Le premier ministre Stephen Harper est décidément un politicien qui sait nous surprendre. De la part d'un adversaire de l'accord du Lac-Meech qui trouvait inacceptable le concept de société distincte, la reconnaissance que les Québécois forment une nation constitue un virage aussi inattendu que subit. Ne nous méprenons toutefois pas sur le sens de la résolution qu'il a présentée aux Communes. Les mots ont été soigneusement choisis et n'ont d'autre valeur que symbolique.
Stephen Harper a une nouvelle fois montré à ses adversaires, mercredi, qu'il maîtrise bien le jeu parlementaire. Il a immédiatement vu un piège dans la motion du Bloc québécois pour faire en sorte que les Communes reconnaissent le Québec comme nation. En moins de deux, il l'a retourné contre le chef bloquiste, Gilles Duceppe, qui se retrouve dans la position difficilement tenable de devoir faire une profession de foi en faveur de l'unité canadienne pour obtenir cette reconnaissance.
Avec sa motion, le chef bloquiste pensait bien placer ses adversaires devant leurs contradictions. Les députés libéraux, qui ont inscrit la reconnaissance de la nation québécoise à leur congrès de la semaine prochaine, auraient été forcés d'afficher leurs divisions, qui sont profondes. De leur côté, les députés et ministres conservateurs québécois, qui sont quelques-uns à avoir reconnu l'existence d'une nation québécoise, auraient eu à faire le choix suivant: voter selon leurs convictions ou suivre la ligne du parti établie par le premier ministre, qui, jusque-là, disait que ce débat ne concernait pas le Parlement fédéral.
En reprenant à son compte la motion bloquiste mais en ajoutant que cette reconnaissance vaut «au sein d'un Canada uni», Stephen Harper a récupéré le contrôle d'une situation qui menaçait de polariser davantage les rapports entre le Québec et le reste du Canada. En ralliant libéraux et néo-démocrates autour de ce texte, il lui est possible d'apaiser les craintes à tout le moins d'une partie de ceux qui, au Canada anglais, se braquent contre l'existence d'une nation québécoise concurrente de la nation canadienne. Par ailleurs, il évite d'alimenter le sentiment de rejet qu'aurait avivé chez les Québécois un refus des Communes d'appuyer la motion bloquiste. Il tire ainsi les marrons du feu, affirmant son leadership politique tout en pouvant s'afficher en tant que défenseur des aspirations québécoises, ce dont il aura bien besoin pour faire des gains au Québec lors des prochaines élections.
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Ce faisant, Stephen Harper a effectué un virage dont il ne faut par ailleurs pas surestimer la valeur. Cette reconnaissance de la nation québécoise n'est pas historique. Elle ne le sera que le jour où la Constitution canadienne le dira à son tour, ce à quoi il faudra en venir un jour pour faire en sorte qu'elle ne soit pas soumise aux humeurs des uns et des autres. La résolution Harper n'aura d'autre effet que d'ordre symbolique. Le ministre des Transports, Lawrence Cannon, soulignait avec raison hier qu'elle n'aura aucun effet juridique. À cet égard, elle n'est qu'une autre de ces résolutions adoptées régulièrement par les Communes, qu'on peut classer au rang des voeux pieux aussitôt oubliés par le gouvernement. Au lendemain du référendum de 1995, les députés avaient de cette manière reconnu le Québec comme une société distincte. Certains diront qu'elle n'est qu'un hochet, selon l'expression employée par Jacques Parizeau à propos de la société distincte.
Néanmoins, on ne peut rejeter la présente résolution comme étant totalement insignifiante. Dans la mesure où les mots ont un sens, être reconnu comme nation est plus porteur que de l'être comme société distincte. Il y a ici un pas que l'on franchit. Bien sûr, le mot «nation» n'est pas défini dans cette résolution, ce qui laissera place à de nombreuses ambiguïtés. Mais il a été prononcé, même si de nombreuses voix au Canada anglais imploraient leurs politiciens de s'en abstenir. Les héritiers de Pierre Elliott Trudeau pour qui le Canada est un pays unitaire y verront un dangereux glissement. Ceux qui, au contraire, conçoivent le Canada comme une fédération et le Québec comme un État fédéré (plutôt qu'une province) trouveront normal que ceux qui habitent le seul État francophone en Amérique du Nord forment une nation. Du moins, c'est ainsi qu'une forte majorité de Québécois se considèrent.
Le fait que les fédéralistes ne puissent pas reconnaître la nation québécoise sans faire référence à l'unité du Canada était probablement un passage obligé. L'effort aurait été trop considérable pour eux. L'important, c'est que ces mots aient été prononcés. Ils manifestent un changement de ton que fédéralistes comme souverainistes peuvent apprécier. Cette référence à l'unité canadienne place les députés bloquistes devant un véritable dilemme, qu'ils cherchent à résoudre par des amendements. Pour l'instant, ils ont le sentiment qu'on veut les faire passer sous les fourches caudines, comme au temps des Romains, et de n'avoir d'autre choix que de voter contre la résolution Harper lorsqu'elle sera mise aux voix. Ils pourraient aussi s'abstenir. Dans les circonstances, ce serait préférable.
bdescoteaux@ledevoir.ca
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