Le chef de l'opposition officielle du Québec, André Boisclair, a accepté de jouer dans une parodie du film Brokeback Mountain, avec le groupe d'humoristes Les Justiciers masqués. Il y jouait son propre rôle aux côtés de caricatures du président américain George W. Bush et du premier ministre canadien Stephen Harper, couvert de crème fouettée. Embarrassé par la controverse suscitée par sa participation, il dit maintenant regretter son geste. Les réactions suite à ce sketch donnent l'occasion de réfléchir sur le rôle de l'humour dans une stratégie politique.
La politique ne se tient pas à l'écart de la séduction. Le politicien veut séduire ses électeurs et, comme le dragueur, il veut faire rire pour séduire puisque, tel que l'avait dit Beaumarchais, faites rire une femme et elle est dans votre lit. En revanche le politicien, tout comme le dragueur d'ailleurs, peut aussi faire une mauvaise blague, rater son entreprise de séduction et se prendre un râteau.
La politique est plus populaire lorsqu'elle est accompagnée d'humour. Les émissions politiques sont de plus en plus rares et, parallèlement, les politiciens sont de plus en plus présents aux émissions d'humour. Puisqu'une grande partie de la population ne s'informe pas ou peu par les bulletins de nouvelles et les journaux, il ne faut pas se surprendre que les politiciens se prêtent volontiers à l'humour en se présentant à des talk shows ou à des émissions de variétés. Le politicien est devenu humoriste ce qui lui permet de séduire son électorat en se présentant comme un dirigeant à "échelle humaine".
L'humour est une arme qu'utilise le politicien pour courtiser ses électeurs. Au Québec, pas étonnant que le premier ministre Daniel Johnson ait accepté de lancer un verre d'eau à la figure de Julie Snyder, que le premier ministre Lucien Bouchard ait offert une cravate à Jean-René Dufort, que la ministre Pauline Marois ait joué les Miss Météo pour l'émission La fin du monde est à 7 heures ou que le premier ministre Jean Charest ait été complice d'un gag à Surprise sur prise! et un acteur de la parodie de soap américain Le coeur a ses raisons. Autant les citoyens sont cyniques envers les politiciens, autant ces derniers y contribuent en jouant la comédie.
Quand l'humour va trop loin
Le politicien peut aussi faire dans l'humour d'un goût douteux ou du moins qui ne plaît pas à l'ensemble de la population. En 1984, le président américain Ronald Reagan s'était fait demander par un technicien de dire quelques mots pour un essai micro et au lieu de dire "1, 2, 1, 2, test" le président des États-Unis déclara: "My fellow Americans, I'm please to announce that I've signed legislation outlawing the Soviet Union. We begin bombing in five minutes". Cette plaisanterie choqua les Américains qui ne riaient pas avec le péril nucléaire. Quelques années plus tard, pour faire rire les journalistes de Washington, George W. Bush Jr a montré une photo où il était à quatre pattes sous son bureau avec la légende: "Where are the massive destruction weapons?". Les journalistes ont bien rit mais la photo diffusée sur CNN a choqué bien des Américains et la Maison-Blanche a dû présenter ses excuses aux familles des soldats morts au combat en Irak.
Une situation semblable s'est produite en 2005 lorsque la gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean a voulu faire rire les journalistes d'Ottawa avec un numéro de stand up comic où elle se moquait de la consommation de cocaïne d'André Boisclair, ce qui a choqué l'opinion publique québécoise. En 2004, la députée canadienne Carolyn Parrish a voulu faire une blague en martyrisant une poupée à l'image de George W. Bush Jr à l'émission This hour has 22 minutes, ce qui n'a pas du tout plu au premier ministre canadien Paul Martin qui l'a contraint à quitter le caucus de son parti et à siéger comme indépendante. L'humour peut donc aussi nuire.
Les politiciens ne doivent pas être dénués de sens de l'humour pour autant. Certains hommes politiques étaient réputés pour leur humour qui a parfois fait l'Histoire. Le président français Charles de Gaulle, en exil à Londres durant la Deuxième Guerre mondiale, a entendu un de ses collaborateurs dire "Mort aux cons!" et il lui a répondu: "Vaste programme" Le premier ministre britannique Winston Churchill en campagne électorale s'était fait dire par Lady Astor: "If you were my husband, I'd put arsenic in your coffee" et il lui a répondu: "If I were your husband, I'd drink it!". En revanche, on imaginerait mal Charles de Gaulle et Winston Churchill dans la parodie à laquelle vient de prendre part André Boisclair.
Le politicien d'aujourd'hui ne bénéficie plus de l'auréole sacrée qu'avaient autrefois les chefs d'État. Le politicien participe aux émissions de télévision qui peuvent parfois le tourner en dérision. Les femmes et les hommes politiques acceptent, pour séduire leur électorat, de se placer dans des situations ridicules. Cette vision satirique de la politique n'encourage certainement pas les citoyens à adopter des réflexes civiques. À force de confondre politique et humour, on tue la politique.
L'auteur est candidat à la maîtrise en administration publique internationale de l'ENAP.
Politique et humour
Un jeu dangereux
Boisclair - chef du PQ
Philippe Bernier Arcand12 articles
Doctorant en sociologie à l’UQAM et auteur de Je vote moi non plus (Amérik Média, 2009).
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé