Dans les jours suivant l’explosion du convoi de 72 wagons pétroliers, on a d’abord eu droit à une première estimation du déversement pétrolier dans la rivière Chaudière, dont dépendent plusieurs municipalités pour s’approvisionner en eau potable. Le ministre de l’Environnement parlait alors de 100 000 litres. Mais c’était avant que les experts de Québec puissent avoir accès à la tristement célèbre « zone rouge ».
On a donc appris cette semaine que ce ne sont pas moins de 5,7 millions de litres de pétrole brut destiné au Nouveau-Brunswick qui se sont déversés dans la tranquille nature estrienne. Cela signifie que 80 % des 7,2 millions de litres de pétrole que transportait ce train, propriété d’intérêts américains, ont fui. Des hydrocarbures qui ont affecté « l’air, l’eau et le sol », a souligné cette semaine le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP). Selon le ministère, la majorité du pétrole a brûlé.
Cet accident, survenu en plein boom dans le transport ferroviaire de l’or noir, constitue en outre un record. Directeur principal d’Équiterre, Steven Guilbeault a fait valoir que ce serait en fait le pire survenu en sol nord-américain. Il devance celui provoqué par la rupture d’un oléoduc exploité par la pétrolière Enbridge en 2010. Cette infrastructure - pourtant réputée sécuritaire selon l’industrie - a laissé fuir plus de quatre millions de litres de brut lourd dans la rivière Kalamazoo, au Michigan. Trois ans et un milliard de dollars plus tard, le nettoyage n’est toujours pas terminé.
Record nord-américain, le déversement survenu à Lac-Mégantic a aussi posé dès le départ tout un défi au MDDEFP. Spécialiste en écotoxicologie à l’Université du Québec à Rimouski, Émilien Pelletier estime d’ailleurs que le ministère a bien réagi à la catastrophe en parvenant à contenir une bonne partie du pétrole qui a rapidement coulé vers la rivière Chaudière. Mais dès le départ, le constat du ministre Yves-François Blanchet a été on ne peut plus clair : la rivière, qui coule jusqu’à Lévis, portera toujours les séquelles du déversement.
Sous-ministre adjoint du ministère de l’Environnement, Michel Rousseau a aussi précisé cette semaine au Devoir que les travaux de décontamination du cours d’eau prendront « plusieurs semaines ». Selon l’évaluation de Québec, plusieurs dizaines de kilomètres de berges devront être inspectées et nettoyées au besoin. La tâche est d’ailleurs compliquée par le fait que certains secteurs sont inaccessibles pour la machinerie. Le travail devra s’y faire manuellement.
Facture élevée
S’il faudra déployer beaucoup d’efforts pour rendre à la rivière Chaudière son apparence d’avant le 6 juillet 2013, les travaux les plus fastidieux seront ceux nécessaires pour décontaminer tout le secteur où le train a déraillé et explosé en pleine nuit. Avant même que les spécialistes du MDDEFP puissent avoir accès au site, le ministre Blanchet avait d’ailleurs prédit que la contamination des sols serait probablement « très significative ».
Michel Rousseau a admis cette semaine qu’il est tout simplement impossible, pour le moment, de donner des précisions sur la durée des travaux à venir. « On parle de mois », a-t-il toutefois mentionné. Une fois que le ministère aura procédé à une évaluation de l’état des lieux, il devra choisir les technologies à utiliser pour réaliser cette opération sans précédent dans l’histoire du Québec. « Il faut décontaminer assez rapidement pour donner à la Ville la possibilité de reconstruire son centre-ville », a aussi fait valoir le sous-ministre adjoint.
Rien n’est acquis pour le moment, selon Émilien Pelletier. Il se dit convaincu que la décontamination s’annonce comme un « chantier énorme » qui devrait s’échelonner sur plusieurs mois, voire plusieurs années. « Il faudra excaver tout le terrain contaminé. On parle de milliers de tonnes de sols hautement toxiques. Il faudra aussi disposer des ruines des bâtiments contaminés par le pétrole, des matériaux de la voie ferrée, etc. » Et pour lui, il ne fait aucun doute que la nappe phréatique du secteur a été contaminée.
M. Pelletier doute aussi de la possibilité, pour les résidants du secteur dont la maison n’a pas été détruite, de réintégrer leur domicile avant la fin des travaux. « Dans le sol, le pétrole n’a pas tendance à s’évaporer rapidement, contrairement à une partie du liquide qui peut se retrouver dans l’eau. Les émanations toxiques vont donc se poursuivre tant que tout le sol contaminé n’aura pas été enlevé. Les gens ne peuvent pas vivre dans un tel environnement. Et on parle de plusieurs mois. »
Même une fois retiré, tout le sol imbibé de pétrole brut devra bien être acheminé quelque part par camion, ou même par train. Selon la réglementation en vigueur, ce type de « substance toxique » doit être stocké dans un lieu sécurisé. « On ne peut pas en disposer comme on veut, et même le transport de ces substances est fortement réglementé. Tout cela est extrêmement coûteux », a insisté M. Pelletier. Plus question de faire comme à l’époque du naufrage de l’Irving Whale, en 1970, près des îles de la Madeleine. À l’époque, les autorités avaient décidé de mettre le sable imbibé de pétrole dans des sacs. Pas moins de 200 000 de ces sacs avaient été enfouis dans les dunes des Îles. Ils y sont toujours.
Bref, tout indique que la catastrophe de Lac-Mégantic viendra avec une facture salée. Le tout se calculera très certainement en centaines de millions de dollars, selon Émilien Pelletier. « Les coûts de cette décontamination seront faramineux. Dès qu’on parle de produits toxiques et dangereux, la facture grimpe très rapidement. On peut parler de 500 millions de dollars, peut-être même plus. Et ce montant ne comprend pas la reconstruction du coeur de la ville de Lac-Mégantic. On parle simplement de rendre le secteur “propre”. »
Qui paiera?
Déjà, la Montreal, Maine and Atlantic Railway Corporation (MMA) s’est défilée cette semaine lorsque la Ville de Lac-Mégantic l’a mise en demeure de lui rembourser une somme de quatre millions de dollars déboursée pour payer les entreprises qui font les travaux de nettoyage. Le gouvernement du Québec et Lac-Mégantic pourraient toujours poursuivre la MMA. Mais si l’entreprise déclare faillite, il ne restera aux gouvernements que la possibilité de revendre les actifs pour éponger une partie de la facture.
On ignore par ailleurs totalement à quel montant s’élèvent les assurances de l’entreprise. Un premier chiffre de 25 millions a circulé cette semaine. Mais vendredi, on a appris que l’Office des transports du Canada n’a pas terminé l’évaluation du dossier de l’assurance responsabilité civile. Les règles canadiennes ne prévoient pas de montant minimum pour la responsabilité civile dans l’industrie ferroviaire. On exige toutefois un montant dit « suffisant » en fonction de la dangerosité des produits transportés.
Sortir du pétrole
Mais au-delà de l’énorme facture du nettoyage - qui pourrait bien être payée par les Québécois -, il importe de réfléchir à notre dépendance aux énergies fossiles, selon Steven Guilbeault. « La solution à notre dépendance au pétrole ne saurait se résumer à un débat sur les modes de transport de pétrole, mais doit porter sur les mesures à mettre en place pour réduire cette dépendance. » Un sondage paru cette semaine indique d’ailleurs qu’une majorité de Canadiens souhaitent que le gouvernement se dote d’une stratégie sur le climat et l’énergie qui aurait pour objectif de conduire le Canada vers une économie à faibles émissions de gaz carbonique. Pas moins de 74 % des Québécois sont de cet avis.
Le gouvernement Marois s’est donné comme objectif de réduire de 30 % la consommation d’énergie fossile d’ici 2020. La ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, estime que cela peut être compatible avec l’exploitation pétrolière au Québec et l’arrivée de pétrole de l’Ouest canadien par pipeline. Mais M. Guilbeault doute de la volonté du Parti québécois de sortir progressivement la province de sa dépendance à l’or noir. « Pour le moment, on a seulement l’impression que le gouvernement Marois cherche des moyens de lancer le Québec dans l’exploitation pétrolière sur son territoire, notamment sur l’île d’Anticosti. »
En attendant un hypothétique approvisionnement provenant du sous-sol québécois, les deux raffineries implantées ici comptent recevoir du pétrole brut de l’Ouest canadien et des États-Unis par train. Dans le cas de la raffinerie d’Ultramar, située à Lévis, les livraisons ferroviaires devraient débuter d’ici quelques semaines. L’usine, qui traite 265 000 barils de brut quotidiennement, veut s’approvisionner totalement en pétrole nord-américain d’ici deux ans.
Quant à la raffinerie de Suncor, à Montréal, elle recevra 40 000 barils de brut canadien par train dès l’an prochain. Cela représente 6,4 millions de litres, soit l’équivalent de 64 wagons-citernes chargés de pétrole. Pour les pétrolières milliardaires présentes au Québec, ce pétrole transporté par voies ferrées coûte moins cher que des livraisons venues d’outre-mer. Ultramar a toutefois reconnu, en 2007, que le transport par train est 40 fois plus risqué que le recours aux pipelines.
Tragédie à Lac-Mégantic
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