Dans une tribune libre du 23 juin, j’affirmais que «[...]viser et réussir
la libération politique d’un peuple ne s’improvise pas dans un salon, dans
un colloque universitaire ni même dans Vigile, et il faut y préparer le
peuple en étant avec lui, pas le sermonner en lui disant de manière
méprisante qu’il n’a rien compris chaque fois qu’il ne réagit pas comme on
l’espère». Cela suppose, comme le répète avec insistance Pierre Cloutier,
un projet de pays emballant. Ce projet doit certes être clair et simple.
Cependant, pour en arriver à défendre la clarté et la simplicité, il faut
une connaissance à jour de ce qu’est le Québec sur le plan des moyens
collectifs et de ce qu’il pourrait devenir une fois l’indépendance
réalisée. Cela suppose de nombreuses études sur tous les champs
d’activités d’un gouvernement québécois disposant de toutes ses ressources
et des propositions sur ce qu’on en ferait. De telles études avaient été
menées en 1994 et 1995 ; on ne les a jamais mises à jour depuis, et
pourtant, elles sont un préliminaire indispensable à l’affinement d’un
projet de pays.
Un parti qui veut prendre le pouvoir dans le but de
réaliser l’indépendance doit être capable, une fois élu, non seulement de
dire clairement où il veut aller mais de démontrer qu’il peut y aller, et
les études dont je parle nécessitent des fonds et des moyens techniques et
humains que seul un gouvernement élu peut se permettre, idem quant à la
publicité. Il ne s’agit pas de recommencer l’exercice d’un budget de l’AN
I mais de lever toutes les ambiguïtés. Il est bien de proposer des
objectifs clairs, encore faut-il que le citoyen puisse raisonnablement
croire qu’ils sont réalisables. Cela signifie également qu’un parti
sérieux, et qui veut être pris au sérieux, ne peut se permettre de déclarer
l’indépendance le lendemain de son élection ni, le cas échéant, organiser
un référendum dans les semaines qui suivent.
Quelle que soit la mécanique
et le moment du passage à l’acte, il faut d’abord être en mesure de
présenter aux citoyens un portrait réaliste et crédible du projet auquel on
leur demande d’adhérer. On ne suscitera pas chez la majorité la
détermination de se donner un État en s’en tenant strictement au sentiment,
à l’émotion et à la rhétorique, choses nécessaires mais insuffisantes.
Or la chef du Parti québécois rejette l’idée de se servir des fonds de
l’État à de telles fins, ce qui est contraire au bon sens et à ce qu’a déjà
fait son parti en 1994 et 1995. En quoi serait-il moins légitime pour un
parti indépendantiste au pouvoir de se servir des fonds de l’État pour
promouvoir ses objectifs que ce peut l’être pour un parti fédéraliste de se
livrer à cet exercice en fonction des siens, ce que n’ont jamais manqué de
faire Bourassa et Charest ?
On relirait avec profit la Note sur la stratégie politique des
souverainistes, préparée par Jacques Parizeau à l’intention de Bernard
Landry, publiée dans Le Devoir du samedi 22 septembre 2001 et disponible
dans les archives de Vigile. Pour l’essentiel, ce document me paraît
toujours une base incontournable pour n’importe quel parti indépendantiste
ou, le cas échéant... une coalition indépendantiste.
Raymond Poulin
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
30 juin 2008M. RP, je crois qu'il sera bien difficile d'avoir un parti indépendantiste au pouvoir. Pour ce qui est de l'après prise du pouvoir, on verra bien... Je n'ai peut-être pas votre diplomatique politesse, je ne dirai pas comme vous que ce que nous avons vécu depuis 40 ans n'était presque jamais la faute des chefs, je dirais toutefois ne vous en déplaise, qu'ils se sont tous écrasés les uns après les autres et ils sont désormais solidaires entre eux dans leur refus de radicalisation et d'opiniâtreté, se respectant les uns les autres dans leur repli, en allant s'incliner devant Jean Charest pour quérir une insignifiante médaille. Pendant ce temps, trop nombreux sont ceux qui se targent d'avoir l'expérience de décennies de militantisme, de la sagesse et du potentiel à revendre mais qui se mettent en réserve, se refusant d'investir les forces indépendantistes montantes parce qu'elles sont pleines d'horribles défauts juvéniles.
Malheureusement, tragiquement même, il y peu de continuité inter-générationnelle dans le mouvement souverainiste-indépendantiste, il y bel et bien eu une brisure et, il faudra hélas reprendre, peut-être pas du début, mais pas loin. Les chefs du passé sont devenus des notables, récupérés jusqu'au dernier par le système.
Gilles Verrier
Raymond Poulin Répondre
27 juin 2008Monsieur Verrier, il ne s’agit pas de savoir si on aime ou pas Jacques Parizeau ou s’il a erré en démissionnant. Il s’agit de refaire, une fois un parti indépendantiste au pouvoir, ce qui, à la lumière de la nécessité et du simple bon sens, doit l’être. Dans ce contexte, faire du Parizeau bashing est à côté de la question soulevée.
Monsieur Haché, je ne tiens pas absolument à ce que ce soit le PQ qui nous mène à l’indépendance. Et le PI, une fois retombé sur ses deux pattes, ne sera certainement pas à dédaigner. Mais quel que soit le parti qui se trouvera le mieux en situation (pour le moment, il n’y en a aucun), il devra s’outiller en conséquence. C’est seulement cela que j’ai voulu souligner. Quant au reste, nous sommes à peu près sur la même longueur d’onde. Oui, comme vous, je suis un vieil indépendantiste tanné sur les bords, mais j’ai la conviction que, dans les circonstances actuelles, la précipitation constituerait non seulement une erreur mais une faute.
Archives de Vigile Répondre
27 juin 2008Bonjour M. Poulin.
Je ne suis pas membre du Parti indépendantiste. Mais j’en suis partisan. J’aimerais bien pouvoir voter pour ce parti à la prochaine élection.
Un peu à la manière de M. Bousquet avec sa Confédération, lorsque j’écris sur Vigile, c’est pour répéter souvent (pas toujours) la même chose : les indépendantistes n’ont plus qu’une seule patrie, et c’est le P.I.
Ce n’est pas une position idéologique dure. Simplement un rappel de la nécessité faite aux indépendantistes de devoir parler un jour prochain d’une seule voix. Je crois que le P.I. pourrait être et devrait être cette voix. Je reconnais ici ma partisannerie, et, gérant d’estrades, je ne suis au courant de rien concernant quelque coalition que ce soit.
Je déteste autant que vous le P.Q. bashing .Particulièrement à l’encontre de la chefferie de Mme Marois . (Quand ce n’est pas de sa personne !) .Je crois qu’elle est grandement sous-estimée. Mais son parti, lui, est surestimé tout autant. En tous les cas, les tendances lourdes des sondages laissent voir présentement pour ce parti, une grosse côte à remonter. Pour l’heure, Mme Marois ressemble à un bon jockey qui n’a pas la bonne monture !
Mais si cette côte était permanente ? Si l’électorat s’était détourné du P.Q. ? Significativement .Mais définitivement .Sans espoir ni signe annonçant le retour si réconfortant du balancier. Alors que l’appui national à la souveraineté se maintient, lui, avec de bons scores, ne faudrait-il pas remarquer une bonne fois que l’électorat « très nationaliste » devance son propre parti, le P.Q ?
Je crois que la fidélité de beaucoup d’indépendantistes à l’égard du pays a été capturée par le Parti Québécois. Non sans de bonnes raisons, je veux bien le reconnaître .Mais capturée, maintenant, au profit de ce parti .Il faudrait aussi le reconnaître. Je reconnais par ailleurs que c’est là le jeu très normal des partis politiques. Qu’à cet égard, le P.Q. n’a pas à être plus angélique que le P.L.Q.Quand même ! Le P.Q.n’est pas né un jour pour être le siamois du P.L.Q.! Quant à moi, qui suis un vieux croyant, comme vous sans doute, mais un vieux désespérant, comme vous peut-être, ces admissions sont faites depuis bien longtemps. Elles sont devenues des convictions. Jamais démenties hélas!
Il se trouve maintenant qu’il existe un jeune parti indépendantiste. À ce jour souverainement et radicalement fidèle à l’indépendance du Québec. Vous connaissez la maxime : faut-il espérer pour entreprendre ? Des jeunes, surtout, sans doute, et des moins jeunes, pensent que non. Leur seule fidélité, libérée de toute tutelle, leur a suffit !
Pourquoi donc le souffle de la nation ne pourrait-il pas souffler maintenant en faveur du P.I., alors que pleins d’indices laissent entrevoir une radicalisation de l’électorat québécois ? Le vote en faveur de l’A.D.Q., particulièrement, lors de la dernière élection générale, fut peut-être un vote plus radical qu’il n’y paraissait. Ce fut sans aucun doute un vote qui voulait échapper tout autant aux P.L.Q. qu’au P.Q. ! Ce n’est pas rien ! Ce serait plutôt radical depuis, disons, pour être optimiste ,1976 ! Et ce pourrait être un peu plus lourd de conséquences, que l’explication simpliste du « retour à l’Union Nationale » voudrait bien faire croire.
Après une stabilité à toute épreuve, l’électorat ontarien, lui, s’est mis depuis trente ans à voter dans toutes les directions. L’électorat y a fait « le tour du cadran » des partis. Mais pas l’électorat québécois. La question nationale, ici, pèse si fortement, qu’elle empêche pareille révolution de l’électorat. En même temps qu’elle « fige » cet électorat, la question nationale, incontournable, s’avance et demande sa résolution. Mais c’est en vain : l’électorat est « figé » dans sa partisannerie. Aux seuls profits des partis P.L.Q. et P.Q.
Comme le P.Q. a déjà capturé la fidélité au pays d’une partie « très nationaliste » de l’électorat, que le P.L.Q., lui, «pis laissez-donc faire ! » ( je l’ai aimé celle-là !), c’est finalement la question nationale elle-même que les deux partis, P.L.Q. et P.Q., s’annexent et se partagent .À leurs seuls profits.
C’est dans ce contexte, MAINTENANT, que la question de la déclaration d’indépendance du P.I., à 44-45-46-alouette%, est quelque peu académique. Ce ne pourrait pas être TOUJOURS académique, évidemment. Mais pour l’heure, il me semble très raisonnable que le capitaine puisse « pouvoir » et—« devoir »--- naviguer à vue. Sans plan ni carte ouverts… à l’adversaire. Juste la destination, qui nous est si chère !
Après tout, Mme Marois elle-même ne réclame rien d’autre, justement, pour son parti, après l’avoir réclamé, et obtenu, pour sa chefferie. Le projet du P.Q. en est-il maintenant si emballant pour autant ?
Archives de Vigile Répondre
26 juin 2008Or, Jacques Parizeau a fait le choix de démissionner alors que le rapport de force de nation à nation était à ce point exacerbé que tout était possible. Bernard Landry, n'en faisant qu'à sa tête, n'a pas voulu écouter les conseils de la "belle-mère". Si M. Parizeau savait si bien quoi faire, pourquoi ne l'a-t-il pas fait lui-même au moment opportun ? Simple question.
Les commentateurs, plus d'une décennie après, risquent de manquer de pertinence s'ils ne se risquent pas à sortir des sentiers battus. Nous n'en sommes plus à l'heure de reprendre, des années plus tard, les conseils de la belle-mère qu'un patriote médaillé a déjà illico fait passer à la trappe.
Le renouveau est déjà là. Nous en sommes à l'émergence d'un nouveau leadership, plongé dans le terreau d'un militantisme courageux, risqué, quotidien, sans médaille. Les notables de la souveraineté suivront le défilé car, en autant que je puisse voir, aucun d'entre eux ne veut continuer le combat. Je leur concède le droit à une retraite paisible, le discours politique propre à leur heure de gloire n'ayant malheureusement pas porté les fruits qu'il promettait.
Gilles Verrier