Un proche associé des Desmarais sous enquête en Europe

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Les sales manoeuvres des prédateurs

Un homme d’affaires qui mène une longue bataille contre le proche associé européen de la famille Desmarais du Québec a convaincu la justice française de la nécessité d’ouvrir une enquête sur des
allégations d’espionnage.
Jean-Marie Kuhn est un homme d’affaires français qui est convaincu d’avoir subi des intrusions dans ses courriels et sur son téléphone cellulaire plusieurs fois depuis un an.
Le disque dur de son ordinateur aurait également été copié. Une plainte, dont notre Bureau d’enquête a pris connaissance, a été déposée auprès des autorités françaises.
En septembre, le Parquet de Paris a transmis sa plainte à la Brigade française sur les fraudes aux technologies de l’information (BEFTI), une unité d’enquête spécialisée.
Une enquête est en cours, selon ce que rapporte le magazine financier français Challenges.
«Mes courriels ont été examinés et je recevais des informations sensibles avec un ou deux jours de retard, soutient M. Kuhn, au cours d’une entrevue. Ma ligne téléphonique a aussi connu des perturbations
importantes avec des bruits et une mauvaise qualité sonore.»
Affaire nébuleuse
L’affaire, nébuleuse, épaissit un dossier qui a déjà fait couler beaucoup d’encre en Europe.
Au cœur de cette présumée histoire d’espionnage, selon M. Kuhn, se trouve une mystérieuse liste de bénéficiaires de ce qu’on appelle là-bas «l’affaire Quick».
Celle-ci met en scène une transaction qui aurait permis au groupe Albert Frère, vieil associé de la famille Desmarais, de faire un gain gigantesque grâce à des fonds publics et au gouvernement français de
Nicolas Sarkozy (lui aussi un très bon ami de la famille Desmarais.
«Il y a une agitation fébrile pour savoir quelles sont exactement les informations que j’ai», dit-il.
M. Kuhn n’a pas voulu nous fournir la liste, mais il a dit qu’elle contenait des preuves irréfutables sur l’identité des réels bénéficiaires de cette affaire.
Des financiers et des hommes politiques belges et français, de même que des sociétés offshore sont dans le coup, selon lui.
Il entend dévoiler cette liste devant les tribunaux, dans le cadre de recours entrepris par lui en Belgique.
Pas la première fois
Ce n’est pas la première fois que M. Kuhn dit soupçonner un espionnage sur son matériel. Mais, depuis septembre, la justice française prend l’affaire au sérieux.
Selon M. Kuhn, l’élection de François Hollande permet de faire débloquer une procédure qui n’allait nulle part sous Nicolas Sarkozy.
«On n’a jamais nié les faits, mais on me disait simplement qu’ils n’étaient pas punis par la loi», dit-il.
D’autres cas d’espionnage impliquant Quick ont aussi fait surface dans les derniers mois. Le site français Médiapart, spécialisé dans les enquêtes, rapporte en effet que Quick aurait payé un détective
privé, Jean-Pierre Fourès, réputé proche de la droite française, pour recueillir illégalement de l’information sur des franchisés.

Une vente à prix gonflé pour enrichir des amis
Jean-Marie Kuhn mène depuis plusieurs années un combat pour faire la lumière sur les dessous de la vente de la chaîne de hamburgers belge, Quick, en 2006.
L’entreprise a été vendue 800 millions d’euros par une compagnie contrôlée par Albert Frère à un groupe d’investisseurs privés et à la Caisse des dépôts et consignations, l’équivalent français de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Le bilan financier de Quick a été «maquillé» afin de justifier une vente à un prix très élevé, selon Kuhn.
«Deux ans avant la vente, le PDG de Quick disait qu’il était vendeur pour 300 millions d’euros et tous les intéressés se sont retirés», affirme-t-il.
Comment une firme qui ne valait pas 300 millions d’euros a-t-elle bien pu trouver preneurs à 800 millions deux ans plus tard? Les médias français et belges s’intéressent de plus en plus à cette question.
Acheter grâce à la Caisse
Selon des documents de cour déposés en Belgique et consultés par notre Bureau d’enquête, les investisseurs privés anonymes qui ont acheté Quick avec la Caisse n’ont investi que 74 000 euros de leur propre argent.
Le reste du financement a été obtenu grâce à une garantie que la Caisse des dépôts a fournie à la Banque ING, qui a financé l’achat de Quick avec un prêt. Une dette énorme a été ajoutée au bilan de Quick, qui a dû recevoir une autre injection d’argent public en 2013.
Enrichissement rapide
Les investisseurs privés, dont M. Kuhn dit détenir la liste, se sont ensuite rapidement vu verser un dividende de 326 millions d’euros, en contravention de la loi, selon Kuhn.
Selon l’homme d’affaires, Quick, qui était la propriété d’une entreprise du milliardaire belge Albert Frère, aurait été vendue à un prix gonflé pour permettre à Frère et à d’autres investisseurs de s’enrichir avec le trésor public.
Le profit obtenu aurait notamment servi à financer l’achat d’actions de Suez, un géant de l’énergie français.
Albert Frère est un très proche associé de la famille Desmarais. Les deux familles ont même soudé officiellement un pacte en 2012. «Albert Frère, c’est l’alter ego des Desmarais. Ils se parlent pour toutes les transactions de Power en Europe», soutient M. Kuhn.
Pourquoi s’intéresse-t-il à la Quick ?
Jean-Marie Kuhn s’intéresse à l’affaire parce qu’il a lui-même déjà acheté une chaîne de magasins de chaussures à Albert Frère. L’affaire s’est très mal passée.
Lorsqu’il a vérifié les stocks de chaussures qu’il avait payés, une grosse partie avait disparu, contrairement aux bilans comptables qui lui avaient été remis, selon ses affirmations. Des recours judiciaires ont été entrepris, à la suite desquels un accord confidentiel est intervenu.
«J’ai été complètement floué là-dedans, et, quand j’ai vu l’affaire Quick, j’ai reconnu un même procédé», dit-il.
Un pacte avec les Desmarais jusqu’en 2029
Malgré les ennuis avec la justice de son associé de longue date, la famille Desmarais n’a pas hésité à prolonger avec Albert Frère un «partenariat stratégique» jusqu’en 2029.
«La prolongation de cette entente, conclue initialement en 1990 et prolongée en 1996, facilitera la poursuite des objectifs à long terme établis par les groupes Power et Frère/CNP en lien avec leur intérêt conjugué dans le groupe Pargesa», écrit Power Corporation dans un communiqué daté de décembre 2012.
Dans une entrevue au journal français Le Monde accordée en octobre dernier, Gérald Frère, le fils d’Albert Frère et président du comité exécutif de GBL, allait encore plus loin.
«Le grand souci des patriarches a toujours été que l’alliance puisse leur survivre, et tous les moyens ont été pris en ce sens, assurait-il. Tous les Frère et les Desmarais se considèrent comme faisant partie de la même famille. C’est vrai pour la génération de mon père, pour la mienne, mais également pour la troisième génération.»
BNP-Paribas coupe les liens avec Albert Frère
Contrairement à la famille Desmarais, la Banque BNP-Paribas, qui finance Albert Frère depuis des décennies, se désengage de façon accélérée des affaires du milliardaire.
À la fin 2013, la Banque a discrètement annoncé qu’elle vendait toutes ses participations dans Erbe, un des principaux holdings du groupe Frère. Le retrait était d’abord prévu pour 2028.
Joint par notre Bureau d’enquête, un porte-parole de la Banque, Sauveur Menella, a dit qu’il lui était impossible de commenter plus qu’un bref communiqué émis en décembre.
Quant à Power Corporation, le directeur du contentieux, Stéphane Lemay, a dit que «ni M. Desmarais, ni Power Corporation n’ont quelque lien que ce soit, direct ou indirect, passé ou actuel, avec la société Quick en Europe».
Il a toutefois ajouté: «Nous avons pleinement confiance en la famille Frère, avec laquelle nous avons un partenariat stratégique en Europe depuis près de 25 ans.»
Un porte-parole du Groupe Frère, contacté, n’a pas souhaité faire de commentaires.
Ce qui est allégué dans la plainte de M. Kuhn en Belgique
«Il dénonce les irrégularités constatées dans la vente des actions de la SA Quick Restaurants à une filiale de la Caisse des dépôts et consignations française. Il estime qu’en intervenant dans la reprise des actions Quick et des actions Eiffage, l’État français a permis au groupe Frère de trouver les liquidités suffisantes pour investir dans GDF-Suez au moment de la fusion de ces sociétés. Ces cadeaux de l’État français au groupe Frère et à son associé, le groupe Power de Paul Desmarais, seraient un retour d’ascenseur à la suite de l’aide apportée par Paul Desmarais à Nicolas Sarkozy dans le cadre de sa campagne électorale.»


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