélé que des transactions se seraient poursuivies avec les pseudonymes vraisemblablement utilisés par McCann jusqu’à il y a à peine une semaine.
La GRC mène actuellement une enquête connexe à cette affaire, ce qui expliquerait les huit perquisitions de mercredi effectuées sur le boulevard Lite à Laval, à Montréal et en Montérégie.
Les policiers américains annoncent avoir saisi, le même jour, des comptes de cryptomonnaie reliés à McCann.
Parce que McCann aurait les moyens de fuir le pays et qu’une partie de ses avoirs se trouverait en dehors du système bancaire traditionnel, les policiers américains ont demandé à leurs homologues canadiens de l’arrêter de façon provisoire, avant de demander son extradition.
Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.