Un pays pour les citoyens du Québec

Chronique de Louis Lapointe

Quiconque a un peu suivi l’actualité politique au cours des dernières
années est à même de constater que la démocratie est en panne au Québec.
Les citoyens sont de moins en moins aux rendez-vous électoraux. La
participation aux élections scolaires, municipales, provinciales et
fédérales n’a jamais été aussi basse.
Le dernier grand rendez-vous démocratique qui a donné lieu à une
participation massive des citoyens a été le référendum de 1995. Ce jour-là,
le Québec n’est pas devenu un pays et les citoyens ont dû continuer à vivre
avec les décisions d'un chef qu’ils n’avaient pas initialement plébiscitées. On a
qu’à penser au déficit zéro, au départ à la retraite de nombreuses
infirmières du réseau de la santé et aux fusions municipales.
Puis, avec un nouveau gouvernement, sont venues les défusions municipales,
l’abolition des CRD, les tentatives de privatisations de biens et services
de l’État et l’imposition de projets qui allaient à l’encontre de l’intérêt
des citoyens comme les cas du Parc du Mont Orford, du Suroît, de Rabaska et
de Gros-Cacouna. Les Québécois ont également assisté à de nombreuses
situations remettant en question l’intégrité de leurs élus. Les affaires
Cadman, Airbus, le scandale des commandites et le secret entourant les
rémunérations supplémentaires du premier ministre et du chef de
l’opposition officielle à Québec ne sont que la pointe de l’iceberg du mal
qui gruge nos administrations publiques.
S’est ajouté à ce déficit démocratique, un déficit économique caractérisé
par la dépossession des ressources québécoises au profit d’une petite
élite. On a qu’à penser au saccage de la forêt boréale et à la vente de la
Noranda, de Domtar et de Alcan à des intérêts étrangers sans que nous ayons
pu faire quoi que ce soit, sauf assister à l’apparente impuissance de nos
élus et à sa justification par les médias.
Nos élus locaux, municipaux, provinciaux et fédéraux nous ont fait la
démonstration qu’ils n’avaient pas les pouvoirs nécessaires pour vraiment
représenter leurs concitoyens au sujet de questions qui les touchaient, les
lobbys économiques ayant une plus grande influence que leurs votes auprès
des différents gouvernements.
Devant cet état de fait, les citoyens réalisent de plus en plus qu’ils ont
de moins en moins de contrôle sur leurs univers politiques et économiques.
Le mot démocratie n’a plus aucune signification tant les élus sont soumis à
d’autres impératifs que ceux de bien servir leurs électeurs.
Pour que les citoyens reprennent confiance en la démocratie, il faut
qu’elle ait un sens à leurs yeux ; il faut qu’ils puissent en voir les
résultats dans leur vie quotidienne ; il faut qu’ils acquièrent le pouvoir
de décider de ce qui est bon pour eux. Or, actuellement au Québec, tout se
décide dans les bureaux des premiers ministres du Canada et du Québec sous
l’influence d’importants lobbys. Même si tous les indépendantistes
s’accordent pour dire que le palier fédéral doit disparaître,
malheureusement, ce rêve ne s’accomplira pas si les électeurs n’ont pas la
conviction que cela aura pour conséquence de leur donner plus de pouvoirs
dans leurs écoles, leurs quartiers, leurs villes et leurs régions.
À cause des effets positifs de la Révolution tranquille, les Québécois
n’ont jamais été aussi nombreux à avoir l’instruction et les compétences
requises pour gérer leurs propres affaires. Au fil des années, en plus du
savoir-faire, ils ont acquis la conviction qu’ils n’avaient plus besoin de
remettre la gestion des détails de leur vie quotidienne à un État central
omnipotent. Si les Québécois ne veulent pas d’un Canada centralisé, ils ne
veulent pas non plus d’un Québec centralisateur.
L’exemple des fusions et des défusions municipales a démontré aux citoyens
comment le gouvernement et sa fonction publique pouvaient être incompétents
lorsqu’il s’agissait de gérer les affaires municipales. L’abolition des
conseils régionaux de développement et leur remplacement par les
conférences régionales des élus sont la meilleure preuve de
l’incompréhension de la part de nos gouvernements que la démocratie doit
avant tout s’appuyer sur la participation des citoyens des régions aux
décisions et non sur l’influence de quelques élus qui siègent aux CRE sans
réels pouvoirs.
Le jour où les Québécois auront la conviction que l’indépendance du Québec
leur apportera plus de pouvoir dans leur vie quotidienne parce que leurs
élus auront les pouvoirs politiques et économiques de réaliser des projets
d’intérêts publics pour lesquels ils ont été plébiscités dans leurs villes
et leurs régions, ce jour-là, il y aura certainement au Québec plus de
personnes désireuses de se donner un pays où ils pourront vivre
quotidiennement les effets de l’indépendance, loin des tracasseries
administratives des fonctionnaires provinciaux et de leurs solutions mur à
mur qui étouffent les citoyens du Québec.
Le jour où les Québécois auront goûté aux fruits du pouvoir, nul doute
qu’ils voudront se donner un pays où ils pourront être maîtres chez eux. Et
pour leur donner ce goût du pouvoir, il faut d’abord leur donner la
possibilité de vraiment l’exercer dans leurs collectivités. Dans cette
perspective, on ne peut plus parler d’indépendance du Québec sans aussi
parler de démarche citoyenne préalable. Pour cette raison, le débat qui
doit précéder l’accession à l’indépendance doit porter avant tout sur le
pays que nous voulons habiter au quotidien, pas uniquement sur les pouvoirs qui
doivent être transférés des fonctionnaires d’Ottawa à ceux de Québec.
À part quelques mandarins assoiffés de pouvoir, il n’y a plus personne au
Québec qui veut d’un état centralisé parce que cela ne fonctionne tout
simplement plus, la preuve ayant été faite à plusieurs occasions. Il faut
proposer aux Québécois quelque chose d’autre, un projet de pays auquel ils
auront participé, où le résultat leur accordera sans aucun doute plus de
pouvoir au quotidien. C’est cette démonstration qui doit être faite aux
Québécois, en les invitant à participer à un processus qui conduira
inexorablement à une véritable indépendance dans tous les sens du mot. Je
ne connais personne au Québec qui veut donner plus de pouvoir aux
fonctionnaires de Québec, c’est d’ailleurs un des principaux obstacles au
projet de pays.
Même si elle a ses limites, la démarche des États généraux du Québec des régions que nous propose la
Coalition pour un Québec des régions est un pas dans la bonne direction qui
vise justement à sensibiliser les citoyens au sujet du peu d'emprise qu'ils ont
sur les décisions politiques et économiques qui se prennent là où le pays se construit chaque jour : dans
nos écoles, nos quartiers, nos villes et nos régions. Nul doute que cet
exercice incitera les citoyens du Québec à réfléchir sur la nécessité de contrôler le pouvoir politique et de l'exercer collectivement si nous souhaitons construire ce pays dont nous rêvons.
Louis Lapointe
Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Raymond Poulin Répondre

    8 janvier 2009

    C'est en effet une des clés de l'indépendance, probablement la plus importante. De toute manière, administrer un Québec souverain avec la structure actuelle en ferait l'État le plus centralisé au monde. Jacques Parizeau avait déjà amorcé un projet de décentralisation dans l'éventualité d'une victoire au référendum. Curieusement, ses successeurs ne s'en sont jamais inspirés, même s'il était possible d'en réaliser une partie dans un Québec-province: influence de l'esprit technocratique?

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2008

    Bonjour M. Lapointe !
    Je vous écris ici parce que je suis incapable de vous répondre à votre dernier article sur les autochtones.
    Que pensez-vous de ces deux citations de Trudeau peu de temps avant de rendre l'âme en 2000 ? N'invite-t-il pas les Québécois justement à s'associer aux Autochtones pour un nouveau Pays (comme vous le souhaitez) ?
    Sébastien Harvey
    sebastien_harvey1@hotmail.com
    « Je ne doute nullement qu'ils « Les Québécois) seraient capables de faire du Québec un pays indépendant respectable. »
    - Pierre Elliott Trudeau, La Presse, 17 février 1996 ; tiré de Le vrai visage de Pierre Elliott Trudeau, François Xavier Simard, 2006, p.318
    « Dans son dernier livre, en 1998, Trudeau écrit : « Le Québec n’est pas une nation. C’est une entité multinationale. »
    - Le vrai visage de Pierre Elliott Trudeau, François Xavier Simard, 2006, p.313