Michael Ignatieff a-t-il d'ores et déjà, à cause de son appui à la reconnaissance du Québec comme nation, perdu la course à la direction du Parti libéral du Canada? Ses adversaires le voudraient et font tout pour qu'il en soit ainsi, y compris faire monter au front le fils Trudeau pour dénoncer l'impie et lui faire payer le sacrilège commis.
Les gants de boxe sont tombés depuis déjà longtemps dans cette course qui se déroule maintenant sur le thème du «N'importe qui sauf Ignatieff». Celui-ci étant en tête, il était inévitable que ses adversaires les plus proches se liguent contre lui en s'accrochant au moindre prétexte pour le faire vaciller. Son appui à la nation québécoise a été transformé en gaffe d'une ampleur qui ne correspond pas à son propos, dont on n'a pas tenu compte de toutes les nuances.
On peut analyser cette supposée erreur de Michael Ignatieff sous plusieurs angles politiques. Eût-il été doté d'un plus grand sens politique, de ce nez qui fait sentir instantanément aux politiciens expérimentés d'où viendra la prochaine tempête, qu'il aurait pu mieux réagir aux accusations de ses adversaires. Mais l'homme est sûr de lui et a une haute opinion de lui-même. Il s'est volontiers laissé décrire comme un nouveau Pierre Elliott Trudeau dont il aurait toutes les caractéristiques: intelligence, charme, modernisme de la pensée, clarté du propos. Mais la vérité serait tout autre. Le jugement est tombé lundi de la bouche du fils de l'ancien premier ministre, Justin, qui a déclaré, en entrevue à Radio-Canada, qu'Ignatieff, somme toute, est un clone raté de son père.
Sacrilège, le candidat Ignatieff l'est devenu littéralement dès le moment où ce Trudeau version 2006 manifesta la volonté de mettre en cause l'oeuvre de l'ancien premier ministre, dont le principal mérite, aux yeux de ses admirateurs, est d'avoir consacré la nation canadienne dans une Constitution qui doit demeurer immuable. La seule évocation de la reconnaissance de la nation québécoise, même sous la forme la plus édulcorée qui puisse être, ne pouvait être reçue positivement.
L'intention de Michael Ignatieff était noble. N'ayant pas vécu les échecs des accords du Lac-Meech et de Charlottetown, il croyait possible d'amorcer la réconciliation qu'attend le Québec depuis son exclusion de la Constitution en 1982 par le gouvernement Trudeau et, par là, celle du Parti libéral du Canada avec les Québécois. D'autres candidats auraient dû se joindre à lui pour donner du poids à cette proposition et confirmer l'ouverture du parti. À la place, on a plutôt cherché à l'isoler, confortant du même coup l'opinion publique canadienne dans ses mauvais sentiments à l'égard du Québec.
Comme l'ont montré deux récents sondages, le Canada anglais n'est pas disposé à reconnaître que le Québec forme une nation. L'inscrire dans la Constitution, loin d'apaiser les revendications des nationalistes québécois, permettrait, on en est convaincu, à ceux-ci de faire un pas de plus vers la souveraineté du Québec. Bien évidemment, on ne retient que les propos de l'ancien premier ministre péquiste Bernard Landry, qui a la franchise de dire les choses telles qu'il les voit. Cette perception est tellement forte que ceux qui pensent qu'une réconciliation réussie permettrait au contraire d'affaiblir le mouvement souverainiste n'ont guère de chances d'être entendus.
La proposition Ignatieff sur le Québec est devenue un boulet aux pieds de celui-ci. Bob Rae est fouetté par l'erreur commise par son ami du temps de l'université. Même Stéphane Dion et Gerard Kennedy rêvent de se faufiler devant le meneur au dernier instant. De fait, tout est redevenu possible dans cette course. Le Parti libéral y perdra aussi. Déjà, la présente controverse vient renforcer la perception des Québécois que ce parti ne comprend pas leurs aspirations. Tout ça est en voie de devenir une autre occasion ratée.
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bdescoteaux@ledevoir.ca
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