Murray Bookchin (1921-2006) est le fondateur de l’Institut d’écologie sociale du Vermont. Lorsque j’ai découvert son œuvre, ce fut pour moi une sorte d’éveil. Sa pensée est si érudite, qu’elle mérite d’être connue de toutes et de tous. L’écologie sociale est un concept avant-gardiste, car c’est à partir de ce dernier que se définit généralement la Nouvelle Gauche progressiste québécoise. C’est d’ailleurs sur l’expression « écologie sociale » que la maison d’édition Écosociété a forgé son nom. Une désignation adéquate, pour une entreprise fonctionnant selon des principes d’autogestion et de coopération.
Depuis les années 1950-1960, Bookchin enseigne, à travers ses écrits, que l’harmonie véritable entre la nature et l’humanité est conditionnée par la qualité des liens sociaux qu’entretiennent les êtres humains entre eux. Ce sont donc les sociétés les plus démocratiques et égalitaires qui optimisent l’écoharmonie. Par conséquent, une société de consommation dirigée par une bourgeoisie néolibérale aura une attitude prédatrice envers la nature, puisque son objectif de croissance économique infinie, plus ou moins planifiée, ne peut respecter l’environnement. C’est comme si vous demandiez à un dinosaure vorace et doté d’un tout petit cerveau de suivre une diète. Pour les capitalistes, la nature est une marchandise et les travailleurs, des instruments ou du capital humain. La plupart des capitalistes disent qu’ils sont libéraux et prônent la libre concurrence. Par contre, ils rêvent tous de monopoles.
Selon l’auteur, la société écologique d’aujourd’hui doit faire appel à ce qu’il y a de plus noble chez l’être humain, c’est-à-dire à sa raison, son cœur et sa conscience, car une société sans conscience ne va nulle part, et ne peut mener qu’à l’hécatombe, en polluant l’écosystème de façon irréversible. Bookchin est activiste, radical, révolutionnaire, voire anarchiste. Il s’aventure beaucoup plus loin que les environnementalistes dont il critique la pensée, parce qu’ils ne peuvent réformer le capitalisme au point de le rendre compatible avec une société réellement écologique et démocratique. Or l’objectif numéro un des États capitalistes traditionnels vise la concentration de la richesse et du pouvoir entre les mains de quelques oligarques. L’intellectuel fustige également le capitalisme d’État dit « socialiste ». Il accuse Karl Marx d’être un partisan de l’économisme, c’est-à-dire d’un vulgaire déterminisme économique bourgeois. Lorsque l’on estime que le néolibéralisme est en partie analogue au marxisme, il y a matière à réflexion.
Bookchin questionne la pertinence de l’État, surtout quand celui-ci légitime des iniquités. N’est-ce pas en vue d’établir une dictature ou d’étendre son empire, que l’État ne tolère que la démocratie formelle, au détriment de la démocratie directe ou participative ? Comment un État guerrier, au service d’une oligarchie ou d’une ploutocratie peut-il se prétendre démocratique ? En illustrant la démocratie directe à l’œuvre dans différentes sociétés et époques, l'écologiste montre, à titre d’exemple, comment une société hiérarchique et patricentrique peut se transformer en une société égalitaire de type matricentrique.
Comment alors passer de la démocratie représentative à la démocratie participative ? En travaillant entre autres à l’élaboration du « municipalisme libertaire » dit Bookchin. Concrètement, il s’agit de diviser la ville en plusieurs communes. Les communes tiennent respectivement des réunions à date fixe et débattent des enjeux proposés par la population, puis formulent des recommandations. Celles-ci sont acheminées au rassemblement communal général (commune des communes) qui délibère. La commune des communes agit à titre d’instance décisionnelle non élective. Tous ses membres sont révocables. Dans la perspective écosociale, le municipalisme libertaire se veut démocratique, égalitaire et se préoccupe des particularités écogéographiques de chaque commune. Ce système relativement simple à réaliser préfigure la concrétisation d’un projet de société beaucoup plus vaste.
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