Les gens des médias se déplacent souvent comme un banc de sardines : tous dans la même direction.
Pendant qu’ils commenteront jusqu’à plus soif le remaniement ministériel survenu dans une société qui a choisi de vivre dans les marges de l’Histoire, l’Histoire, la vraie, s’écrit en Catalogne.
Mais quelle Histoire au juste ? Et de quelles leçons est-elle porteuse pour les souverainistes d’ici et pour les nations minoritaires ?
Seuls
« Nous ne sommes pas des délinquants, nous ne sommes pas des fous, nous ne sommes pas des illuminés ni des putschistes. Nous sommes des gens normaux qui veulent s’exprimer ».
C’est le président catalan, Carles Puigdemont, qui s’exprimait ainsi mardi, voulant expliquer l’attitude de ces Catalans brutalisés pour avoir voulu décider eux-mêmes de leur avenir en votant.
Lui et ses compagnons signaient ensuite une déclaration symbolique d’indépendance, mais n’enclenchaient pas le processus de rupture, appelant de nouveau Madrid au dialogue.
Chaque jour qui passe, ils découvrent que c’est Madrid qui a les meilleures cartes dans son jeu.
Ils réalisent que la vague de sympathie internationale à leur endroit ne pèse pas lourd. La sympathie peut aller de pair avec un isolement diplomatique quasi total.
Ils voient que l’article 1 de la Charte des Nations Unies, qui reconnaît le droit des peuples à disposer librement d’eux-mêmes, ne vaut guère plus.
En sabotant le référendum, Madrid s’est assuré que l’exercice n’avait pas la légitimité nécessaire pour fonder une déclaration unilatérale.
Tous les pays serrent les rangs derrière Madrid après avoir fait semblant de s’offusquer de la violence policière.
Véritables grenouilles de bénitier, monumentalement hypocrites, les pays de l’Union européenne appellent au « dialogue ».
Mais dialoguer avec qui ? Madrid n’accepte qu’une capitulation pure et simple.
Coincé, Carles Puigdemont doit gagner du temps, tenir à bout de bras une coalition turbulente, garder l’initiative et, surtout, ne pas perdre la face.
Il fait bien de ne pas foncer : la politique du pire serait la pire des politiques. La riposte de Madrid ferait reculer l’autonomie catalane de 40 ans.
Force
Quand j’étais un jeune étudiant en science politique, j’avais été fasciné par un ouvrage du grand politologue américain Stanley Hoffmann, intitulé Une morale pour les monstres froids.
Hoffmann constatait qu’il n’y a aucune place pour les bons sentiments dans le jeu politique international. Pour les régimes politiques, quels qu’ils soient, seules comptent leur puissance et leur survie.
Y a-t-il la moindre place pour la morale, se demandait-il ? N’y en a-t-il que pour la force brute ? Vous devinez sa réponse désabusée.
Ces admirables Catalans sont en train d’apprendre que la liberté politique est l’aboutissement incertain d’une très longue marche, qu’on ne peut compter que sur soi-même, qu’il n’y a aucune aide à attendre d’autrui, et que toute naïveté est interdite.
Les souverainistes québécois en savent quelque chose.